Après le choc provoqué par la crise sanitaire et une turbulence engendrée par le contexte international tendu, le secteur textile veut retrouver son dynamisme. Le président du GEFP livre sa feuille de route et président du Groupement des entreprises franches et partenaires (GEFP) nous parle du secteur.
Pouvez-vous nous dire comment se porte le secteur textile après la crise engendrée par la Covid-19?
Hery Lanto Rakotoarisoa (H.L.R.) : En septembre 2020, 11 384 personnes étaient mises au chômage technique (18%), 318 ont été licenciées (0,5%) sur les 62 027 répertoriées membres du GEFP avant la Covid. Bien que ce secteur ait été la branche la plus touchée par la crise sanitaire et que près d’une vingtaine d’entreprises aient dû fermer temporairement durant le premier semestre 2020, la reprise économique mondiale en 2021 a impacté favorablement sur ce secteur. En effet, les commandes ont été relancées et la plupart des entreprises sont en pleine activité, actuellement. Six entre- prises de ce secteur ont été agréées en tant qu’entreprises franches en 2020 et 2021. Ce qui a permis de créer près de 1 064 emplois selon les données fournies par l’Economic development board of Madagascar (EDBM).
En parlant de chiffre d’affaires, comment évolue-t-il ces dernières années? À combien estime-t-on l’apport du secteur textile aux caisses de l’État?
H.L.R. : Pour les membres du GEFP, chiffre d’affaires de ces dernières années s’élève à 880 milliards d’ariary en 2018, 1 022 milliards, en 2019, et 910 milliards en 2020. Cette nette baisse est expliquée par le contexte sanitaire. Le secteur textile a contribué à, respectivement, 19%, 21% et 19% des exportations totales entre 2019 et 2021. Ce qui a rapporté 504, 408 et 505 millions en valeur Free on board (FOB), selon les données de la Banky foiben’i Madagasikara (BFM).
Récemment, le groupement du patronat a tranché sur la question du salaire minimum d’embauche. En effet, les 30 000 ariary seront pris en charge par l’État. Où en est l’application de ce décret? Comment vont s’organiser les entreprises ? Comme il est mentionné, l’État devrait prendre juste en charge la subvention pour l’année 2022, qu’en sera-t-il de l’année 2023?
H.L.R.:On attend l’arrêté sur les modalités de mise en œuvre du salaire minimum d’embauche annuels applicables par catégorie professionnelle avec ce complément versé par l’État. En attendant, les entreprises ont appliqué pour la plupart la grille des salaires minima adoptée par le Conseil national du travail (CNT) à sa réunion du 5 avril der- nier, soit une révision de près de 10%. Cette révision est – notons-le – issue du dialogue social entre le patronat et le syndicat des travailleurs en début d’année. Par contre, nous attendons jusqu’à ce jour les moda- lités d’application de cette subvention de 30 000 ariary de l’État de la part du ministère de tutelle. Elles tardent à venir, ce qui per- turbe le climat social au niveau des entre- prises. Ces partenaires sociaux devraient se réunir à nouveau pour discuter de la subven- tion pour la période de l’après 2022.
À la suite de la mission présidentielle à Vienne, la directrice de cabinet de la Présidence a estimé que le secteur textile à Madagascar pourrait fournir jusqu’à 40 000 emplois dans les prochaines années. Qu’en pensez-vous par rapport à sa faisabilité? Le pays dispose-t-il des moyens suffisants en termes de main-d’œuvre, de matières premières, d’électricité…
H.L.R.:Une mission conjointe avec le minis- tère de l’Industrialisation, du Commerce et de la Consommation (Micc), l’Economic development board of Madagascar (EDBM) et le GEFP a été effectuée au mois de juin 2022 à l’île Maurice. Le GEFP et son homologue, le Mauritius export Association (Mexa), s’étaient convenus de renforcer la coopération entre Madagascar et l’île Maurice et de mettre en avant l’image de la sous-région. Dans ce sens, il a été avancé de jouer sur la complémentarité régionale. Il a été aussi prévu de travailler ensemble à travers un Memorandum of understanding (MOU) sur plusieurs volets dont l’un des objectifs significatifs pour les cinq années à venir est de créer 80000 emplois grâce à cette coopération. Il sied de noter qu’en matière de textile, Madagascar dispose de main-d’œuvre suffisante, facile à former, dont la renommée et la dextérité ne sont plus à discuter. Une énergie suffisante et de qualité constitue un élément essentiel à l’atteinte de cet objectif. Une forte implication de l’administration s’avère également importante. Outre le contexte géo- politique favorable actuel, la bataille pour la reconduction de l’African growth and opportunity act (Agoa), qui expirera en 2025, est un défi de taille. La stabilité politique, juridique et fiscale facilitera aussi bien sûr l’atteinte ou le dépassement de ces objectifs.
L’étude que la Friedrich-Ebert- Stiftung (FES) et IndustriALL Global Union a menée conjointement pointe du doigt une situation problé-matique relative au salaire dans le domaine textile. Même si le salaire minimum réglementaire semble être respecté par la plupart des entreprises, du moins sur le papier, des cas sont relevés où, en réalité, les travailleurs ne touchent pas ce minimum. Qu’y répondez-vous?
H.L.R. : Les employés des entreprises franches ne perçoivent plus de rémunérations inférieures à 250 000 ariary. D’ailleurs la présidence a été sensibilisée sur ce point lors de la réunion de concertation que le président de la République a tenue avec les groupements du secteur privé le 29 avril 2022. Il y a lieu de distinguer le Salaire mini- mum d’embauche et d’ancienneté (SMEA) qui est la partie fixe et la rémunération qui inclut les éléments variables du salaire tels que les heures supplémentaires et les primes diverses. Pour revenir à votre question: je n’ai pas eu connaissance de cette étude, mais je suppose qu’elle a eu lieu lors des perturbations dues à la crise sanitaire encore en cours actuellement. L’explication est donc tirée de la définition du salaire qui, selon le Code de travail est “la contrepartie du travail fourni”. Ce qui suppose que certaines personnes ayant fait un temps partiel ne toucheront que le salaire correspondant au prorata de leur temps de travail effectif. Il y a eu plusieurs périodes durant ces crises où beaucoup de personnes travaillaient à temps partiel. Je ne sais pas si c’est mentionné dans cette étude le fait que beaucoup d’entreprises ont apporté des soutiens massifs à leur personnel durant ces périodes de confinement pour leur fournir un revenu afin de leur permettre de vivre. Des termes comme “crédit de congé” sont apparus durant cette période, une astuce pour ceux qui ont pu le faire afin de continuer à donner quelque chose aux collaborateurs.
Le salaire est un élément de compétitivité de la Grande île. Cependant, des employés déplorent des salaires trop bas, notamment dans les entre- prises franches. Comment maintenir cette attractivité tout en assurant un salaire décent?
H.L.R.:Comme je l’ai mentionné plus haut, les entreprises franches ne perçoivent plus de salaires inférieurs à 250 000 ariary. Elles respectent déjà les SMEA dictés par l’État. Par ailleurs, la fixation des salaires minima se fait toujours à travers une pleine consultation avec les partenaires sociaux. Il convient de noter que les entreprises franches embauchent beaucoup de mains-d’œuvre non qualifiées. Elles leur offrent un salaire plus élevé par rapport aux autres alternatives pour cette catégorie de travailleurs. Les salaires payés au sein des entreprises franches sont nettement supérieurs à la moyenne nationale pour des catégories professionnelles comparables, mais comme elles ont un effectif important et que les syndicats y sont très actifs, et que nous ne communiquons pas beaucoup, il est normal qu’il y ait autant de revendications qui se font entendre de la sorte.
Dans les entreprises franches, des formes de restriction du droit de création et d’adhésion aux syndicats, ainsi que des cas de refus parfois systématiques de donner suite aux propositions et revendications syndicales ainsi qu’aux demandes de rencontres formulées par les syndicats sont parfois ob- servées de la part de l’employeur. N’est-ce pas porter atteinte à un droit fondamental?
H.L.R.:Madagascar est membre de l’Organisation internationale du travail (OIT) dont la liberté de création et d’adhésion aux syndicats constitue un des principes fondamentaux. Toutes les entreprises se doivent de se conformer à ce principe de liberté syndicale individuelle ou liberté syndicale collective, qui est garanti par la Constitution Malgache. Il faudrait rappeler que la commission sociale du GEFP se réunit tous les ans avec les syndicats membres de la Conférence des travail- leurs de Madagascar (CTM) pour discuter des thèmes proposés par les syndicats. Par ail- leurs, le Code de travail a été modifié, notamment pour protéger les travailleurs à travers le droit syndical. Je pense que, comme les entreprises franches sont les plus enclines à enregistrer des syndicats, il est plus facile de river les yeux sur elles, de décortiquer et de critiquer toutes leurs imperfections. Mais si on accorde les mêmes intérêts aux autres secteurs, la question même de l’existence de syndicat se pose.
La question de l’engagement pose d’importantes problématiques dans les entreprises franches. La tendance croissante à recourir aux types d’engagement à durée déterminée ou temporaire nuit sérieusement à la stabilité de l’emploi, y compris pour les travailleurs ayant un Contrat à durée indéterminée (CDI), qui se sentent menacés d’être remplacés par des « temporaires ». Comment aborder cette problématique ? Et quelles devraient être les réponses du patronat?
H.L.R.:Certaines entreprises sont soumises à des saisonnalités comme dans certains secteurs comme le Bâtiment et travaux publics (BTP), par exemple. La programmation des embauches est donc organisée en fonction de la disponibilité des commandes. Une partie des effectifs est fixée et a des contrats à durée indéterminée et une autre est variable. La crainte des agents en CDI n’est pas tou- jours fondée, ceci dépend de la communication interne au sein de chaque entreprise.
Les conflits entre employeurs et tra- vailleurs sont-ils fréquents? À votre avis, pourquoi ce problème?
H.L.R.:Tout dépend de chaque entreprise et des relations employeurs-employés. Tout conflit devrait être résolu à travers des dialogues, et ce, afin de permettre une réelle cohésion interne et de développer un sentiment d’appartenance et de loyauté des salariés. Toutefois, nous notons qu’à chaque fois qu’une affaire est portée au niveau du tribunal de travail, dans la plu- part des cas, l’employeur fait toujours office de “méchant” et subit parfois des sanctions disproportionnées…
Comment établir un dialogue social efficace au sein des entreprises?
H.L.R.:Tout le monde devrait être concerné par le dialogue social. L’ensemble des salariés doit être informé, consulté et impliqué sur des thématiques qui impactent l’entreprise et le travail. Dans ce sens, il faudrait soutenir l’envie de dialoguer, promouvoir le rôle et l’implication des représentants du personnel. Notre groupement est hautement impliqué dans la promotion du dialogue social, de la santé et de la sécurité au travail avec l’OIT qui a initié des ateliers et des formations sur ces thématiques ces dernières années.
Lova Ralambomamy