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Diplomatie : de la pêche aux intérêts au péché d’orgueil

A la UneDiplomatie : de la pêche aux intérêts au péché d’orgueil

À l’orée d’un basculement des rapports géopolitiques mondiaux, la position diplomatique et les relations internationales de Madagascar restent floues, ou pour le moins, hésitantes. Le limogeage du ministre des Affaires étrangères a révélé au grand jour les divergences au sein de l’Exécutif.

La Grande île est dans une position diplomatique ambiguë pour les profanes. Pour les spécialistes, le conflit russo-ukrainien est une partie émergée de l’iceberg, mais les dessous de cet événement recèlent bon nombre de divergences diplomatiques, politiques, territoriales et économiques latentes, tout autant que leurs conséquences.

Comme tous les pays du monde, Madagascar se doit d’affronter son destin à l’échelle internationale, tout en vivant ses réalités nationales. Les positions que la Grande île doit adopter sont de plus en plus sensibles dans ces deux cas de figure. Le risque étant, bien entendu, de rater le coche et de se retrouver au ban des opportunités de coopération, et par conséquent, au ban des possibilités de développement.

Livre blanc

«Il y a une grande cacophonie au sommet de l’État. Tout ce qui s’est passé concernant notre diplomatie en est la conséquence. On voit que l’intérêt personnel d’une personne prévaut. Ce n’est pas bon pour les relations diplomatiques de Madagascar, car nous sommes la risée de tout le monde», affirme d’emblée Andrianirina Ratsarazaka Ratsimandresy, membre de la commission relations internationales du parti Malagasy miara-miainga (MMM).

Le député Isika Rehetra Distrika miaraka amin’i Andry Rajoelina (IRD) élu à Ambalavao et président de la commission affaires étrangères et relations internationales à l’Assemblée nationale, Christian Razafimahatratra, se veut être plus mesuré. « Je pense que Madagascar, en tant que pays souverain, a une grande histoire d’amitié avec l’Europe ainsi qu’avec la Russie, bien avant les conflits qui les opposent en ce moment, note-t-il. Madagascar a légitimement le droit de penser par lui-même, mais il y a tellement de choses en jeu pour le bien du pays que je comprends les difficultés qu’a l’Exécutif sur ce sujet».

L’Opposition pointe du doigt les incohérences de l’administration actuelle sur la position que doit tenir la Grande île. «Il n’y a pas de directives politiques claires concernant la politique étrangère de Madagascar. Les dirigeants l’ont reconnu à travers le forum sur l’émergence économique à Ivato récemment», tacle Vonison Andrianjato, ancien ministre de la Communication et l’un des porte-voix de l’Opposition. La politique étrangère de Madagascar n’est étalée noir sur blanc dans aucun document officiel.

Sollicité sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie et sur cette absence d’un livre blanc de la diplomatie, le ministre des Affaires étrangères par intérim a décliné notre proposition d’interview, en évoquant un « calendrier surchargé ». Son numéro deux nous a fait comprendre qu’il ne s’exprimerait qu’en ayant l’aval de son ministre. «Ils font du pilotage à vue sur les enjeux globaux, il n’y a pas de document-cadre national, ce qui fait que Madagascar ne fait ni de la politique de présence, ni de la politique allant vers l’intérêt de la souveraineté nationale», martèle Vonison Andrianjato.

Le «oui mais» diplomatique

Cependant, l’heure est grave concernant les relations internationales à l’échelle mondiale, qui ne doivent pas laisser Madagascar de marbre. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine est le point d’achoppement ou le point de départ de toutes les décisions, négociations, alliances, ruptures, tractations et prises de position diplomatiques, politiques et économiques de chaque pays du monde en ce moment.

Concernant les grandes puissances, les élections de mi-mandat aux États-Unis se sont déroulées avec comme toile de fond l’inflation que connaît le pays de l’Oncle Sam, liée de près ou de loin au conflit russo-ukrainien. Si les républicains ont repris la majorité à la Chambre des représentants, les démocrates ont résisté mieux qu’ils ne l’espéraient et ont conservé le contrôle du Sénat – la Chambre haute du Congrès. Les démocrates ont même réussi à arracher plusieurs postes de gouverneur au camp adverse. Le Président Joe Biden aurait donc encore les coudées aussi franches pour prendre ses décisions futures. 

La Grande île doit forcément tenir compte de ces mouvances de position et d’intérêts, ce qui pourrait expliquer le « oui mais » diplomatique actuel. Dans un premier temps, le
2 mars dernier, aux Nations unies, la Grande île a choisi la neutralité, en s’alignant aux côtés des pays qui n’ont ni condamné ni soutenu la Russie. Le vote du 12 octobre, condamnant le référendum organisé par la Russie pour annexer quatre régions de l’Ukraine a, par contre, vu Madagascar changer de position, en condamnant cet acte.

Le limogeage du ministre des Affaires étrangères, Richard Randriamandrato, le 18 octobre, a révélé aux yeux de l’opinion publique que le Président n’avait pas approuvé ce revirement. Ainsi, bien qu’officiellement en faveur de la condamnation du référendum russe, dans la réalité, les dirigeants malgaches optent pour la neutralité dans ce conflit, et il est connu en diplomatie que «ne pas choisir, c’est déjà choisir». Aux yeux des Partenaires techniques et financiers (PTF) de Madagascar, dont la plupart épousent la position et la vision de l’Ouest, cela s’apparente à une position en faveur de la Russie.

Pêche aux intérêts

Dans cette optique, les approches et la vision de la conduite de la diplomatie et des coopérations possibles sont différentes. «Ce que dit le droit international et en premier lieu, l’intégrité territoriale, est important au niveau du parti. Madagascar revendique les îles Éparse et il n’est pas logique qu’il ne respecte pas ce principe d’intégrité territoriale», soutient Andrianirina Ratsarazaka Ratsimandresy.

Il fait sienne la devise de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC), « apprendre à oser », « mais apprendre à oser dans la légalité », glisse notre interlocuteur. L’Opposition abonde dans ce sens. Vonison Andrianjato argue que «les dirigeants actuels donnent l’impression qu’ils partent à la pêche aux intérêts directs dans leur recherche de partenariat, et cela ne coïncide pas forcément avec les intérêts de la Nation».

Du côté pro-russe, l’on demeure à la fois alarmiste et optimiste. Les partisans du Kremlin se sont régulièrement fait entendre. L’association Les Amis de la Russie à Madagascar (ARM) en a été régulièrement le porte-voix (voir interview p.8). «Madagascar est réellement dans une spirale de perdition. Il est grand temps de ne plus dormir sur les promesses des Occidentaux, cela fait 62 ans que la Grande île évolue dans cette coopération, avec les résultats que l’on connaît», note Richard Martin Rakotonirina, le président de cette association.

Quant à l’aspect diplomatique, il estime que «le fait d’avoir limogé le ministre des Affaires étrangères est un signal fort pour la Russie. 140 pays condamnent cette dernière, mais les pays qui la soutiennent, les pays du Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, NDLR), entre autres, ont une certaine envergure. Madagascar est déjà passé par l’épreuve d’avoir dû vivre sans financements des bailleurs pendant la transition. Le pays a pu compter sur ses propres ressources».

Une manière de prêcher pour sa paroisse et de faire miroiter la coopération avec la Russie comme une alternative. Du côté des pro-régime actuel, à l’instar de Christian Razafimahatratra, il est convaincu «qu’il faut être contre toute forme de guerre, qu’elle soit sur le terrain ou médiatique, et privilégier le dialogue pour arriver à une paix durable qui n’est que la seule solution pour tout le monde».

Plan B

De toutes ces positions et ces diverses réflexions, il ressort clairement qu’il ne sera pas aisé de voguer sereinement dans les eaux troubles des relations internationales dans un avenir proche. Quelle serait alors la meilleure politique étrangère qui permettrait à Madagascar de ne pas être au ban des relations mondiales ?

« On ne peut pas décider d’une politique internationale comme ça. La politique internationale dépend toujours de la politique nationale, martèle Andrianirina Ratsarazaka Ratsimandresy. Madagascar doit avoir des ambitions. Les pays africains ont d’importantes potentialités et ils gagneront à se regrouper, car ensemble, ils peuvent servir de contre-pouvoir à la mainmise occidentale ».

Comme opportunité dans la coopération avec l’Union européenne, il évoque le Global gateway : il s’agit pour les 27 États membres de développer des infrastructures dans le monde entier de 2012 à 2027, avec un financement de 300 milliards d’euros dans les domaines du numérique, climat et énergie, transport, santé, éducation et recherche. Le président de la commission affaires étrangères et relations internationales à l’Assemblée nationale se veut être plus terre-à-terre en sollicitant une plus grande coopération entre l’exécutif et le législatif.

« Nous aimerions être beaucoup plus sollicités en ce qui concerne les relations internationales: politique extérieure, coopération, traités et accords internationaux. Malheureusement, cela n’est pas le cas et nous nous retrouvons trop souvent en tant que spectateurs et ne donnons nos avis et nos questions que dans l’hémicycle, nous espérons une meilleure collaboration avec le nouveau ministre», souffle-t-il.

Les pro-Russes voient  davantage de grandes choses sur le long terme. «D’ici 2030, les relations internationales seront multipolaires. Elles ne seront plus sous l’hégémonie d’une ou de quelques puissances. Les Russes partent toujours d’un partenariat gagnant-gagnant, avec transfert de technologie. D’ailleurs, les dettes de Madagascar ont été effacées par la Russie en 2018. Nous constatons juste que les intérêts des dirigeants malgaches sont en Europe, mais cette situation n’enrichit pas la population», défend Richard Martin Rakotonirina. Ainsi, les dirigeants malgaches doivent faire preuve de beaucoup de perspicacité et de discernement pour la suite des démarches et des positions internationales à adopter dans un avenir proche et à long terme. Car la guerre d’influence est réelle et chacun veut placer ses pions.

Les Amis de la Russie avancent même qu’ils sont prêts à intégrer l’Exécutif. «S’il y a des membres de l’ARM dans le gouvernement, nous pouvons assurer qu’ils apporteront leur part de brique pour le développement de Madagascar. La Russie a un droit de veto aux Nations unies. Elle peut toujours représenter  un plan B. L’Ambassadeur de Russie a réitéré la volonté de son pays à aider Madagascar pour la restitution des îles Éparses», note notre interlocuteur. Sur le plan intérieur, l’approche des élections ne favorise pourtant aucune réflexion sereine et rajoute davantage de pressions politiques sur les démarches diplomatiques. Il est évident que les dirigeants ont intérêt à renforcer leur équipe aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan extérieur, pour éviter de perdre sur les deux bords. 

                                                                                                                     

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