Huit milliards d’êtres humains. Huit milliards de bouches à nourrir. La population mondiale compterait dorénavant huit milliards d’habitants en 2022, selon une estimation de l’Organisation des Nations unies (ONU) alors qu’elle n’en comptait qu’un milliard en 1800. Elle a été multipliée par huit depuis. La population mondiale devrait continuer à croître et pourrait atteindre près dix milliards en 2050. Cette croissance rapide est mue par les avancées de l’hygiène, de la médecine, les progrès socio-économiques, l’abondance de nourritures… sauf pour quelques pays du Sud, dont Madagascar.
Pour le camp malgache, les résultats globaux du troisième recensement général de la population et de l’habitation de Madagascar, réalisé en 2018, font état d’une population évaluée à 25 674 196 habitants, composée d’un peu plus de femmes (13 015 251) que d’hommes (12 658 945). La Grande île connait une croissance effrénée. Nous serons bientôt 30, 40, voire 50 millions sur cette île, certes immense, mais qui peine pour le moment à nourrir tous ses habitants. La vraie bombe à retardement est à regarder du côté des villes malgaches. Plus de 30% de la population sont recensés dans le milieu urbain et la parité devrait être atteinte dans quelques années, ce qui fait craindre le pire. Nos campagnes sauront-elles nourrir nos villes ? Le défi est immense.
Les évènements imprévisibles (plus ou moins) comme les pandémies ou les guerres créent une incidence importante sur le secteur de l’alimentation. La crise de la Covid-19 a déjà porté un coup dur sur la chaîne de l’approvisionnement mondial. Elle a généré un impact majeur sur le prix des denrées alimentaires. La guerre en Ukraine a profondément troublé « l’ordre alimentaire mondial ». Elle continue d’affecter des pays fragiles, comme Madagascar, qui sont déjà dans une situation tendue en période normale. C’est une guerre, n’en déplaise à ceux qui qualifient l’offensive de grande ampleur menée par la Russie contre l’Ukraine d’« opération militaire spéciale ». Il y a des victimes de part et d’autre, notamment les civiles.
L’Ukraine est un fournisseur important de cultures clés. Elle représente près de 42% des exportations mondiales d’huile de tournesol, 16% du maïs, 10% de l’orge et surtout 9% du blé. Les besoins dépassaient déjà les ressources disponibles avant la guerre, et maintenant le coût d’achat et de transport de la nourriture est devenu beaucoup plus cher. La hausse des prix mondiaux des matières premières et les effets de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine aggravent l’insécurité alimentaire et la misère.
Qu’elle le veuille ou non, la Grande île est prise dans ce tourbillon mondial, car elle n’est pas encore indépendante. La première liberté est d’ordre alimentaire. Quand le ventre va, tout va. Pour parler d’émancipation, la nourriture que le Malgache mangera doit venir en grande partie de Madagascar. La Grande île est devenue extrêmement tributaire des circonvolutions mondiales. Les crises successives démontrent qu’elle dépend trop de l’extérieur. Ce qui affecte tout un pan de la Nation : en passant de la politique intérieure, à la diplomatie qui doit être sans cesse intéressée et à la merci d’intérêts bien souvent divergents et à l’encontre des valeurs. De peur de heurter la sensibilité des uns et des autres, la Grande île, surtout les décideurs politiques, a choisi de ne pas choisir dans la guerre russo-ukrainienne. Cette posture est improbable alors que le pays réclame la restitution d’îles « annexées » par l’ancienne puissance coloniale et que, justement, l’annexion de certaines régions ukrainiennes est au cœur de la guerre entre Moscou et Kiev.
Le système mondial qui a été établi à pas forcés après la chute du mur de Berlin qui a fait miroiter monts et merveilles sur une paix durable basée sur les échanges commerciaux. Les joies consuméristes auraient dû effacer toute velléité de guerre. Que nenni ! Le monde se trouve dans une situation d’(inter)dépendance totale. Les nouvelles donnes ont enrichi davantage les plus riches et paupérisé les populations déjà fragiles, notamment à cause de la volatilité des prix des denrées alimentaires sur un marché libéralisé et aux mains d’une poignée de pays et de quelques multinationales en position de monopole. La fin du monde et de ses huit milliards d’habitants peut attendre. Il faut d’abord aborder cette question essentielle qu’est la faim du monde.
Raoto Andriamanambe