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samedi 30 septembre 2023
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Une guerre que personne ne connaît

ChroniqueUne guerre que personne ne connaît

Lorsque les canons du corps expéditionnaire français ont visé le palais de la reine, dans lequel Ranavalona III se réfugiait, c’était fini après deux coups. Madagascar a perdu sa dernière guerre en 1895. Ce n’est pas le peuple ou l’armée qui a échoué, mais les généraux qui, à Andriba, ont préféré les intérêts individuels aux intérêts collectifs et se sont laissés entraîner à trahir leur propre nation. Ils n’ont pas vu l’aspect absolu de la guerre. Ils avaient vu cela comme un jeu dont ils sont repartis avec un maigre avantage. Madagascar n’a pas d’expériences d’une guerre qui traverse les générations. La Grande île est un pays qui a vécu sans affrontements ouverts, sans destruction absolue. De par sa situation insulaire, la mer la protège et lui offre une sécurité relative. Aucune perte n’a jamais été gravée dans la conscience collective.

Les menaces viennent uniquement de l’intérieur. Les coups d’État, les renversements, les escarmouches entre le pouvoir et les milices dans les zones rurales… Tout est une affaire interne. Les tensions sont généralement justifiées par la jalousie économique, qui peut être résolue avec un peu d’accommodement et de fihavanana, jusqu’à ce que le prochain tour de l’éternelle lutte pour l’accaparement économique ne recommence. La guerre est absolue. Elle entraine la mort, la ruine et le néant total. Elle ne connaît qu’un seul ou aucun vainqueur. Personne de notre génération n’a jamais vu des générations entières d’hommes ou de femmes se sacrifier pour les objectifs d’autrui. À Madagascar, tout ce que nous savons de la guerre provient des sources extérieures. Je me demande parfois quelle influence cela peut entrainer sur un décideur politique. La poli- tique à Madagascar peut tout à fait être décrite par le schéma d’un jeu vidéo.

Les « joueurs » sont assis dans leur salon, passifs, devant un écran. Ils cliquent ici ou là et attendent le prochain tour. Il semblerait qu’il ne peut leur arriver grand-chose, à part l’absence de coca-cola. Là où il n’y a pas de perte, on prend les choses à la lé- gère. Lorsque l’existence d’un décideur n’est pas menacée dans l’absolu, les décisions politiques prises n’ont aucune importance finalement. Mais lorsqu’il n’y a pas de menaces de perte existentielle ou de victoire absolue, on ne fait pas les derniers mètres politiques nécessaires, alors que ce sont précisément ceux-là qui déterminent le succès ou l’échec d’un projet politique. C’est pour cette raison que les réformes politiques à Madagascar manquent régulièrement leurs objectifs malgré toutes les déclarations effectuées. Les défis, notamment en matière de politique éducative et économique, sont énormes, mais les derniers mètres qui décident de la victoire ou de la défaite finale ne sont pas systématiquement parcourus jusqu’au bout, car aucune perte existentielle ne menace le décideur en cas de défaite. La plupart du temps, il s’agit seulement de rester dans le jeu ou de rentrer chez soi avec un petit avantage.

En comparaison, une grande partie des personnes des autres classes sociales se trouvent dans un monde parallèle. Leurs problèmes, leurs préoccupations et leurs besoins sont bien réels. Leur vie n’est pas un jeu vidéo. Leurs guerres sont limitées à une journée. Celui qui atteint le lendemain matin a gagné une petite bataille. Des générations entières d’hommes ou de femmes qui se sacrifient. Pourtant, leurs guerres restent en des- sous du radar public. Elles sont invisibles. Ils n’ont pas la possibilité de terminer le jeu et de rentrer chez eux avec un petit avantage. L’expérience de l’absolu leur est réservée. Tant qu’ils ne créent pas eux-mêmes des conséquences, tant qu’ils ne deviennent pas une menace, ils continuent à ne faire partie que du jeu virtuel des autres.

Constantin GRUND

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