Le secteur textile est de nouveau sous les feux des projecteurs. Le contexte international, fait d’incertitudes, peut permettre à un pays comme Madagascar, terre privilégiée de la production textile, de tirer son épingle du jeu.
Jeannine, une machiniste au sein d’une grande entreprise franche à Antsirabe perçoit un salaire de base de 204 000 ariary par mois. « Je dois recourir aux heures supplémentaires pour arrondir mes fins de mois. Si je parviens à atteindre 60 heures de travail par semaine, soit 20 heures d’heures supplémentaires, je toucherai près de 280 000 ariary », calcule-t- elle. Ils sont nombreux dans cette situation. Bien que parfois pénibles, les heures supplémentaires complètent le maigre revenu de ces travailleurs.
Faits
Dans cette entreprise, même si le volume de travail le permet, le personnel ne peut pas aller au-delà de 60 heures de travail par semaine. Avec une majoration de nuit, certains parviennent à aller jusqu’au double de leur salaire. Mais cette pression par rapport aux objectifs et au recours aux heures supplémentaires est dénoncée par les syndicats. De nombreux employés se plaignent de travailler plus qu’ils ne se font payer.
« La différence de 39% par rapport à ce que je devrais toucher m’aide à payer mes factures certes, mais j’en paie le prix fort, soupire Jeannine. Je passe rarement du temps avec ma famille. Je ne peux pas aider mes enfants avec leurs devoirs, je me fatigue facilement… On me demande souvent si cela en vaut vraiment le coût. La réponse est non, mais ai-je vraiment le choix ?» « (Dans un contexte de difficultés économiques au niveau national), il est difficile de détourner le regard du secteur textile, habillement et cuir qui, comptant 265 entreprises franches opérationnelles en 2020, avec leurs 200 000 emplois créés, est considéré comme un des principaux pourvoyeurs d’emploi, même si l’épanouis- sement de ce secteur se trouve également entravé par les facteurs de blocage», notent Noro Lalao Rahoeliarijaona et Heriniaina Ramanitrarivo, auteurs de l’Enquête sur l’industrie textile-habillement-cuir, publiée conjointement par la IndustriAll Global Union et la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES, 2021). Cette étude a été entreprise afin de mettre à la disposition du personnel une base de données permettant d’améliorer et de renforcer le dialogue social.
Elle a été menée auprès de 10 entre- prises dont six à Antananarivo et quatre à Antsirabe. Ces deux villes ont été choisies en raison de leur capacité de proposition d’emplois. 70 personnes de la direction, des syndicats et des ouvriers des entreprises ont été approchées pour répondre à diverses questions relatives à leur vie de travail- leur, aux conditions générales de travail, à la sécurité et santé au travail, mais aussi sur les questions de la sécurité sociale des employés et des droits humains.
Accords
Néanmoins, ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont sujettes à ces dérives. Hery Lanto Rakotoarisoa, le président du Groupement des entreprises franches et partenaires (GEFP) défend mordicus la filière. « Il n’y a pas de plus formel que le tra- vail au sein des industries textiles parce que les conditions requises sont rudes, avance- t-il. Un audit avec des cabinets d’experts se tient régulièrement afin de vérifier le respect des ressources humaines, la santé du personnel, la sécurité au travail, le respect de la poli- tique salariale ou la sécurité sociale. Dire que les industries du textile ont de très mauvaises conditions de travail ne tient pas la route ».
Entre l’année 2020 et 2021, six nouvelles entreprises franches spécialisées dans le textile ont vu le jour. Elles ont permis de créer plus de 1000 emplois. Ces nouvelles unités peinent cruellement à combler le déficit créé par la suspension de Madagascar de l’African growth and opportunity Act (Agoa), en 2010, à cause des évènements de 2009. Plus de 25000 emplois avaient été perdus dans la filière textile, rien que pour le premier semestre. Également connu sous le nom de Loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique, ce programme a été mis en place en 2000 sous l’administration Clinton pour faciliter et réguler les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Afrique. L’accord garantit un accès en franchise de droits à des milliers de produits sur le marché américain pour de nombreux pays africains.
Certes, l’industrie habillement-textile est pourvoyeur d’emplois, mais de nombreux faits révélés par l’enquête dénoncent, entre autres, de mauvaises conditions de travail en son sein. Une grande partie des personnes interviewées dans le cadre de l’étude dénonce le non-respect du salaire minimum d’embauche, ce que réfute Hery Lanto Rakotoarisoa. Les syndicats pointent régulièrement du doigt une rémunération dans le secteur textile qui ne couvre même pas les charges mensuelles du salarié. «Un simple ouvrier d’une indus- trie franche consacre un nombre important d’heures à son travail. Il n’a plus de vie, mais il s’accroche à son poste. L’industrie textile donne du travail, mais n’offre aucune perspective de carrière. C’est triste, mais c’est la réalité », se désole Jean Raphaël Mananandro, le secrétaire général de la Confédération des syndicats des travailleurs malagasy révolutionnaires (Fisemare) qui abonde dans le sens de Barson Rakotomanga, secrétaire général du Syndicalisme et vie des sociétés (SVS).
Tournant
Le secteur textile se trouve dans un tournant historique. Les milliers de jeunes se bouscu- lant dans le monde du travail doivent être « casés » quelque part. Malgré ses imperfec- tions, il offre des opportunités d’emploi de premier ordre, d’autant plus que le contexte mondial est favorable à la Grande île. En janvier dernier, l’Éthiopie, un des géants africains de la filière, a été sanctionnée par les États-Unis. Avec les gouvernements malien et guinéen, l’administration éthio- pienne a été exclue de l’Agoa. Or, le traite- ment préférentiel des exportations vers les États-Unis est particulièrement important pour l’Éthiopie, en proie depuis près d’un an à un conflit militaire entre le Front popu- laire de libération du Tigré (TPLF) et les forces du gouvernement. C’est une porte qui s’ouvre pour la Grande île. « L’Éthiopie à elle seule laisse un vide sur le marché évalué jusqu’à plus de 600 000 millions de dollars que Madagascar peut saisir. Le différend entre la Chine et les États-Unis pourrait également profiter au pays. Madagascar peut devenir une destination textile mondiale », souligne le président du GEFP.
Le pays est en bonne posture et l’enquête effectuée par la FES et IndustriAll le confirme. De nombreux points positifs inciteraient les investisseurs à choi- sir Madagascar : le faible coût de la main-d’œuvre, la qualification des ouvriers, la disponibilité des matières premières, mais aussi la disposition législative et réglementaire favorable, entre autres. Le virage que peut prendre l’industrie textile doit être mieux négocié, notamment en termes de conditions de travail et de syndicalisation.
L’Enquête sur le textile-habillement-cuir explique que, certes, chaque industrie qui a fait objet d’enquête dispose au moins d’un syndicat, des employés ont soulevé des formes de restriction pour y adhérer. Certains dirigeants ne valorisent pas le syndicat, par exemple, en faisant la sourde oreille aux propositions, aux revendications ou encore aux demandes de dialogue. «Le rapport de force bénéficie souvent à l’entre- prise et affaiblit le syndicat. Compte tenu de cette situation, le personnel préfère se taire devant les abus ou les irrégularités », déplore le secrétaire général de la Fisemare. Les données statistiques de cette Confédération estiment qu’en moyenne 200 employés sur 1 000 rejoignent un syndicat.