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Interview du Dr Herinjatovo Ramiarison : « La faible employabilité est liée au niveau de compétence et d’instruction »

EconomieInterview du Dr Herinjatovo Ramiarison : « La faible employabilité est liée au niveau de compétence et d’instruction »

Le Dr Ramiarison Herinjatovo est un visage bien familier dans le monde des recherches. Économiste engagé, il a diagnostiqué et analysé les expériences politiques de Madagascar durant ces dix dernières années en termes d’emplois. Il nous livre son regard dans ce domaine et dans l’économie en général.

Vous êtes à l’origine de l’étude Création d’emplois à Madagascar, défis et recommandations. Justement, quels sont ces défis pour le secteur emploi à Madagascar ?

Dr Herinjatovo Ramiarison (Dr H.R.) : Les Malgaches travaillent aujourd’hui essentiellement pour survivre. Travailler correspond à avoir une activité ou une occupation rémunératrice. Mais la grande majorité perçoit de ceux qui travaille perçoit des revenus faibles qui sont issus d’activités que l’on qualifierait d’instables. 90 % des emplois à Madagascar sont catégorisés dans le secteur informel. Ils sont considérés comme des emplois non productifs ou précaires.

Ces travailleurs ne bénéficient ni de protections sociales, ni de garantie de retraite, ni d’une couverture santé. La population demeure pauvre. Seulement 14 % de la population active du pays ont un emploi décent que l’on qualifie d’emploi salarié. Ils touchent le Salaire minimum d’embauche (SME). La faible employabilité est liée au niveau de compétence et d’instruction, qui sont tous deux assez faibles pour Madagascar. À noter que 70 % des Malgaches ont le niveau primaire alors que la qualité de l’éducation fondamentale laisse à désirer. Il est important de souligner que le manque main-d’œuvre potentielle qualifiée constitue un obstacle à la création d’activité d’une entreprise qui exige une certaine qualification des employés afin d’atteindre un certain niveau de productivité. Par ailleurs, l’enseignement technique et professionnel – qui devrait être un réservoir de mains-d’œuvre – n’intègre que 35 000 élèves, soit tout juste 10 % des étudiants qui devront suivre cette formation.

Quels sont les recommandations que vous avez avancées ?

Dr H.R. : La solution est simple et complexe à la fois. Il faudrait briser ce cercle vicieux que forment les emplois précaires, le problème d’employabilité, la productivité et la pauvreté. Si nous voulons augmenter le niveau d’employabilité, il faudrait investir massivement. L’enjeu est d’augmenter le niveau d’instruction et de compétence de la population. L’amélioration de l’employabilité s’opère à moyen terme. Dans un premier temps, il est essentiel de transformer les emplois précaires actuels en emplois productifs et décents. Il importe de trouver des activités que peuvent exercer ces travailleurs qui ont un niveau d’employabilité moins avancé. Je prends les exemples du textile, du tourisme et de l’agriculture.

Dans le secteur textile, nous faisons preuve d’un avantage comparatif en Afrique depuis plusieurs années. Nous avons un potentiel naturel inégalable pour le tourisme. Ce secteur peut générer énormément d’emplois, directs et indirects, qui vont bénéficier à ceux qui vivent en milieu rural. Il peut amener une nette amélioration de la vie de ceux qui ont toujours vécu dans des conditions de précarité. À travers le tourisme, nous pourrions également développer diverses activités connexes telles que l’agriculture, l’artisanat, la pêche, les services, etc.

L’agriculture, traditionnellement, emploie plus de 70 % des Malgaches. Cependant, les conditions de travail figurent parmi les plus précaires et la productivité demeure faible. Il faut avoir en tête que nous ne sommes pas donc obligés de toucher beaucoup de secteurs. Il faut commencer avec des méthodes simples mais en utilisant les ressources que nous possédons. C’est pour cela que je soutiens que si nous nous basions sur ces trois secteurs, ils ne nécessitent pas énormément d’investissements. Il faudrait mettre en place une politique adéquate pour les développer et apporter un appui concret aux entrepreneurs qui y œuvrent.

Vous parlez d’investissement. Cependant, l’environnement des affaires à Madagascar est-il favorable aux investissements ?

Dr H.R. : Nous avons adopté une politique libérale. Selon les partenaires techniques et financiers, la sainte trinité du libéralisme est « stabiliser », « privatiser » et « libéraliser ». Cette politique fait que l’environnement des affaires est moins attrayant. D’une manière générale, on peut noter que les Malgaches ne sont pas très enclins à l’idée investir. C’est pour cela que nous préférons laisser les investissements aux étrangers. De plus, le marché à Madagascar n’envoie aucun signal pour démontrer les profits que peuvent apporter des secteurs capables de créer des emplois en masse.

N’oubliez pas que les investisseurs observent les signaux émanant du marché pour décider dans quel secteur investir. Il est du devoir de l’État de développer ce marché à travers les mesures incitatives. Si nous voulons encourager les investissements, il faudrait mettre en place une politique adéquate avec des mesures incitatives particulières. Les mesures peuvent prendre différents aspects : accord de prêt à taux d’intérêt zéro, exonération de taxes pendant une période définie, subvention de l’électricité… Il est important alléger les coûts de production.

L e secteur privé accuse souvent l’État de ne pas faire assez d’effort ?

Dr H.R. : L’État a quand même fait des efforts. Il a déjà mis en place des mesures incitatives pour le secteur privé comme les subventions pour stabiliser le coût du pétrole par exemple, ou encore les exonérations des droits de douanes pour l’importation de matériel de production, etc.

Mais on peut apprécier que ces décisions n’ont que peu d’impact car peu de critères de performance ont été exigés de la part des bénéficiaires. Notre secteur privé est devenu à la limite un rentier. L’État n’a pas su imposer des contreparties productives. En termes économique, le profit tiré des contreparties productives est important. Il influe sur la productivité et la création d’emplois. Les subventions doivent être accompagnées par des critères de performances, sinon elles ne deviennent que des rentes pour les entrepreneurs. Il est indispensable d’exiger dans le contrat de performance des indicateurs bien définis sur le temps.

L’entreprise devrait ainsi investir la subvention qu’elle reçoit, dans de nouvelles acquisitions de matériel par exemple, pour pouvoir produire à moindre coût des produits de qualité afin de se mesurer à la concurrence. Ce qui se passe chez nous c’est que les partenaires techniques et financiers voudraient bien interdire à l’État d’apporter des subventions car elles ne débouchent que rarement sur les effets escomptés. Elles ne font que creuser le budget étatique et engendre une inflation et un déséquilibre macroéconomique qui aboutit à un grand retard de développement. Les dépenses sont mal ciblées et deviennent des charges pour l’État. Ce qui rend le pays de plus en plus pauvre.

Vous soutenez que la prédominance du secteur informel représente un fort potentiel pour Madagascar…

Dr H.R. : Ces trois secteurs prioritaires que j’ai cités regroupent déjà une grande majorité des activités informelles à Madagascar. Paradoxalement, elles sont profitables à un large pan de l’économie. Mais elles nécessitent l’accroissement de leur productivité. Et il faut savoir que 80 % des clients du secteur informel viennent du secteur informel. À noter que dans l’informel, il n’y a pas de monopole mais une concurrence pure. Chacun doit savoir attirer les clients à travers des approches innovantes. Un grand sens du business est développé chez ces personnes œuvrant dans le secteur informel. Il faut se rendre compte que les pays asiatiques ont connu leurs émergences à travers tout d’abord le secteur informel.

Il a permis de booster leur économie. Le parallèle peut être fait chez nous : beaucoup de personnes vivent et survient dans l’informel, même s’il est ardemment pointé du doigt. Traquer les vendeurs informels pourrait bien engendrer une crise socio-économique grave. Je crois que dans une optique visionnaire, au lieu de le pourchasser, il faudrait soutenir le secteur informel.

Par exemple : une entreprise évoluant dans le secteur informel, qui dispose d’un minimum d’outils de production pourrait accroitre ses activités et sa productivité avec un peu de soutien. Ces structures ont besoin de formations et d’outils plus performants pour améliorer leur production. À l’exemple des produits de confection malgaches, dont les artisans pourront eux-mêmes devenir des fournisseurs de zones franches. Autant donc prendre le secteur informel comme allié que comme l’ennemi à abattre.

À quel niveau la crise sanitaire a-t-elle impacté le secteur de l’emploi ?

Dr H.R. : L’emploi n’a pas été le seul domaine qui a été affecté par la crise et ce n’est pas la première fois. Notre pays qui est déjà vulnérable en a subi de lourdes conséquences. Cela ne devrait pas nous empêcher d’aller de l’avant. Il faut savoir comment résister et atténuer ces impacts.

Les autres pays ont connu pire situation mais ils ont réussi à se relever. Pour moi, ce n’est pas la crise qui nous a mis dans notre situation actuelle mais plutôt la façon dont nous menons – et dont nous avons toujours mené – notre économie. D’ailleurs, nous n’avons pas de politiques appropriées et claires qui auraient pu amortir les chocs de la crise.

Que pensez-vous de la hausse du salaire ? Peut-elle induire une dynamique positive ?

Dr H.R. : Je trouve que la révision des salaires des agents de la fonction publique crée une inégalité avec des hausses allant de 25 %, 13 % à 5 %. Il importe de réviser les grilles, selon les catégories. Il ne sera pas évident qu’un subordonné reçoive un traitement plus important que son chef de service. Il faut diminuer la différence d’indice entre hiérarchie pour avoir une équité. Pour le secteur privé, l’augmentation raisonnable serait de 10 %. Au-delà, la hausse pourrait entraîner un effet catastrophique sur la trésorerie de l’entreprise.

Une fermeture n’est pas à exclure. L’État propose un salaire minimum d’embauche de 250 000 ariary. Il serait dans l’obligation de compléter l’écart de 30 000 ariary en touchant à la caisse publique. Le financement de ce déficit viendra du contribuable. Nous nous retrouverons dans une situation dans laquelle l’argent de la population qui est déjà pauvre que l’on ponctionne pour compléter l’argent des salariés, qui représentent à peine 15 % des travailleurs seulement et qui reçoivent déjà le SME. Dans tous les cas, les salaires ne peuvent pas permettre un épanouissement, dans la majeure partie des cas, là où nous en sommes. Mais nous ne pouvons pas non plus les augmenter davantage, ce qui entrainerait une explosion du coût de production. L’augmentation de salaire devrait concorder avec l’augmentation de production.

De manière générale, pourquoi n’arrive-t-on pas jusqu’ici à sortir la tête hors de l’eau ?

Dr H.R. : Les Pays les moins avancés (PMA) en Afrique vivent à peu près la même situation. Les crises politiques enrayent les cycles de développement ainsi que la continuité de l’Etat. Souvent, les programmes ont déjà couté énormément d’investissements. Dans tous les cas, il faut se rendre à l’évidence, cela fait déjà plus de 60 ans que nous n’avons connu aucun changement majeur. Nous avons stagné dans l’agriculture de subsistance. Nous ne savons pas établir l’ordre de priorité dans nos activités. Nous avons tendance à vouloir tout faire en même temps.

Au final, nous nous éparpillons. Dans le cadre des 13 velirano, nous voulons réaliser plusieurs projets d’infrastructures en même temps. Pourtant, il faudrait concentrer nos efforts et nos ressources sur un seul secteur à la fois : par exemple prioriser l’éducation. Tout en construisant des écoles, il faudrait s’assurer de la disponibilité des enseignants et surtout garantir leur compétence. Dans cette optique, il faudrait aussi multiplier les lycées agricoles, les formations professionnelles, etc. tout en renforçant la capacité et le nombre des formateurs. Une fois le niveau d’employabilité rehaussé, on pourra par la suite se tourner vers d’autres branches industrielles telles que l’agrobusiness, l’électronique… Ce concept est appelé « industrialisation de rattrapage » qui a conduit au développement de la plupart des pays asiatiques.

Van-Lee Behaja

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