Si la « FrançAfrique » occupe toujours les espaces de débats politiques, la « ChinAfrique » s’infiltre lentement, mais sûrement dans ceux de l’économie. L’essor des relations entre la Chine et l’Afrique constitue le plus grand bouleversement politico-économique du continent africain depuis la fin de la guerre. La Grande île n’échappe pas à l’appétit de l’Empire du Milieu.
Une étape importante vient d’être franchie avec le vingtième congrès national du Parti communiste chinois au mois d’octobre dernier. L’ambassadeur de la Chine auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Li Chenggang, parlait de « création de nouvelles opportunités » pour toutes les régions du monde, y compris l’Afrique, devant une dizaine de journalistes africains qui se sont formés à Genève.
Plein fonctionnement des institutions multilatérales
Le développement de haute qualité chinois devra, selon Li Chenggang, créer un nouvel espace pour le monde, en termes de modernisation industrielle et d’expansion du marché. La Chine est déjà un marché qui compte plus de 1,4 milliard d’habitants et plus de 400 millions de personnes à revenu moyen. Attaché à une politique fondamentale d’ouverture au monde extérieur, l’Empire du Milieu a déjà fait part de son intention de poursuivre la négociation d’accords de libre-échange de haut niveau avec ses partenaires commerciaux et à promouvoir le plein fonctionnement des institutions multilatérales telles que l’OMC.
Mais pour donner un nouvel élan à l’économie mondiale, la Chine réalise qu’elle doit continuer à faire avancer les réformes, à optimiser l’environnement de développement des entreprises privées, à construire un système de marché de haut niveau et à perfectionner les systèmes qui sous-tendent l’économie de marché. Elle fait également face à d’autres enjeux majeurs, tels que la promotion du développement vert.
C’est pourquoi, au cours des cinq prochaines années, le pays entend mettre davantage l’accent sur la réduction des émissions de carbone et visera une transition écologique globale dans son développement économique et social. Ce, en participant activement à la gouvernance mondiale en réponse au changement climatique. Et puis, la Chine veut prôner un véritable multilatéralisme. Elle se dit prête à travailler avec la communauté internationale pour relever collectivement les défis mondiaux et poursuivre une gouvernance mondiale caractérisée par une croissance partagée avec la discussion et la collaboration.
Potentiel de développement
Sur le plan bilatéral, l’Empire du Milieu affirme être le premier partenaire commercial de l’Afrique depuis 13 années consécutives. En 2021, le total des échanges bilatéraux entre la Chine et l’Afrique a dépassé les 250 milliards de dollars. Pour l’ambassadeur Li Chenggang qui travaille à l’OMC, ce lien commercial avait « renforcé la capacité des économies africaines à relever les défis de la pandémie et a donné un élan constant à la reprise économique de l’Afrique ».
En octobre 2022, Business Insider Africa avait exposé que les échanges entre les deux parties se portaient bien. L’année dernière, ils ont augmenté de 16,6% par rapport à 2021. La valeur du commerce entre la Chine et l’Afrique est huit fois supérieure à celle du commerce entre les États-Unis et l’Afrique, et 15 fois supérieure à celle du commerce entre la France et l’Afrique. Bien que l’Afrique ne représente que 3% des importations de la Chine, ces opérations témoigneraient déjà d’un énorme potentiel de développement. Une augmentation de 19,1% des produits importés par la Chine en provenance d’Afrique avait été enregistrée pour la même période.
Mais ce sont des échanges qui ont profité davantage à l’économie chinoise. François Giovalucchi et Juvence Ramasy exposent dans leur publication La Chine à Madagascar, entre opportunisme politique discret et trafics intenses, au mois de novembre 2022, que « comme ailleurs en Afrique, la Chine occupe à Madagascar une place prépondérante parmi les exportateurs, tout en étant un importateur de second rang ».
La publication du Bureau de l’économie et du commerce de l’Ambassade de la République populaire de Chine dans la Grande île au mois de juin de l’année dernière livre un aperçu. Il y est rapporté que la Chine est le premier partenaire commercial et la plus grande source d’importations de Madagascar pendant au moins sept années consécutives. Selon les chiffres de l’administration douanière malgache repris par ce bureau chinois, le commerce bilatéral de marchandises entre les deux pays avait atteint 1,36 million de dollars en 2021. Les importations de Madagascar en provenance de la Chine valaient 1,28 milliard de dollars, si les exportations de Madagascar vers la Chine rapportées par la douane chinoise n’étaient que de 329 millions de dollars. Et là, c’est la différence de niveau de développement et de structure économique entre les deux pays qui est avancée pour justifier cet excédent commercial.
Tirer profit des échanges
Pour François Giovalucchi et Juvence Ramasy, en tout cas, la Chine est « un débouché modeste du commerce formel » qui « importe quasiment des matières premières » de Madagascar. Ils rapportaient alors qu’en 2020, le marché chinois absorbait 6% des exportations de la Grande île, loin derrière la France (23,1%) et les États-Unis (22,5%). L’ambassade de Chine insiste néanmoins sur le fait que l’accord relatif aux droits de douane à tarif zéro sur 97% des biens africains exportés vers la Chine avait été accueilli favorablement par les opérateurs malgaches et avait promu les exportations malgaches vers cette destination. Si les produits exportés par Madagascar vers la Chine étaient principalement des produits minéraux et des produits de mer en 2020, les produits chinois importés par la Grande île étaient diversifiés. Ils varient de matières premières, des équipements mécaniques et électriques, du riz, des matériaux de construction et des produits pharmaceutiques.
Une équipe de l’économiste Olivier Ramiandrisoa avait publié il y a quelques années une étude sur l’apport des relations commerciales avec la Chine pour Madagascar. Elle a conclu que « l’excès d’importations pourrait (…) être bénéfique pour la Grande île lorsque ces achats de produits chinois ne concurrencent pas l’industrie locale, mais constituent une alternative aux importations plus coûteuses venant des autres pays, particulièrement de l’occident ».
Ce qui est également, selon eux, profitable aux consommateurs qui peuvent satisfaire leurs besoins en dépensant moins. L’étude a aussi avancé que certains secteurs « tirent indirectement profit des échanges extérieurs entretenus par la Chine ». L’explication donnée par cette équipe était que comme ce pays exporte des produits comme les voitures, le riz, les céréales ou encore les appareils électriques sur le marché mondial, « leurs cours internationaux affichent une tendance à la baisse et les secteurs malgaches concernés arrivent par conséquent à réduire leurs coûts d’importation ».
Mise aux normes
Mais cette importation vient pénaliser l’économie malgache quand ces produits chinois détruisent l’industrie locale et font perdre des emplois. Dans l’article, l’équipe d’Olivier Ramiandrisoa avait pris l’exemple de l’importation de produits textiles « qui influe négativement sur l’activité de certaines sociétés locales ». Elle rappelait alors en passant que « certaines entreprises comme la Sotema et la Hasima, ont même dû fermer leurs portes ». Par ailleurs, les Chinois ne sont pas seulement « fournisseurs » de Madagascar à partir de la Chine. Ils sont plusieurs à s’implanter dans la Grande île pour commercer. Ils établissent leurs affaires, non seulement en concurrence avec des opérateurs malgaches, mais également avec des commerçants d’autres nationalités. Bien que les produits made in china qui sont sur le marché soient en grande partie qualifiés par les consommateurs de basse qualité, ils apprécient quand même les prix de ces produits, compte tenu de leur faible pouvoir d’achat.
Et pourtant, la Chine se veut être très exigeante par rapport à la qualité des produits malgaches qui peuvent entrer sur son territoire. Jiang Xuejun du Centre du commerce international (ITC) s’est par exemple rendu à Madagascar pour discuter avec le ministre de l’Industrialisation et du Commerce Edgard Razafindravahy du projet de Partenariat pour la capacité d’exportation d’Afrique vers la Chine. Il avait été indiqué que Madagascar figure parmi les huit pays africains à être soutenus par ce programme. La mise aux normes des produits malgaches pour qu’ils se conforment aux exigences du marché chinois avait alors été abordée par les deux responsables. Ils se sont accordés sur l’importance du respect des réglementations sanitaires et phytosanitaires (SPS) exigées par la Chine pour les produits agricoles et alimentaires.
La mise en place d’une agence ou d’un bureau des normes chinoises à Madagascar avait été proposée par le ministre Edgard Razafindravahy « afin que tous les produits destinés à la Chine et qui ont été agréés par ce bureau ne risquent plus d’être refoulés ou bradés à cause d’un manquement aux mesures SPS ». Madagascar avait signé avec la Chine un accord commercial en 1974, suivi d’un accord de Coopération commerciale, économique et technique en 1995. S’en suivait en 2005 la signature de l’accord sur l’établissement d’une commission mixte de coopération économique et commerciale ainsi que celle pour la promotion et la protection réciproques des investissements. Et puis, il y avait en 2017 la signature du mémorandum d’entente sur la promotion conjointe de l’initiative « La Ceinture et la Route ».
Image
Depuis l’établissement de cette relation, la partie chinoise rapporte fièrement que, selon leur ministère du Commerce, le stock de l’investissement direct chinois à Madagascar à la fin 2020 avait atteint 391 millions de dollars. L’agriculture, la pêche, l’industrie manufacturière et les services ont été les principaux domaines d’investissement des entreprises chinoises dans la Grande île. « Avec le sens du droit et le respect des lois, les entreprises chinoises à Madagascar gèrent de manière consciencieuse leur intégration dans la communauté locale, elles se lancent dans le développement industriel et social du pays, créent des emplois locaux, contribuent au progrès technologique, à l’amélioration du capital humain et aux résiliences des populations », avait avancé Guo Xiaomei, Ambassadrice de Chine à Madagascar, au mois de mars 2021.
Pourtant, dans leur publication, François Giovalucchi et Juvence Ramasy rapportent une « image dégradée » de la Chine. Ils relatent dans le résultat de leur recherche des problèmes sur les relations de travail, des questions d’appropriation foncière et d’atteinte aux ressources naturelles ou au patrimoine, ainsi que la corruption. Ils y rapportent également « des actes de maltraitance vis-à-vis de salariés ou d’irrespect vis-à-vis de clients dans les commerces de Behoririka, qui sont régulièrement évoqués dans le débat public malgache ». Ils ne manquaient pas d’y énumérer des dossiers comme le conflit social au sein de la société sucrière Sucoma ou le projet minier de Soamahamanina qui a dû être abandonné.
Dans son discours durant la célébration du cinquantième anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et Madagascar au mois d’août 2022, l’ambassadrice Guo Xiaomei défend l’image de son pays. « Certes, certains Chinois et quelques entreprises chinoises n’ont pas pu tenir des comportements corrects durant leurs activités, mais cela ne représente pas l’image globale des entreprises chinoises ni ne reflète non plus la coopération sino-malgache. Face aux éventuelles activités illicites des entreprises, la Chine ne les protège et ne les tolère jamais », rassurait-elle.
Rado Andriamampandry