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Ambohitriniandriana, au passé composé

A la UneAmbohitriniandriana, au passé composé

Avant Ikongo, avant Iabohaza, un drame d’une ampleur inédite avait frappé le cœur de la société Malgache. La vie des habitants du fokontany d’Anosikely, de la commune rurale d’Ambolotarakely, dans le district d’Ankazobe, région Analamanga, sera à jamais bouleversée par une attaque sans précédent. Aujourd’hui, leur vie est rythmée par la peur et l’inquiétude. Récit.

C’était Ambohitriniandriana. Ses vingtaines de maisons en brique de terre crue, coiffées de toits en chaume, trônaient paisiblement sur une butte encerclée par des rizières, nourries par Maharenina, une riante rivière sillonnant la vallée. Conjuguer les verbes au passé est de rigueur, car, désormais, il n’y a plus une âme qui vit dans ce lieu.

Hameau

C’était un village prospère. Les maisons à étage illustrent cette prospérité. Avant le 29 juillet, Ambohitriniandriana était un bled inconnu dans les confins du plateau Tampoketsa, comme Fitiamandroso, Mialanantsaha, Ampiadiambola ou Morarano. Actuellement, en quelques centièmes de seconde, les moteurs de recherche affichent des milliers de résultats sur ce village et sa commune de tutelle. «L’image d’Ambolotarakely est automatiquement associée à ce qui s’était passé ce jour-là. Cela nous attriste et nous avons honte, car les yeux du monde entier ont été rivés sur nous », se plaint un ancien élu de cette commune. Après l’attaque du 29 juillet dernier, les habitants d’Ambohitriniandriana ont tout abandonné. Les cris de grillons et le croassement des corbeaux brisent de temps en temps le silence de cathédrale laissé par les anciens occupants de ce hameau.

«Ce village n’existe plus. Tous les résidents sont partis par peur. Ils s’y rendent pour récupérer leurs affaires», raconte Alexandre Rakotoarivelo, un habitant d’Anosikely. Une demi-douzaine de chiens avecleurshordesdepucesaccueilleceux qui sont encore contraints de s’y rendre. Dans la ruine des deux maisons incendiées, quelques ustensiles de cuisine gisent dans les cendres. Des morceaux de vêtements sont éparpillés dans les décombres. Le soleil dardant révèle encore l’odeur des chairs brûlées. Certains vont jusqu’à affirmer que l’esprit des défunts hante les lieux. « Nous avons choisi d’abandonner le village pour un certain temps, car des vies y ont été perdues. Et si jamais nous voulons y revenir, nous allons installer le village un peu plus loin», confie un ancien habitant d’Ambohitriniandriana.

Conflits de longue date

La thèse d’un règlement de compte a été avancée. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, Josoa, l’un des rescapés de l’attaque d’Ambohitriniandriana évoque l’existence d’un vieux litige entre sa famille et quelques membres des assaillants. D’autres sources évoquent un conflit foncier, une hypothèse réfutée par Richard, un ancien chef fokontany d’Anosikely pendant 17 ans. Selon cet ancien responsable, les conflits auraient commencé lors d’une veillée funèbre à Merikanjaka, en décembre. Il raconte que, cette nuit-là, Soja, une des victimes de l’incendie, aurait entendu Lako et Ndrina qui figurent parmi les personnes recherchées par la gendarmerie, discuter d’un projet d’assassinat sur son oncle, Jérôme, le père de Josoa. Mis au courant de cette intention, Jérôme aurait appelé les forces de l’ordre à plusieurs reprises pour arrêter les deux hommes.

Toutefois, ils se cachaient à chaque descente des gendarmes et ont fini par quitter définitivement le village. Au cours de leur cavale, ils ont intégré la bande d’Iarisy, un chef de dahalo qui sème la terreur dans cette localité depuis des années. Le 7 mars, Jérôme a effectivement été assassiné à Morarano. Pourtant, les menaces auraient continué à l’encontre du reste de sa famille. Une raison pour laquelle la famille de Josoa aurait fait appel aux services des zazamainty, une organisation de sécurité locale. Elle est composée de jeunes hommes qui disposeraient de puissantes amulettes et de pouvoirs surnaturels résistant aux balles des dahalo. Ce sont les zazamainty qui auraient conseillé les sept familles à se regrouper dans une maison pour mieux assurer leur protection. Cela a abouti à un carnage qui a décimé toute une famille.

Lourd bilan

Le bilan est lourd. Le ministre de la Défense nationale, le général Richard Rakotonirina, a confirmé devant la presse, le 30 juillet, que 32 personnes ont péri dans l’attaque suivie d’un incendie volontaire dans le village. Deux autres ont succombé à leurs blessures l’inquiétude ont dépassé le village d’Am- bohitriniandriana. Durant notre reportage, les rescapés et les témoins oculaires ont choisi de ne pas révéler leurs identités, ainsi les noms d’emprunt sont utilisés. Toutes les personnes interviewées ont refusé de parler seules aux journalistes. À chaque entre- tien, une dizaine de personnes assistent et écoutent les récits des interlocuteurs. L’entraide et la solidarité sont les moyens de défense des habitants d’Anosikely. Toutefois, cette arme puissante s’est tue face au pouvoir de dissuasion des assaillants.

« C’était un vendredi, tôt le matin. Nous avons été réveillés par des coups de feu. Quand nous avions identifié l’origine du bruit, nous avions remarqué des gens tous vêtus de noir. De loin, nous les voyons faisant le tour de chaque mai- son. Nous avions constaté des fumées épaisses sur les deux maisons, mais nous ne pouvions rien faire, car ils étaient armés. Pendant des heures, nous avions assisté au drame, impuissants », témoigne Ralaody (nom d’emprunt). Marolahy, un autre témoin, était parmi les premiers venus à Ambohitriniandriana après le départ des assaillants, il a gardé une image forte et atroce durant des jours. Quinze jours après le drame, il s’en souvient encore. « Je n’ai pas pu manger pendant trois jours, car l’odeur de chair brûlée était restée dans ma mémoire. Je n’ai jamais vu une chose pareille », raconte-t-il, encore traumatisé.

Troubles physchologiques

Outre les traumatismes subis par les resca- pés, tout le village – voire la commune – est encore meurtri. Pour Nirina, le traumatisme a été vif. Ses voisins racontent qu’elle a des troubles psychologiques. En effet, ayant quitté le village quelques jours avant le drame, elle a été appelée par les siens pour la prévenir que la maison de ses beaux-pa- rents a été brûlée. Ainsi, elle est vite rentrée à Ambohitriniandriana, dans la soirée du vendredi, mais elle n’a pu assister aux funérailles de ses proches, car les corps ont été enterrés le jour même du drame.

Le samedi matin, elle a également appris que sa belle-mère était décédée dans l’hô- pital d’Ankazobe et quatre jours après, le mardi, son mari a succombé à ses bles- sures. En quelques jours, Nirina a perdu son mari, sa belle-famille, son village et elle n’a pas encore eu d’enfant avec son mari. Ses proches ont voulu l’épargner de nos interviews. Tout recommencer. Quinze jours après cette journée meurtrière, certains résidents de ce hameau y reviennent récupérer des matériaux pour reconstruire de nouvelles maisons, ailleurs. En attendant d’avoir leurs nouveaux toits, ils sont hébergés chez des habitants du fokontany d’Anosikely.

Sous d’autres cieux, ils seraient qualifiés de « sans domicile fixe», car c’est le village qui les prend en charge. C’est le cas de Rabainina, 75 ans, qui vivait à Ambohitriniandriana. Traumatisés par les événements, ceux qui le fréquentent rapportent qu’il manifeste des troubles psychologiques, lui aussi. Vieux et seul, il dépend désormais de l’hospitalité des villageois de Merikanjaka. «Je n’ai jamais eu de souci de nourriture, mais actuel- lement, c’est devenu un vrai problème», se plaint-il. Quatre jours après cette attaque meurtrière, le Bureau national de gestion des risques et des catastrophes (BNGRC) a livré un camion de vivres, de couvertures et d’ustensiles de cuisine. Cette aide a été distribuée aux familles endeuillées selon Joce Randrianarimanana, chef fokontany d’Ano- sikely. Ce qui n’a jamais été le cas pour Rabainina et les anciens résidents d’Am- bohitriniandriana. Aujourd’hui, il s’agit de panser les plaies, de reconstruire alors que les fantômes du passé hantent encore les rescapés d’Ambohitriniandriana.

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