Le syndicalisme joue un rôle important dans la promotion et la valorisation des droits des travailleurs. Il est en première ligne dès qu’il s’agit de défendre le droit des travailleurs, notamment dans les entreprises franches. Le secrétaire général de la Confédération des syndicats des travailleurs malagasy révolutionnaires (Firaisamben’ny sendikan’ny mpiasa malagasy revolisionera, Fisemare), Jean Raphaël Mananandro, apporte plus d’explications sur la vie syndicale.
Le syndicalisme fait face à d’importantes mutations. Comment se porte la Fisemare aujourd’hui? Jean Raphaël Mananandro (J.R.M.) : La Fisemare est présente dans 20 régions et compte plus de 9000 membres dont une grande partie vient des rangs de près de 300 sociétés de la capitale. Bien qu’une augmentation importante des encartés ait été enregistrée pendant et après la crise sanitaire, la moyenne reste faible, nous recensons en moyenne moins de 30 adhérents par entreprise. Il faut aussi préciser que même si le nombre des membres a augmenté, beaucoup ne s’acquittent pas de leur cotisation qui n’est pourtant que de 5 000 ariary par an.
Comment expliquez-vous ce désintérêt ?
J.R.M : De nombreuses raisons poussent les travailleurs à quitter un syndicat ou à demeu- rer inactifs en leur sein. Tout d’abord, il y a la méconnaissance du Code de travail et force est de constater que les entreprises ne font pas non plus d’effort pour sa vulgarisation. Le manque de temps est aussi révélé comme un autre facteur bloquant important. Trop pris par son travail, l’employé se désintéresse complètement de la vie syndicale. Certains ne sont tout simplement pas convaincus de l’efficacité du syndicat. Certains membres ne s’estiment appartenir à un syndicat que lorsqu’ils ont des problèmes avec leur employeur. C’est seulement à ce moment-là qu’ils se sentent obligés d’honorer leur contribution.
Qu’est-ce qui pourrait remettre en cause l’efficacité d’un syndicat?
J.R.M:Un syndicat peut être affaibli par les diverses pressions et les menaces qu’il reçoit de la part de l’administration. Devant cette situation, bon nombre d’employés choisissent de garder le silence au lieu de se fier au syndicat. Mais il faut aussi reconnaître que certains membres du bureau syndical bénéficient d’avantages de la part de l’employeur au détriment des droits des travailleurs. Il ne faut donc pas s’étonner si la confiance ne règne plus et que le syndicat s’affaiblit. Toutefois, ce ne sont pas tous les syndicats qui se laissent faire. Pour la Fisemare en particulier, 90% des dossiers traités ont eu gain de cause.
Justement, quels sont les avantages dont pourrait bénéficier le travailleur en se syndiquant?
J.R.M : Notre premier rôle est d’aider le travailleur à préserver son travail tout en prenant en considération ses droits. Notre équipe d’experts l’accompagne et le conseille sur les décisions à prendre. De nombreuses problématiques liées à l’emploi peuvent être résolues sans qu’il y ait une casse, de part et d’autre. Nous accordons de l’importance au dialogue social et à la négociation. Notre champ d’intervention va de la médiation entre employeur et employé à l’accompagne- ment en cas de procédure au niveau de l’inspection du travail ou éventuellement dans le cadre d’un processus judiciaire si nécessaire. Par ailleurs, la Fisemare octroie aussi de nombreuses formations notamment sur le Code de travail, la vie syndicale, le bon comporte- ment à adopter sur le lieu de travail, les techniques de communication et de négociation, sur le dialogue social… à ses membres. Notre équipe de formateurs rejoint les lieux de travail. Je profite pour rappeler que le Code de travail accorde 12 jours de congé-éducation payé par an à chaque travailleur, mais peu de personnes le savent. Ce droit fondamental est bafoué.
Le marché du travail a traversé une zone de turbulence très forte à cause de la situation internationale et de la pandémie. Cela se traduit-il dans les dossiers que vous traitez ?
J.R.M : La confédération enregistre un nombre important de plaintes depuis la crise sanitaire. Nous enregistrons cinq dossiers par jour au minimum. Restituons-nous dans
le contexte. L’accroissement du nombre de personnes infectées par la Covid-19 avait amené l’État à suspendre les transports en commun, à réduire les contacts physiques et à développer le télétravail. De nombreuses entreprises qui ne pouvaient pas se permettre de se conformer à toutes ces conditions ont exposé leur personnel au risque de contamination. Par ailleurs, il y avait aussi une forte compression de personnel, de nombreux travailleurs envoyés en chômage technique… sans que l’employeur ait pu honorer leurs droits. Il a fallu redoubler d’efforts pour accompagner les plaignants, d’autant plus que l’inspection du travail a limité ses activités compte tenu de la situation sanitaire. Le licenciement abusif, le non-respect du Code de travail, les divers abus et exploitations, le non-respect du règlement intérieur, la non-affiliation à la Caisse nationale de pré- voyance sociale (Cnaps)… sont les plaintes les plus récurrentes auprès de la Fisemare. La majeure partie des plaignants sont issus des zones franches, des sociétés de sécurité ou encore des entreprises de bâtiments et des travaux publics.
Vous avez dit que 90% des cas traités ont reçu gain de cause. Les employeurs sont-ils coopératifs et ces résultats sont-ils satisfaisants ?
J.R.M.:Ce taux de réussite confirme effectivement la force de notre syndicat. Cela nous motive même si les résultats ne sont pas toujours satisfaisants. La meilleure solution est le dialogue social. Il s’agit prioritairement de régler la situation au niveau des deux parties, mais le fait est que les employeurs préfèrent généralement opter pour la voie formelle légale. Cette option joue en leur faveur parce que le tribunal du travail met des mois, voire des années pour trancher sur un dossier. Une peine minimale qui ne coûte rien à l’entreprise est souvent rendue. Pourquoi cette lenteur? Le tribunal du travail ne dispose pas du budget nécessaire pour recruter davantage de ressources humaines. Les plaignants perdent patience et sont souvent déçus par la décision du tribunal qui, pour deux dossiers de même cause, prononce deux verdicts différents.
Quelles sont les mesures à prendre pour améliorer la vie syndicale ?
J.R.M : Il faut rappeler que bon nombre d’employés n’entendent parler du syndicat qu’une fois dans le monde du travail. Une campagne de communication régulière est indispensable. De même pour le Code de travail, la sensibilisation relève du devoir de l’entreprise, mais également des syndicats. En connaissance de ses droits, l’employé dispose de bons arguments pour défendre une cause ou pour dénoncer les irrégularités qui pourraient survenir. L’État doit aussi apporter sa contribution, notamment en nous appuyant dans la réalisation des formations que nous dispensons déjà, mais qui méritent d’être soutenues davantage. Par ailleurs, nous estimons qu’il est aussi important d’apporter une amélioration au sein de l’inspection du travail qui est en étroite collaboration avec les syndicats. Nous avons constaté des irrégularités comme l’octroi d’une autorisation d’appliquer un an d’heures supplémentaires alors que le Code de travail prescrit six mois par an au maximum. Je pense qu’un change- ment de comportement de la part de tous les acteurs est requis pour apporter une amélioration à la vie syndicale.