Depuis la vague de nationalisation de 1975, l’administration malgache avait pris en main la destinée des importantes compagnies locales qui symbolisaient la force de frappe de la colonisation. Elle avait pensé qu’il lui aurait été possible de recueillir les bénéfices et d’en faire profiter la Nation entière.
Grandes entreprises et sociétés nationalisées étaient gérées par des personnes pas forcément compétentes et qui n’avaient aucun savoir-faire dans le domaine de la gestion d’entreprise, pour la plupart. Des officiers de l’armée et de la gendarmerie, sortant des Écoles de guerre et pas forcément d’écoles entrepreneuriales, étaient à la tête de certaines d’entre elles.
Politique interventionniste
Les sociétés nationales étaient aussi un moyen de « caser » des amis ou quelques membres de la famille des dirigeants. Elles avaient été utilisées pour faire taire des adversaires politiques réels ou imaginaires de la révolution. Il n’est pas du tout étonnant si, après quelques années de fonctionnement, la quasi-totalité des sociétés et des entreprises nationalisées sous la deuxième République était tombée en faillite.
La plupart des initiatives économiques prises par l’administration s’étaient également soldées par un fiasco total et complet. La décision s’était apparentée à un véritable suicide économique. D’autant plus que l’histoire économique avait démontré que toute entreprise ne peut s’épanouir et prospérer que dans la concurrence et non dans une économie nationalisée et étatisée. Mais encore faut-il que celle-ci soit réellement loyale, honnête et saine.
Cette politique interventionniste de l’État dans l’économie avait profondément impacté sur la vie des consommateurs malgaches. L’État, au lieu d’être une solution, était devenu un problème. C’était la période des carnets de rationnement et de la pénurie pour la majorité des Malgaches, non pour les dirigeants. Les Produits de première nécessité étaient devenus des denrées rares et des produits de luxe. Le marché noir de devises et de produits de première nécessité, s’était développé.
Économie duale
Une déflation sans précédent s’ensuivait. Durant les premières années de la seconde République, le Produit intérieur brut (PIB) avait baissé de 10 %, la consommation moyenne par habitant avait diminué de plus de 15 %, le Salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) avait baissé de plus de 25 %, le pouvoir d’achat des fonctionnaires avait décru de près de 50 %.
Si en 1973, il ne fallait au haut fonctionnaire que quatre mois de salaire pour s’acheter une Peugeot 504, il lui aurait fallu dix ans pour acquérir la même voiture, dans les années 1990. Les prémices de la situation avaient déjà été constatés durant la période de transition de 1972 à 1975. Le pouvoir d’achat des ménages s’était réduit comme peau de chagrin. L’inflation avait été estimée à près de 20 % par an et l’écart entre l’évolution des prix et celle des salaires s’était accentué continuellement et s’était creusé inexorablement d’année en année.
Les traitements de salaire ne correspondaient plus au coût réel de la vie. Par exemple, le salaire d’un cadre D de la fonction publique, qui était de 25 000 Fmg, en 1982, était passé à 32 260 Fmg en 1986, soit une augmentation de 28,2 %. Durant la même période, l’inflation avait été de 86 %, selon les indices officiels. Nombreux étaient les salariés – surtout de la fonction publique – qui devaient exercer d’autres activités pour arrondir leurs fins du mois. Les difficultés économiques avaient eu pour conséquence une baisse généralisée du niveau de vie de la population et l’aggravation des problèmes sociaux. À cela s’ajoute la dévaluation incessante de la monnaie malgache. En 1973, le dollar américain valait 225 Fmg. En 1999, 26 ans plus tard, il s’était échangé à 6 737 Fmg, soit 30 fois plus. Le franc français valant 20 fois plus.
Après 13 ans de rattachement au franc CFA, le FMG avait décroché, suite à la renégociation des accords franco-malgaches. La dévaluation de la monnaie malgache avait provoqué la hausse du coût de la vie ainsi que le ralentissement de la consommation. Ce qui allait inévitablement freiner la croissance. Il était à craindre qu’une économie duale ne se développe. Elle était composée de quelques poches de développement tournées vers l’exportation, en marge du reste du pays qui poursuivit sa chute par absence du pouvoir d’achat. Ainsi, quelques années seulement après 1972, la disparition progressive – mais sûre – de la classe moyenne à Madagascar avait été constatée.
Paupérisation
Sur le plan socio-économique, la diminution, voire la disparition de cette classe, était un mauvais signe pour un pays. En 1990, on estimait que 35 % des habitants d’Antananarivo et près de la moitié de la population nationale vivaient en dessous du seuil de pauvreté absolue (contre 12 % en 1981). Ils vivaient avec moins de 28 000 Fmg par mois, pour une famille de cinq personnes. La paupérisation de la masse était réellement en marche et s’était installée pour de bon, sans concession. En 1995, le Produit national brut (PNB) annuel par habitant était de 250 dollars.
Or, en 1972, le PNB malgache était identique à celui du Sénégal et de la Côte d’Ivoire de l’ordre de 480 dollars. En 1987, le PNB par Malgache avait été de 210 dollars. Plus que le niveau, c’est cette tendance à la baisse continue depuis une décennie qui est inquiétante. Elle est encore aggravée par l’évolution divergente de la population et du PNB. Depuis 1987, la population a augmenté de 2,5 % en moyenne par an alors que durant la période de 1965-1983, la croissance annuelle moyenne du PNB a été de -1,2 %.
Quelles que soient les velléités de favoriser les nationaux, les investisseurs étrangers demeurent incontournables. Une politique d’ouverture est donc nécessaire. Le pays a été libéré du joug du colonisateur, il n’en est pas plus libre aujourd’hui. Plus que jamais sans doute, Madagascar se trouve durement confronté au poids d’une dépendance économique sans précédent. La situation dans le pays est tout simplement maintenue dans un étau qui ne permet aucune indépendance.
La Grande île dépend du marché des capitaux et du fardeau de la dette qui en est le corollaire. Elle dépend de l’humeur souvent chagrine du marché des matières premières. Elle dépend aussi d’elle-même et surtout d’une mauvaise gouvernance et de la corruption de plus en plus institutionnalisée, devenue « culturelle » et « normale ». Il n’est pas du tout étonnant si Madagascar fait partie de la catégorie des pays en récession, dans le classement des Pays les moins avancés (PMA).
Richard Ranarivony