Le concept de travail décent ne pourrait exister tant que la création d’emplois n’est pas une priorité. Pourtant, la création d’emplois en elle-même restera une utopie sans une redéfinition du modèle de développement économique et des priorités d’investissements.
Lanja vient de décrocher une licence en agronomie. Après des stages fructueux auprès d’organismes étatiques, il a obtenu un poste auprès d’une organisation non gouvernementale œuvrant dans le domaine de l’alimentation. Malgré le peu d’expériences qu’il a, Lanja est un profil très recherché. Mais ils sont relativement rares ces jeunes diplômés qui arrivent à trouver immédiatement un point de chute après des études.
Prédominance du secteur informel
« Près d’un demi-million de jeunes qui se retrouve chaque année sur le marché de l’emploi », ont entonné en chœur les participants de la table ronde sous le thème Création d’emplois, défis et bonnes pratiques au mois de mai dernier par le ministère du Travail, de l’Emploi, de la Fonction publique et des Lois sociales, la direction générale de la Présidence en charge des projets présidentiels et la Friedrich-Ebert-Stiftung.
Après quelques tentatives d’envoi de candidature en vain, la majorité des jeunes vont venir renforcer les rangs des travailleurs précaires ou non productifs. L’offre est saturée pour ce qui concerne le travail décent, même si « sur les près de 13 000 demandes de placement déposées (par des demandeurs d’emploi) auprès de ce service en 2015, seules 650 ont pu être placés au niveau des entreprises, soit 5%.
Du côté de l’offre d’emploi, parmi les 2 193 offres d’emplois déposées par les entreprises et gérées par le Ministère (par intermédiation), 70,68% n’ont pas trouvé de postulant », nuance l’étude Création d’emplois à Madagascar : défis et recommandations. Le niveau faible de l’employabilité à Madagascar fait que les emplois productifs – qui représentent seulement 14% des emplois dans le pays –ne sont réservés que pour quelques « privilégiés ». De ce fait, près de 90% de la population active malgache œuvre dans le secteur informel.
« La prédominance du secteur informel dans le pays démontre la défaillance de l’État à créer et à offrir de l’emploi pour la population », note le Dr Herinjatovo Ramiarison, auteur de l’étude Création d’emplois à Madagascar : défis et recommandations. Comme dans de nombreux pays de l’Afrique de l’économie malgache, sa contribution au PIB s’échelonne entre 25 % et 65 % et où il représente entre 30 % et 90 % de l’emploi non agricole. « Heureusement qu’il y avait les activités informelles car sinon la population n’aurait pas de source de revenus, relativise notre interlocuteur. D’ailleurs, interdire les activités non formelles reviendrait à créer une crise socio-économique grave ».
Cercle vicieux
La situation de l’emploi est préoccupante. Comme pour toutes les administrations successives, le gouvernement veut relever le challenge de l’emploi décent. Dans ce sens, un programme pays pour le travail décent pour la période 2021-2025 est sur les rails. Mais dans la réalité, le défi est de taille et la situation est demeurée inchangée depuis bien des décennies.
À certains égards, elle s’est empirée. Depuis son indépendance, Madagascar se retrouve piégé dans un cercle vicieux de la pauvreté socio-économique qui a entraîné un déclin très grave dans les compartiments du niveau et de la qualité de l’éducation. « L’insuffisance des investissements générateurs d’emplois font que les générations qui se succèdent stagnent dans une situation de précarité », avance lucidement Dr Herinjatovo Ramiarison. « Rien n’a changé. En effet, les débats actuels sont identiques à ceux de l’époque du Président Philibert Tsiranana. Je vous invite même à consulter les archives pour vérifier mes dires », soutient Solofo Andrianantenaina de la Plateforme des secteurs informels Analamanga.
Aujourd’hui encore, un dialogue national va se mettre en place pour une énième concertation en matière de promotion de l’emploi à Madagascar. L’effectivité d’une politique nationale sur l’emploi décent et productif en est l’enjeu. « La création d’emplois devrait être une priorité dans la politique nationale de l’emploi actuelle », avance notre interlocuteur. Il espère que toutes ces manœuvres débouchent sur des décisions réfléchies et soucieuses de toutes les catégories d’emplois de la part de l’État.
« Un gouvernement fort et un secteur privé dynamique. C’est ce qui manque dans notre pays depuis son indépendance (…). Les conditions macroéconomiques et les politiques publiques mises en place en termes d’emploi depuis des décennies ne sont pas favorables à l’investissement et à l’entrepreneuriat », souligne l’étude de Dr Herinjatovo Ramiarison.
Caisses publiques
Les récents faits pointent du doigt cette dynamique défaillante entre l’État et le secteur privé. La Plateforme des secteurs informels Analamanga se plaint par exemple de la décision de l’Etat par rapport à la révision du Salaire minimum d’embauche (SME) dont l’augmentation ne permettrait pas d’instaurer un salaire décent alors que sa répercussion sur la trésorerie des entreprises peut être très important. « Il nous est difficile de gérer le salaire de nos personnels par rapport à cette révision de salaire décidée par l’Etat. De ce fait, il nous a fallu faire le choix de réduire le nombre de nos travailleurs car les charges sont devenues énormes », regrette Solofo Andrianantenaina.
Une hausse de 10% considérée comme « impossible » pour les entreprises. Elle entrainerait une explosion du coût de production. Après un bras de fer, l’État a fini par s’engager à verser un montant de 30 000 ariary par mois, par employé, à titre d’aide au secteur privé pour atteindre les 250 000 ariary, comme étant le SME pour l’ensemble du territoire national. Le montage est encore assez vague, mais à en croire la ministre de l’Économie et des Finances, , le patron ne versera pas de part patronale, ce qui équivaut aux 30 000 ariary. L’État reversera ce montant à la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnaps). Cette nouvelle subvention risque de grever une fois de plus les caisses de retraite.
Investir sur le capital humain
Pour mettre fin à ces subventions et pour enclencher une dynamique économique profitable à tous, l’investissement sur le capital humain est essentiel. Les parties prenantes du secteur sont unanimes sur le fait que c’est la meilleure source de croissance économique. « Si Madagascar veut retrouver le revenu par tête de 1971, il faudra une croissance économique de 7,5% pendant 15 ans. Elle doit être tirée par des secteurs créateurs d’emplois. L’enjeu pour le pays est avant tout de transformer ces emplois précaires en emplois productifs et décents et d’améliorer l’employabilité », soutient le Dr Herinjatovo Ramiarison.
L’amélioration de l’employabilité nécessite du temps. Elle se base sur l’augmentation du niveau d’instruction et de compétences de la population. Or, 70% des Malgaches ont un niveau au maximum bouclé le niveau primaire. Pis, seulement 0,1% des enseignants en primaire et secondaire a la qualification minimale requise pour enseigner. Ainsi, même ceux qui ont des niveaux scolaires moyens sont encore remis en question sur leur capacité à prodiguer un enseignement. Cette situation entraine un paradoxe : plus de 70% des offres d’emplois à Madagascar ne trouvent pas de postulants.
« On parle surtout d’une pénurie de compétences dans notre pays. À l’extérieur, il y a d’un manque de mains-d’œuvre », formule à ce sujet Augustin Andriamananoro, directeur des Projets présidentiels auprès de la Présidence. L’inadéquation formation-emploi est d’une des causes les plus fréquentes. Du côté de l’État et du gouvernement, l’on promet de fournir davantage d’efforts que ce soit en matière de création d’emplois productifs ou de postes de salariés, ou dans les domaines de l’enseignement technique et la formation professionnelle, sans oublier la transformation des emplois précaires en emplois décents.
La résolution des problématiques concernant l’emploi à Madagascar implique des réformes d’envergure. Une prise de responsabilité à plusieurs niveaux est nécessaire, allant de l’État aux diverses institutions ministérielles. Le Dr Herinjatovo Ramiarison met le secteur privé également devant ses responsabilités. « À Madagascar, nous enregistrons une faible création d’entreprises. Nous avons la fâcheuse tendance à penser que les emplois générés ne seraient destinés qu’aux personnes qui ont fait des études. Les entrepreneurs, soucieux du niveau d’employabilité pour leurs activités, ne sont pas enclins à créer des emplois », note-il.
L’objectif est, à terme, de favoriser l’accès des groupes vulnérables à l’emploi par le renforcement de leur employabilité et par la dynamisation des secteurs générateurs d’emplois et d’améliorer la productivité du travail par la promotion du dialogue social, les principes et droits fondamentaux au travail et la protection sociale. Le chemin semble encore très long.