C’est une véritable obsession pour les politiques. La transition est constamment brandie quand la situation politique devient tendue ou quand l’appétit du pouvoir s’agrandit.
Il y eut d’abord un document intitulé Charte de transition d’entente Nationale 2023 qui est passé sous les manteaux ou…de smartphone en smartphone. Son authenticité est encore à prouver, mais le document se résumait à un exercice de style de partage de pouvoir. Il a surtout alimenté les discussions et les polémiques autour d’une velléité d’une poignée de personnes issues de la classe politique à vouloir instaurer une nouvelle transition à Madagascar.
Fébrilité de la démocratie
Régulièrement, le mot transition (re)fait surface dans le débat public malgache. Il ne cesse d’agiter le microcosme politique. Il suscite l’appréhension des gouvernants en place et un fantasme de l’opposition. Pour couper court à toute rumeur, Lalatiana Rakotondrazafy, ministre de la Communication et de la Culture, et porte-parole du gouvernement, a tenu à clarifier le positionnement de l’Administration durant une conférence de presse. « Il n’y a qu’un agenda majeur : l’élection présidentielle vers la fin de l’année », a-t-elle lancé.
Pour elle – et pour l’ensemble de l’Exécutif – il n’est pas question d’une transition.
La résurgence régulière de ce concept trahit d’une certaine fébrilité la démocratie. Le timing n’est jamais fortuit. Il pointe le bout de son nez dès que les préalables sont remplis : une situation économique et sociale tendue sans oublier une élection qui se profile. « Une transition est une situation exceptionnelle, tempère Heriniaina Mahosindrahaja, président national du Leader Fanilo. Dans un mandat qui suit normalement son cours, elle ne doit jamais survenir ».
Comme dans la plupart des pays, les transitions malgaches se sont déroulées suite à des évènements ou des tournants majeurs dans la vie du pays. Le premier était les évènements de 1972. Bien qu’élu avec un score confortable, Philibert Tsiranana a dû composer avec un soulèvement populaire qui s’est transformé en une véritable révolution. « (Les processus de transition) sont composés de trois phases (…). La première phase est celle de la libéralisation du régime autoritaire en place sous la pression interne (opposition politique, société civile) et externe (conditionnalités économiques et politiques) », souligne l’enseignante-chercheuse Céline Thiriot1. L’idée, pour les partisans de la transition, serait d’instaurer une période transitoire qui permettrait de préparer sereinement la présidentielle à travers un gouvernement d’entente nationale intermédiaire. Le tout dirigé par un président transitoire.
Victor Manantsoa, ancien ministre, et présenté comme soi-disant l’instigateur du mouvement, réfute toute idée de transition et clarifie sa position et celle de sa plateforme, le Hetsika iombonana ho fanarenana ifotony an’i Madagasikara (Ifim). « Pour nous, l’organisation d’une concertation nationale à laquelle prendront part toutes les forces vives de la Nation est l’unique moyen de préparer sereinement les élections et surtout d’apporter la stabilité pour les futurs présidents de la Grande île», nous confie-t-il en éludant la question de la transition.
Résultats acceptés
La transition est loin d’être le seul apanage des pays africains. D’ailleurs, l’un des précurseurs modernes est l’Espagne post-franquiste ayant adopté une transition dite « pactée » dans les années 70, à l’image des pays d’Amérique latine. Le concept de « transition pactée » désigne le processus par lequel les cadres d’un régime militaire négocient avec les représentants des partis politiques légalisés le retour conditionné à la démocratie2. La « transitologie » est une science qui en est à son balbutiement. Madagascar est un excellent cas d’école. « Cette école se fonde d’abord sur l’analyse des transitions européennes (Portugal, Espagne, Grèce), puis des transitions latino-américaines », poursuit Céline Thiriot3.
« Il n’y a aucune intention de mettre en place une transition. Le pouvoir est focalisé sur la préparation des élections », a balayé d’un revers de la main la porte-parole du gouvernement. La classe politique a, presque unanimement, rejeté la mise en place d’une transition. « On me prête la volonté de vouloir conduire la transition. La question ne devrait pas se poser. Certains pensent peut-être que la transition est une solution pour sortir le pays des difficultés auxquelles ils font face et pour instaurer un climat serein avant les élections », a expliqué l’ancien président Hery Rajaonarimampianina, lors de la célébration du neuvième anniversaire de son parti, le Hery vaovaon’i Madagasikara (HVM),
mi-mai. Il a profité de l’occasion pour nier toute implication dans le processus. Même son de cloche du côté du Malagasy miara-miainga (MMM). « Nous n’avons pas besoin d’une transition. En revanche, il faut faire en sorte que les élections soient propres, transparentes et avec des résultats acceptés par tous. Ces préalables permettront au président élu de développer le pays », a tonné Hajo Andrianainarvelo dans l’Alaotra-Mangoro.
Protracted transition
Si toute la classe politique est contre une nouvelle transition, c’est à cause de l’arrière-goût laissé par la dernière période qu’a traversée le pays entre 2009 et 2013. Le processus de sortie de crise a pris plus de quatre ans à aboutir avec l’organisation du premier tour de l’élection présidentielle, le 25 octobre 2013. Il s’est achevé avec le deuxième tour de l’élection présidentielle le 20 janvier 2014, une élection jumelée avec le scrutin législatif.
« Malgré l’instabilité politico-militaire et la dégradation de l’État depuis sa prise du pouvoir en 2009, le Président auto-proclamé Andry Rajoelina a systématiquement repoussé les élections, inscrivant Madagascar dans la catégorie des protracted transition. Dans ce contexte, le processus de sortie de crise va prendre plus de quatre ans à aboutir », soulignent Dr Juvence Ramasy, maître de conférences en science politique à l’université de Toamasina et Dr Olivier Vallée, docteur en science politique, dans leur ouvrage Transition électorale à Madagascar et enjeux sécuritaires4. L’une des grandes appréhensions de la classe politique, de la société civile et des citoyens en général est l’enlisement que peut revêtir une situation transitionnelle. « Le processus est totalement incertain, et l’incertitude inhérente au changement est liée aux jeux des acteurs », explique à ce sujet Céline Thiriot5.
Pouvoir « gratuit »
Si certains s’accrochent aussi fermement à une transition c’est que l’occasion est belle pour accaparer les pouvoirs et jouir de privilèges sans passer ni par la case élection, ni par le jeu des nominations. Par exemple, dans la Charte de transition d’entente Nationale 2023, le « gâteau » est généreusement partagé. « Selon la charte de Transition d’entente nationale, les 65 membres du CSTEN, les 258 membres du CTEN (sont désignés) », souligne le document. En 2009, le Congrès de la transition, la chambre basse de l’organe législatif de la transition, était composé de 417 membres. L’effectif était pléthorique et l’occasion belle pour certaines personnalités n’ayant aucune chance de gagner une élection d’occuper un siège au Parlement.
« Depuis trois décennies, les formations politiques se sont multipliées. La loi ne les enjoint pas de participer aux épreuves des urnes. Or, la plupart des membres de ces partis espèrent obtenir le pouvoir “gratuitement” sans passer par l’épreuve des urnes à travers une transition. Les formations qui ne participent pas aux élections devraient être dissoutes automatiquement », plaide le président national du Leader Fanilo. Dans toute cette cacophonie qui pollue l’atmosphère politique pré-électorale, le , Parti pour le progrès de Madagascar (MFM) met de l’eau dans son vin. « Bien entendu nous sommes contre la transition. Cependant, il devrait y avoir une Ceni de transition sans que les institutions soient démantelées, sans distribution de postes, explique Olivier Rakotovazaha, son président national. L’organe en charge des élections doit inspirer la confiance pour éviter les troubles avant, pendant et après les élections. Les conditions ne sont pas encore remplies, pour le moment ».
Incertitude
Les débats actuels ne doivent pas occulter le fait que la transition est la résultante d’une situation tendue. En 2009, tous les ingrédients étaient réunis pour qu’une transition survienne : une frange de l’élite frustrée par Marc Ravalomanana a mené le mouvement et une population exsangue que les extravagances du Président omniprésent ont fini de lasser va renverser le pouvoir. La dernière transition s’est également apparentée à une transition hybride, à la fois « par le haut » et « par le bas ». « Lorsque les élites au pouvoir parviennent à contrôler les modalités de l’ouverture et à imposer leur configuration pour le futur régime, on parle de transition imposée (…). À l’inverse, les transitions par le bas sont impulsées par “les masses” et sont donc de fait plus inclusives », poursuit l’enseignante-chercheuse6.
L’ancien président Hery Rajaonarimampianina avait glissé que si cette idée surgit dans les débats « ce n’est pas le fruit d’un hasard », en faisant visiblement référence au contexte social tendu avant les élections. Dans ce sens, Dr Juvence Ramasy et Dr Olivier Vallée préviennent : « à l’image de certains régimes latino-américains et africains, la violence politique ou la gouvernance criminelle permettrait d’expliquer le cycle de crises qui se produit au sein de l’État malgache. Les élections ne jouent pas pleinement leur rôle, notamment en matière d’alternance. Ainsi un Big Man est remplacé par un autre qui sera plus prompt à la redistribution de la rente »7.
Durant la rencontre avec la presse qu’elle a organisée, la ministre de la Communication et de la Culture a tenu à rassurer l’opinion publique.« C’est la crise socio-économique qui prévaut à Madagascar. Elle touche le monde entier. Il n’y a pas de crise politique dans la Grande île », a-t-elle soutenu. « Quel message donnons-nous à la population quand on parle de transition ? Et quel avenir pour une Nation sans alternance démocratique normale, mais vivant toujours dans l’incertitude ? », s’était questionné Roland Ratsiraka, député élu dans la circonscription de Toamasina I. La présidentielle à venir devrait clore un cycle politique et ouvrir un nouveau chapitre. Si la Grande île arrive à «éviter » une transition, elle devrait connaître une décennie de stabilité toute relative.
Références :
1, 3, 5 et 6 Céline Thiriot, Transitions politiques et changements constitutionnels en Afrique In : Le phénomène constituant: Un dialogue interdisciplinaire, 2 Linz, Juan, Stepan, Alfred, Problems of Democratic Transition and Consolidation: Southern Europe, South America, and Post-Communist Europe, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1996, 4 et 7 Dr . Juvence F. Ramasy et Dr . Olivier Vallée, Transion électorale à Madagascar et enjeux sécuritaires (2014)