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Entrepreneuriat, l’espoir de s’en sortir

EconomieEntrepreneuriat, l’espoir de s’en sortir

L’horizon des jeunes semble bouché, même si les perspectives économiques demeurent nombreuses. Devant cette situation, initiatives, événements et discours se multiplient autour de l’entrepreneuriat.

Koloina a les étoiles plein les yeux devant les créations d’une jeune styliste en vogue. Elle veut aussi suivre la voie de l’entrepreneuriat, dans le secteur de la mode, à la fin de ses études de marketing. « Le domaine dans lequel j’étudie offre de nombreuses perspectives de postes dans le secteur privé. Cependant, j’aimerais fonder ma propre entreprise. C’est un rêve », partage la jeune fille. Ses parents sont un peu moins enthousiastes qu’elle et craignent qu’elle ne fonce droit dans le mur. « Nous allons la soutenir. Il faut développer la créativité. Je loue la jeunesse actuelle pour cette volonté de créer. Elle a une toute autre attitude que les personnes de notre génération», partage le père de famille en arpentant les allées d’un salon dédié à l’entrepreneuriat féminin.

Création d’emplois

Libérer le potentiel productif et innovant des jeunes: c’est la promesse de l’entrepreneuriat. Face à la capacité limitée du marché de travail à offrir des possibilités d’emploi décent aux jeunes, la création d’emplois est devenue nécessaire. Elle s’est fortement développée ces dernières années sous l’impulsion de jeunes pousses innovantes. « Chaque année, près de 530 000 jeunes en âge de travailler débarquent sur le marché de l’emploi. Cela veut dire qu’il faudrait créer au moins 530 000 emplois annuellement. Sinon, “l’effet cumulatif” sera en œuvre : nous aurons
530 000 chômeurs tous les ans auxquels s’ajouteront ceux des années précédentes »
, prévient Alain Pierre Bernard, consultant international et vice-président de la commission commerce du Groupement des entreprises de Madagascar (GEM) (voir interview p.31).

Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), 95 % des jeunes travailleurs africains occuperaient un emploi informel, ce qui démontre que ce secteur reste le principal pourvoyeur d’emplois sur le Continent noir. « Près de 91% des emplois à Madagascar sont jugés informels. L’un des cas qui attirent notre attention est celui des ventes en ligne. Durant la période de la pandémie, ce secteur a explosé. Or, il nous manque un cadre légal pour l’organiser et la structurer comme il devrait l’être», fait remarquer Jean Kinnéar Betsara, juriste et activiste des droits de l’homme. 

Pour le moment, le travail salarié formel est encore limité et concerne principalement les services tandis que la production manufacturée représente moins de
5 % des emplois, à Madagascar. Les problématiques demeurent nombreuses pour la Grande île. Attirer les Investissements directs étrangers (IDE) relève de la gageure, tant les obstacles institutionnels et structurels demeurent nombreux.

Aspirations d’emplois non satisfaites

Un écart important entre les aspirations des jeunes et la réalité du marché du travail prédomine. « J’ai dû déposer une quarantaine de CV. J’ai passé trois entretiens, mais je n’ai pas été reçu », se souvient Mitantsoa Randrianarivony, entrepreneur et gérant fondateur de la société Adiresiko Mass and proximity media. Cette réalité, de nombreux jeunes ayant achevé leurs études y sont confrontés. Ils se retrouvent souvent avec des aspirations d’emplois non satisfaites. Être au chômage ou détenir un emploi de mauvaise qualité demeurent une réalité, voire une banalité, dans l’environnement malgache. Une étude réalisée par le Dr Herinjatovo Ramiarison, économiste et enseignant-chercheur à l’université d’Antananarivo, indique que seuls 5% des demandeurs d’emploi arrivent à décrocher un emploi à Madagascar. Paradoxalement, 70,6% des offres d’emplois ne trouvent pas de postulants.

Ainsi, à cause de l’inadéquation formation emploi – qui reste l’un des défis majeurs de la Grande île – très peu d’étudiants souhaitent travailler dans le secteur privé. Or, ce dernier est actuellement un moteur de la création d’emplois. «3,1% des Malgaches seulement ont un niveau supérieur, contre 23% analphabètes. 10% des demandes d’inscription dans les écoles de formation technique et professionnelle sont satisfaites », souligne l’étude réalisée par l’économiste pour la Friedrich-Ebert-Stiftung Madagascar. 

Devant ces réalités de plus en plus inquiétantes pour une large frange de la population, l’entrepreneuriat est considéré comme une bouée de sauvetage. « C’est une piste de solutions pour relever les défis de l’emploi des jeunes en Afrique, en général, et à Madagascar, en particulier », nous confie un spécialiste œuvrant dans un fonds d’amorçage. Il est confronté presque quotidiennement à des demandes de financement. Malgré un panorama politique et social qui est inquiétant, au mieux, désespérant au pire, de plus en plus de Malgaches cèdent au chant des sirènes de l’entrepreneuriat. Et la Grande île proposerait un terreau fertile pour le développement de ces structures économiques en vogue. « Quand je vois les jeunes qui s’intéressent de plus en plus à entrepreneuriat, je pense qu’ils croient (fermement au potentiel de la Grande île). Ils investissent quand même à Madagascar  », note Lalaina Randriarimanana, directrice exécutive de Liberty 32.

Alternative pour la jeunesse

Certes, le terreau malgache est fécond mais l’entrepreneuriat ne peut résoudre toutes les problématiques économiques de la jeunesse d’un coup de baguette magique, contrairement à ce que les évangélistes de la création d’entreprises promeuvent. La volonté d’entreprendre elle-même peut se heurter à divers obstacles connus et reconnus, comme le manque de financement, les barrières culturelles et institutionnelles… « Dire que l’entrepreneuriat est une solution miracle, c’est un peu omettre la réalité fracassante de notre pays. La précarité de la jeunesse est un vieux problème », rappelle Jean Kinnéar Betsara.

Selon la Société financière internationale (SFI), les Petites et moyennes entreprises (PME) sont un des leviers de la création d’emplois et de la croissance du Produit intérieur brut (PIB). Elles contribuent pour beaucoup à la diversification économique et à la stabilité sociale et jouent un rôle important dans le développement du secteur privé. Sur le chapitre de l’innovation et de l’intégration des jeunes dans le paysage économique, les PME agissent également comme catalyseurs. « Si les jeunes sont bien armés et encadrés, le secteur des PME devient la clé de l’expansion future de tout secteur industriel pour assurer la transformation économique et un meilleur partage de la prospérité », continue notre spécialiste.

Les programmes de mentorats, les financements, comme Fihariana, les accompagnements portés par les partenaires techniques et financiers… sont de plus en plus nombreux et offrent une palette de solutions et d’offres qui n’existaient pas auparavant. L’État investit également davantage dans la promotion de l’entrepreneuriat. Un fort engagement de sa part est nécessaire. 

« J’encourage les jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat, même si l’environnement socio-politique et économique dans la Grande île est très instable », note le gérant fondateur de la société Adiresiko Mass and proximity media. « Oui, l’entrepreneuriat est une alternative pour la jeunesse, mais c’est la manière de faire qui pourrait être un problème. Inciter la jeunesse dans un secteur dans lequel il n’y a ni cadre légal ni subvention étatique ne pourra pas lui permettre de s’épanouir », rajoute Jean Kinnéar Betsara. Les petites et grandes structures ont assurément besoin du soutien de l’État pour créer et pour maintenir un écosystème favorable à leur développement et à l’innovation. « En guise d’illustration, il n’y a pas de politique fiscale spécifique pour les petites entreprises. L’accès à l’énergie est un vrai blocage, l’insécurité est inquiétante… Cependant, ces points ne devront pas être des blocages pour ne pas commencer quelque chose. Les solutions viennent en avançant et en se confrontant aux problèmes », conseille Mitantsoa Randrianarivony.

Néanmoins, les responsabilités de l’État sont à plusieurs niveaux: de la promotion de la culture de l’esprit entrepreneurial, au développement des instruments de financement, en passant par la mise en place d’un cadre réglementaire, d’un système incitatif, et d’un environnement des affaires propices au développement et à l’éclosion des entreprises. Là encore, l’entrepreneuriat n’est qu’une petite composante d’un ensemble des solutions à mettre en oeuvre. 

« La solution miracle n’existe pas, quel que soit le domaine. Certes, l’entrepreneuriat peut être une voie pour sortir la jeunesse de la précarité. Mais des conditions sont requises. Il faut avoir de la motivation. Il faut être humble, être particulièrement engagé et tenace. D’autres qualités sont requises également : la capacité d’adaptation, l’ouverture d’esprit, la créativité, l’esprit de compétition et la résilience», conclut Anita Volatsara, entrepreneure qui a lancé sur orbite son agence de voyages, Marodia. 

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