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Chemin de fer malgache, un déclin annoncé et prévisible

EconomieChemin de fer malgache, un déclin annoncé et prévisible

Pour la puissance coloniale, le chemin de fer « constituera par excellence un instrument de civilisation »1. Il devait créer l’activité économique ex nihilo tout comme les décrets du Journal officiel devaient susciter le progrès social des colonisés. Presque de manière synchronisée avec le développement des ports, notamment le grand port de l’Est, le chemin de fer s’était également développé jusqu’à devenir très florissant et largement bénéficiaire. « Dans les années 80, les rails dégageaient un chiffre d’affaires de près de quatre milliards de notre ancien franc avec une charge opérationnelle bien contenue », se remémore un ancien cadre des chemins de fer malgaches que nous avons rencontré.

Les politiques successives ont fini de mettre à terre le rail. «Aucune administration ne peut se soustraire à ses responsabilités », note notre interlocuteur. La décision de l’administration de Ratsiraka de dissocier port et chemin de fer durant la seconde République a sonné le tocsin, alors que la destinée de ces deux secteurs étaient intimement liés. La logique voulait que les trains de marchandises transportent directement les marchandises conteneurisées ou non du port vers la capitale avec des liaisons régulières et stratégiques pour le pays.

Le second coup fut porté vers le début des années 90, quand l’indice des travailleurs du rail avait été augmenté du simple au triple. « J’avais prévenu que la société n’allait jamais réussir à supporter une masse salariale de plus en plus importante alors que le chiffre d’affaires stagnait dangereusement. À l’époque, on m’avait taxé de n’être qu’un égoïste, la suite de l’histoire me donnera raison», poursuit-il amèrement. L’ordonnance n°82-014 du 6 mai 1982 a transformé le RCFM en une société anonyme d’État dénommée Réseau national de chemins de fer malgache (SE/RNCFM) au capital de 10 milliards de Fmg divisé en 1 000 000 actions de 10 000 Fmg chacune et entièrement détenues par l’État Malgache.

Le troisième coup sera porté par la baisse progressive du flux ferroviaire par rapport au transport routier. Vers la moitié des années 80, l’ancien Président Didier Ratsiraka décide de réhabiliter et de goudronner la RN 2. Le trafic routier augmente rapidement et les semi-remorques supplantent rapidement les trains de marchandises. Certaines sociétés de transports de marchandises, comme la Sodiat, tirent leur épingle du jeu. Le grand perdant de l’histoire se somme le RNCFM. La société d’État perd quasiment le monopole du transport des hydrocarbures. C’est le début de la fin. Même si le transport de personnes fonctionnait à plein régime, il ne permettait pas au RNCFM de faire des bénéfices, contrairement au fret.

« Nous avons déjà alerté la hiérarchie ainsi que l’administration sur le danger que fait peser le transport routier sur le chemin de fer. Un “partage modal” aurait dû être mis en place et appliqué pour que le RNCFM puisse survivre aux côtés d’autres moyens de transport », soupire notre interlocuteur. La société périclite tellement que l’idée d’une privatisation est sur les rails dès la moitié des années 90. Dans le cadre d’un «partage modal », un certain quota aurait pu être attribué au chemin de fer dans le transport de marchandises, pour lui garantir sa survie et son développement à long terme et pour qu’il puisse continuer à investir.

Cette privatisation qui sera actée au début des années 2000 reste particulièrement en travers de la gorge de nombreux employés du rail dont notre source qui pointe du doigt l’inaction de l’administration publique…et les décisions de la Banque mondiale. Le plan avancé souffre de lacunes et l’issue est prévisible. « Dans le cadre d’une stratégie de redressement, les techniciens malgaches avaient établi une liste de besoin en matériel qui aurait permis de relancer durablement les chemins de fer. On nous avait déboutés. Ce qui nous paraissait curieux c’est que, suite à la privatisation, Madarail avait bénéficié d’appuis financiers conséquents et qui s’étaient allongés d’année en année, mais pour quel résultat? », se questionne-t-il. Les demandes de rallonge augmentent au fil des ans pour Madarail sans que le rail ne retrouve son lustre d’antan.

Aujourd’hui, la Grande île vit les effets pervers de ce choix hasardeux. Il est de plus en plus difficile, de faire dépendre son ravitaillement et ses échanges extérieurs par le biais d’une route difficile parcourue par une ribambelle de poids lourds. La RN 2 peine à absorber ce flux de marchandises qui l’empruntent tous les jours alors que le rail aurait pu grandement soulager ces maux. « (…) Dans un pays qui souffre d’une balance commerciale chroniquement déficitaire, obérée notamment par le poids des importations d’hydrocarbures et de véhicules, le vieux chemin de fer qui a coûté si cher à mettre en place serait probablement l’un des moyens de desserrer une contrainte extérieure étouffante», analysait Jean Fremigacci. Des écrits qui sonnent aujourd’hui comme particulièrement à propos.

Références :

  1. Rapport du général Gallieni au ministre des colonies sur la situation générale de la colonie, Paris, Imprimerie des Journaux officiels, 1905, p. 62.
  2. Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936), une modernisation manquée

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