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Air Madagascar, le crash du siècle

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De florissante la compagnie nationale aérienne est devenue mourante avant de devenir un champ de bataille. Retour sur un crash dramatique sur fond de mauvaises décisions et de mauvaise gouvernance.

La guéguerre entre Rolland Ranjatoelina, ministre des Transports et de la Météorologie, et Rinah Rakotomanga, vice-présidente du conseil d’administration de la compagnie Air Madagascar et administrateur de Madagascar Airlines, est un énième épisode de l’histoire tragique d’Air Madagascar.

Bataille médiatique

Pour le premier, Madagascar Airlines, – la compagnie censée remplacer Air Madagascar – n’a plus sa « raison d’être », une fois les dettes d’Air Madagascar apurées. Dans ses récentes sorties, il n’a pas hésité à égratigner plus d’une fois l’ancienne directrice de la communication de la présidence. Il l’a mise à l’écart, au même titre que Mamy Rakotondraibe, au sein du conseil d’administration d’Air Madagascar, tout d’abord avant de régulièrement tirer à boulets rouges sur elle avec de lourdes accusations. Pour lui, il y a « une volonté de défendre des intérêts particuliers, au détriment des intérêts de la compagnie nationale, autour de Madagascar Airlines ».

Rinah Rakotomanga de répliquer : « s’il est une personne qui a conduit Air Madagascar a intégré l’annexe B qui a empêché les deux Boeing 767 et 737 de ne pas pouvoir desservir l’Europe et nos îles voisines, c’est bien l’actuel ministre en charge des Transports, Rolland Ranjatoelina ». Les deux s’étaient livrés une bataille médiatique par presse interposée avant qu’en haut lieu on siffle la fin de la récréation.

Turbulences

Cette séquence tragi-comique épisode illustre une fois de plus les turbulences traversées par la compagnie nationale, passée d’un fleuron à un poids mort pour les caisses publiques. La trajectoire d’Air Madagascar épouse celle d’autres société d’État devenues des vaches à lait que les administrations successives ont taries jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Après un mariage avorté avec la compagnie sœur Air Austral, Air Madagascar s’est, une fois de plus, retrouvée seule pour faire face aux tempêtes.

En 2017, pourtant le partenariat stratégique acté en grande pompe par l’ancien Président Hery Rajaonarimampianina s’annonçait prometteur en termes de dynamique commune. Le « mariage de raison », comme l’avait évoqué Joseph Malé, PDG d’Air Austral, se reposait sur une proximité géographique, une synergie, pour la maintenance et l’approvisionnement en kérosène, et au niveau commercial.

« Air Madagascar (va retrouver) de réelles chances de se redresser, puis de se développer à nouveau à l’image de sa splendeur d’antan. Air Austral, qui entre (…) au capital (…) contribue ainsi, en tant que partenaire stratégique, à bâtir avec elle, en coopération, un nouvel avenir pour le désenclavement de nos deux pays », s’était-il enthousiasmé lors de la signature de l’accord. Il a notamment débouché sur la création de Tsaradia, filiale domestique voulue performante, ainsi que sur une amélioration de la ponctualité, la formation des équipes au revenue management et à la remise à niveau de la maintenance.

Apport en capital

Comme le révèle aussi bien le rapport d’audit du cabinet Bearing Point que celui de la Cour des compte1, Air Madagascar a souffert d’un ensemble de mauvaises décisions – voulues – qui a mis fin avant son terme au mariage avec Air Austral et qui a continué à creuser son déficit abyssal. « Au titre de la mise en œuvre des parties à la convention de partenariat, il a été constaté qu’aucune date butoir n’a été précisée dans le contrat. À souligner d’ailleurs que dans le business plan, presqu’aucune échéance n’a été prévue pour les différents volets le composant », précise la cour sise à Ambohidahy.

Dans son rapport, elle n’a épargné aucune des deux parties : l’État malgache et Air Austral. « S’il a été convenu que l’État verserait 303 milliards (d’ariary), dont 184 786 296 000 ariary à titre de subventions d’exploitation, 118 213 704 000 ariary à titre d’apports en numéraire dans l’augmentation de capital, il s’est avéré que le paiement n’a commencé qu’à partir du mois d’août 2018 et n’a été achevé que le 26 septembre 2019, soit deux ans après la signature de l’accord. En conséquence, la trésorerie très limitée de la société a restreint les actions qu’elle aurait déjà pu entamer et a freiné l’atteinte de ses objectifs à court et moyen termes », ont déploré les juges alors que la compagnie en phase de redressement avait besoin d’une trésorerie solide et d’argent frais.

Ces engagements financiers ont été effectués de deux façons : à l’aide de subventions d’exploitation allouées à Air Madagascar d’un montant total 184 786 296 000 ariary et par le biais de l’augmentation de capital à hauteur 118 213 704 000 ariary. Les calculs avaient estimé que la compagnie avait un besoin de financement cumulé d’exploitation à hauteur de 26 millions de dollars environ pour les quatre premières années. « Air Austral n’a versé son apport en capital qu’à concurrence de 43,78%, soit Ar 37 159 879 800, alors que l’accord de partenariat en prévoit 49%. Les conséquences en sont toujours la limitation de trésorerie de la société et, partant, de ses marges de manœuvre en vue de l’atteinte de ses objectifs de redressement », poursuit la Cour des comptes, en fustigeant à leur tour les dirigeants d’Air Austral.

Droits de trafic

2017 aurait pu être une année charnière, une sorte d’année zéro, pour que la compagnie nationale puisse redécoller de nouveau. Mais d’autres décisions ont été prises par l’administration malgache. Aujourd’hui, elles semblent être absurdes. Elles vont certes dans le sens de la libéralisation du secteur mais pas dans celui d’Air Madagascar. Dans le contrat initial, l’État malgache n’aurait pas dû accorder des droits de trafic à d’autres compagnies aériennes, autres que ceux qui ont été concédés avant l’accord. Une telle manœuvre a grandement nui à Air Madagascar.

En guise d’exemple, une fréquence supplémentaire Antananarivo-Paris avait été accordée à Ethiopian Airlines ainsi qu’un vol supplémentaire vers Nosy Be. Par ailleurs, pour les trois vols sur les cinq opérés par cette compagnie, une augmentation de capacité de l’avion qu’elle utilise – un Boeing 787-800 de 260 places – a été acceptée.

Air Madagascar, malgré le soutien d’Air Austral, n’a pas pu faire face à cette stratégie agressive de l’ogre éthiopien, la première compagnie africaine. Elle était pressentie aussi comme étant le potentiel partenaire stratégique. Or, la limitation des droits de trafic accordés est une condition nécessaire compte tenu de l’engagement de l’État pour l’intérêt de la compagnie nationale en phase de redressement.

Air Madagascar devait bénéficier jusqu’en octobre 2020 d’une protection de son ciel, nécessaire à sa relance. Le manque à gagner était évalué à six millions de dollars par an par les équipes d’Air Austral. La crise de la Covid-19 a fini d’achever Air Madagascar, déjà agonisante, après que l’entourage du président de la République ne reprenne les affaires en main.

Résiliation du pacte d’associés

Cette situation de la compagnie nationale malgache est loin d’être isolée. Le transport aérien traverse une grave crise provoquée par l’effondrement du trafic et l’envol des cours des hydrocarbures. Quatre compagnies africaines, dont l’emblématique South African Airways et la compagnie nationale de Namibie, Namibia Airlines, ont fait faillite, et deux autres sont en procédure de redressement judiciaire. Même le géant Kenya Airways, qui était déjà déficitaire, a triplé son déficit à 329,6 millions de dollars et la compagnie a dû se mettre à la recherche de nouveaux partenaires, Air France-KLM mettant fin en septembre à la coentreprise entre les deux compagnies.

Pour le côté malgache, le partenariat stratégique entre Air Austral et Air Madagascar a pris fin en juillet 2020 suite à la résiliation du pacte d’associés et de la convention de partenariat. C’est là que la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNaPS) est entrée dans la danse en intégrant le capital de la compagnie nationale, notamment à travers l’échange des parts qu’elle détenait dans Air Austral contre celles d’Air Austral dans Air Madagascar. Ce montage a nourri les inquiétudes des syndicats des travailleurs de la Cnaps. La Confédération générale des syndicats des travailleurs de Madagascar (Fisema) a notamment partagé ses craintes.

Air Madagascar dépose le bilan le 15 octobre 2021. La justice avait donné son autorisation pour une location-gérance d’Air Madagascar et de Tsaradia, sa filiale, au profit de Madagascar Airlines le 10 décembre. Elle va fusionner avec sa filiale Tsaradia et deviendra Madagascar Airlines.

Croisée des chemins

Ce nouveau départ et le montage qui a conduit la compagnie nationale à déboucher sur Madagascar Airlines n’ont guère plu au ministre ni les velléités du board de la nouvelle compagnie. « Dans l’état actuel de la compagnie, louer un dreamliner à 700 000 dollars par mois – qui est certes un avion prestigieux – est hors de notre portée. J’ai expliqué au président de la République que certes Air besoin Madagascar a de prestige mais ce n’est pas encore le moment.

En ce qui concerne Madagascar Airline, je suis désolé de vous le dire qu’il ne s’agit que d’un montage financier Le mandat des deux représentants du ministère des Transports et de la Météorologie n’est plus conforme à celui du ministère », avait déclaré d’une manière tonitruante Rolland Ranjatoelina lors d’une visite du siège d’Air Madagascar, le 3 juin dernier. Les dix dernières années ont ressemblé à un long chemin de croix pour la compagnie nationale criblée de dettes, à hauteur de 80 millions de dollars, et qui est à la croisée des chemins…aériens.

Références :

  1. https://www.ccomptes.mg/uploads/AUDIT-DE-PERFORMANCE-DE-LA-SOCIETE-AIR-MADAGASCAR1639103810.pdf
  2. 40 millions de dollars : dette d’Air Madagascar vis-à-vis de l’État malgache
  3. 20 millions : dette vis-à-vis des autorités françaises

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