La Cop27 dédiée aux changements climatiques a axé les débats sur le sort de l’Afrique et sur le très attendu loss and damage fund. Madagascar a envoyé une importante délégation.
En 2050, des centaines de millions d’Africains souffriront de carences alimentaires, en raison, notamment, de la raréfaction importante des poissons. Mais le constat peut être observé dès maintenant, notamment dans des zones extrêmement vulnérables comme dans le Sud malgache.
Déplacement de population
Le manque d’eau, de maïs et de blé devrait attiser des conflits entre États. En 2100, les fortes chaleurs seront difficilement supportables dans les grandes villes. De nombreux pays ont déjà eu un avant-goût de cette fournaise que sera la planète à cause du changement climatique. La vague de chaleur qui s’est abattue en mars-avril sur l’Inde et le Pakistan a été rendue 30 fois plus probable par le changement climatique causé par l’homme, ont estimé des scientifiques du World Weather Attribution (WWA), le réseau de scientifiques pionniers en matière d’attribution des événements extrêmes au changement climatique. Pour l’Afrique en particulier, 400 millions d’Africains vivront au minimum 15 jours par an avec des températures au-dessus de 42 degrés.
C’est dans ce contexte que la Cop 27 s’est tenue cette année en Égypte, à Charm el-Cheikh, sur le continent africain. La Cop est cette grand-messe qui désigne couramment comme la réunion annuelle des États pour fixer les objectifs climatiques mondiaux. Dans le domaine de l’environnement, il existe ainsi trois Cop, nées de trois conventions signées à l’issue du Sommet de la Terre de Rio en 1992 : la Cop sur la biodiversité, la Cop sur la lutte contre la désertification et la Cop sur les changements climatiques qui est la plus importante des trois.
En Égypte, les pays en développement étaient fortement représentés et ont massivement demandé un soutien financier beaucoup plus important aux pays développés, ainsi qu’un mécanisme pour que les pays riches payent le coût des « pertes et dommages » liés au changement climatique. Les États africains, qui représentent à peine 3% des émissions de gaz à effet de serre, estiment ainsi injuste de payer le plus lourd tribut en termes de catastrophes climatiques, car les manifestations du réchauffement global sont déjà palpables. Les phénomènes météorologiques extrêmes ont coûté la vie à 4 000 Africains depuis le début de l’année et ont forcé 19 millions de personnes à se déplacer1.
Les déplacements de population sont déjà nombreux à Madagascar. Le phénomène prend de plus en plus d’ampleur et il est attisé par certaines personnes malintentionnées qui profitent de la détresse de la population pour accentuer la pression sur l’écosystème. Ce phénomène est observable dans le Menabe Antimena, par exemple.
Attentes
Le gouvernement égyptien a souhaité faire de la Cop une conférence « de mise en œuvre». Les intentions étaient de faire de ce sommet mondial un lieu d’élaboration et d’application de politiques proactives. « La réussite pour Madagascar était de dire que, certes, le pays est pauvre, mais il a pris part à la Cop pas seulement pour revendiquer de l’argent, mais aussi pour montrer les actions »2, avance Kevin Andriamasinavalona, de l’entreprise sociale Green N’Kool. Cette structure a remporté le deuxième prix des solutions et initiatives innovantes des jeunes lors de la Cop27 grâce à Alt Soap un savon éco responsable.
En plus d’être la Cop des solutions et des mises en œuvre, les observateurs ont présenté le grand sommet annuel des Nations unies sur le climat comme étant une Cop africaine. « C’est une Cop africaine, renforce Ephraim Mwepya Shitima, du groupe des négociateurs africains sur les changements climatiques. C’est juste une première phase technique. Nous allons entrer dans la phase politique et nous allons mettre l’accent sur les priorités africaines »3. Régulièrement, durant le raout, les dirigeants des pays d’Afrique ont saisi la tribune pour faire entendre leurs attentes.
« Tous unis dans l’action (le slogan de la Cop27, NDLR) ne doit pas rester un simple slogan. Cela doit être concrétisé et c’est une urgence. Sur les 100 milliards de dollars d’engagement par an, combien ont été réellement décaissés à ce jour ? Nous unissons notre voix avec toutes les Nations qui subissent les conséquences du dérèglement climatique, pour accélérer et faciliter le déblocage du Fonds vert climat », avait plaidé Andry Rajoelina, le président de la République. « Les financements promis dans le cadre des accords de Paris doivent être honorés »4, soutient Heather Sibungo, ministre de l’Environnement de la Namibie.
Lobbys
Entre les promesses et la réalité, le fossé demeure abyssal. « Ce que disent les leaders est diamétralement opposé à ce que les négociateurs font dans les salles sur des problématiques prégnantes. Il y a de belles paroles à l’extérieur, mais des argumentations terribles en coulisse »5, regrette Michael Ochiengokumu, membre de la délégation kényane. Or, le temps joue contre l’humanité. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) montre que les émissions de gaz à effet de serre de tous types ont augmenté au cours des vingt dernières années et continuent d’augmenter.
Il souligne également que la combinaison de tous les engagements actuels des Contributions déterminées au niveau national (CDN) ne met pas la planète sur la voie d’une limitation du réchauffement climatique à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels, ce qui révèle un important déficit d’ambition. Le réchauffement climatique atteindrait entre +3,2 et 5°C à l’horizon 2100, bien au-dessus de la limite des 1,5°C de réchauffement fixés par les Accords de Paris. Lorsque les Égyptiens et les pays africains disent qu’ils veulent une mise en œuvre, ils attendent des autres pays qu’ils présentent de nouvelles promesses ambitieuses. « Les pays pauvres sont ceux qui en souffrent les plus de la pollution générée par les grands pays pollueurs. Cette injustice climatique est flagrante »6, s’insurge Kevin Andriamasinavalona.
De manière globale, les pays développés marquent assurément le pas dans de grandes décisions qui peuvent contribuer à faire marcher les accords de Paris. La forte présence du lobby de l’énergie fossile lors de la Cop témoigne de cette incohérence. Sur ce sujet, les lobbys de l’industrie fossile (charbon, pétrole et gaz naturel) ont envoyé davantage de porte-parole par rapport à la Cop précédente, révèle, l’Organisation non gouvernementale (ONG) Global Witness. En 2021, la seule industrie des combustibles fossiles comptait plus de 500 délégués, soit la délégation la plus importante de la Cop26, bien plus nombreuse que les représentants des peuples autochtones présents.
Loss and damage
En plus de la justice climatique, les « pertes et dommages » ont formé la paire de concepts casse-tête sur laquelle ont planché les 200 nations présentes à la Cop27. « L’Afrique a vraiment insisté pour que le loss and damage soit inscrit dans l’agenda. Cela a même retardé le début des négociations. Le Continent noir a insisté et réussi », nous révèle Max Andonirina Fontaine qui a fait partie de la délégation malgache lors de la Cop27 (voir interview par ailleurs). Cette inscription à l’agenda était déjà une victoire majeure pour les pays du Sud qui ont tout fait pour maintenir la pression sur l’Égypte.
Le concept de loss and damage, consacré par l’accord de Paris de 2015, désigne les dégâts irréversibles causés par le dérèglement climatique, qu’il s’agisse des conséquences d’événements brutaux, comme les cyclones ou les inondations, ou des effets plus lents comme la montée du niveau des mers ou la sécheresse.
Pour l’heure, les financements climatiques existants ne sont consacrés qu’aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre (« atténuation ») ou aux mesures d’adaptation pour se protéger contre les impacts du réchauffement. « Nous sommes quand même optimistes. Nous n’avons pas l’intention de laisser passer cette Cop sans aborder les questions critiques qui comptent pour le continent africain»7, continue Michael Ochiengokumu.
La création de ce nouveau mécanisme dédié, financé par les plus grands émetteurs, afin de faire face aux impacts déjà irréversibles du changement climatique doit encore affronter la réticence de l’Occident qui peine à honorer ses promesses. Ainsi, la promesse d’un financement de cent milliards de dollars par an n’a pas été tenue alors qu’en 2009, lors de la Cop15 à Copenhague, les pays développés s’étaient engagés à mobiliser conjointement cent milliards de dollars par an pour accompagner les pays en développement en matière de climat. Plus de dix années plus tard, cet objectif n’a toujours pas été atteint.
« Nous comptons près de 27 années de négociations. Nos attentes sont d’avoir des solutions concrètes qui doivent être appliquées »8, conclut Heather Sibungo, ministre de l’Environnement de la Namibie. La Cop27 a suscité pas mal d’espoir notamment par rapport à la posture résolument offensive adoptée par l’Afrique et l’engagement de la jeunesse, même si un des principaux points de tensions des négociations de Charm el-Cheikh concerne les promesses non tenues des pays riches envers les plus pauvres en matière de financement climatique. Le nerf de la guerre.
RÉFÉRENCES
Selon le site Carbon Brief,
2, 4,5,6,7,8 Propos recueillis par Constantin Grund