Tous les voyants économiques sont au rouge ! La Grande île sort péniblement de la crise sanitaire alors qu’une récession terrible se profile à l’horizon. Madagascar est en pleine tempête.
Le regard grave, Nivo et son enfant arpentent le marché de Mananjary. Même si le makalioaka a baissé de 100 ariary pour se stabiliser à 750 ariary, après avoir tutoyer les 850 ariary il y a quelques semaines. Le kapoaka est encore amer pour elle. Mais elle doit faire avec, comme de nombreuses autres familles d’ailleurs. Nivo et sa famille ont subi de plein fouet les conséquences du cyclone tropical Emnati et peinent à se relever de la crise de la Covid-19. L’inflation est belle est bien là.
Niveau de vie
À 700 km de là, autre salle, autre ambiance. L’équipe de la Banque mondiale affiche aussi une mine grave avant de présenter la note de conjoncture économique de Madagascar, intitulée Perspectives économiques de Madagascar : surmonter la tempête. Le dictionnaire Larousse définit une tempête comme une « violente perturbation atmosphérique ; vent rapide qui souffle en rafales, souvent accompagné d’orage ». La Banque mondiale ne croyait pas si bien dire en définissant le titre du document.
« C’est un rapport conjoncturel (que l’on publie) deux fois par ans, pour voir les perspectives et les réformes que le pays doit faire pour remettre le pays sur la voie de la croissance », plante d’emblée Marie-Chantal Uwanyiligira, responsable des opérations de la Banque mondiale pour Madagascar. La croissance de la Grande île attendra péniblement les 2,6 %, en 2022, contre une estimation de 5,4 % il y a quelques mois. Cependant, le niveau de vie moyen ne progressera pas cette année.
Cette révision de près de la moitié de la projection est due au contexte économique actuel. Le rapport publié en avril dernier est sans équivoque : Madagascar pourrait mettre plus de 70 ans pour rattraper le niveau de vie actuel du Rwanda. Il faudrait une décennie pour inverser la tendance à la perte des revenus moyens, à cause de la crise de 2020-2022. Dans les faits, cette situation se vérifie sur le quotidien des Malgaches, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. « « Tout le monde dans ce pays ressent ce qui se passe. (Il est important d’) améliorer la résilience de toutes les communautés », plaide la responsable des opérations de la Banque mondiale pour Madagascar.
La Banque mondiale estime que la récession est assez profonde et il faut une certaine stabilité pour la reprise économique durable. La pandémie, le passage des cyclones successifs, comme Ana ou Batsirai, le conflit en Ukraine… ont entrainé une hausse des prix de l’énergie, un ralentissement de la croissance. « Avec le Produit intérieur brut actuel, le faible taux d’investissement annuel, il faut des années pour avoir une base de croissance soutenue », souligne Pr Hery Ramiarison, économiste.
« Madagascar a subi l’une des récessions les plus importantes de (son) histoire », renchérit Marc Stocker, économiste principal de la Banque mondiale. Face à la pandémie, les opérateurs ont également souffert. La croissance a été structurellement limitée. Pour faire face aux différents chocs, l’institution de Bretton Woods suggère, entre autres, d’accélérer la campagne de vaccination, d’entreprendre des réformes en termes de tarification du prix du carburant, de l’électricité, de l’énergie, de l’investissement… outre l’éducation et la santé.
Procédures administratives
Selon le Pr Hery Ramiarison, il faut une politique de développement et d’investissement clair. « Madagascar pourrait par exemple créer davantage d’emplois dans les domaines du textile, de la confection, du tourisme pour accélérer la croissance structurelle », explique-t-il. Le pays fait face à différents chocs comme les cyclones, le trouble des approvisionnements mondiaux, la crise alimentaire, la hausse du prix de l’énergie…
Du côté des opérateurs, l’on attend un allègement fiscal, une accélération des procédures administratives et plus de soutien de l’entrepreneuriat afin de promouvoir la création d’emploi. « Les opérateurs économiques ont actuellement besoin de soutien technique et financier. Les problèmes fonciers, ceux des semences, de matériels sont à résoudre pour améliorer la production pour que le pays puisse atteindre l’autosuffisance alimentaire », plaide Harilala Ramanantsoa, présidente de l’Entreprendre au féminin océan indien (EFOI), Madagascar.
Les chantiers sont titanesques et le pays semble encore tâtonner pour le moment. « Les problèmes d’infrastructures, de voie de communication, d’électrification entravent encore le développement du pays. Une étude réalisée en France a révélé que le Betsiboka a un fort potentiel énergétique de 5 800 mégawatts, partage Serge Zafimahova du Club éthique et développement (CDE). Le coût de transport par voie ferroviaire pourrait être avantageux pour le pays en raison du moindre coût du produit. Il faut une stratégie liée au développement et une application stricte de la rigueur de gestion ».
Gouvernance institutionnelle
Comment sortir de cette crise nourrie par un contexte international très peu favorable ? Beaucoup d’acteurs se sont penchés sur la question. « Au Rwanda, la croissance était plus forte avant la crise, la récession était plus superficielle, et la reprise en 2021 était plus importante. On voit l’importance d’une économie dynamique et diversifiée pour faire face aux chocs. Cette différence de perspective reste marquée en période de crise », explique l’économiste principal de la Banque mondiale. Tout le monde s’accorde à dire que les réformes sont urgentes, d’abord, à travers l’amélioration de la gouvernance institutionnelle.
« Il ne s’agit pas seulement de changer les choses (sic). Mais nous cherchons un résultat qui est différent. Si on regarde le taux d’accès à l’électricité, il reste à 15 % (à Madagascar). Comment serait-il possible que l’on change le taux de pauvreté avec ce taux ? », questionne Idah Pswarayi-Riddihough, la directrice pays de la Banque mondiale pour Madagascar, Comores, Seychelles et Maurice. Pour que le pays et ses habitants résistent aux chocs exogènes, l’autosuffisance alimentaire ne doit plus rester comme un slogan.
Le défi ne réside pas seulement dans « la politique du ventre », aussi vitale soit-elle, mais également dans d’autres secteurs sociaux. Ainsi, l’investissement dans une éducation de qualité est prioritaire. « Madagascar a une population jeune. Si elle ne reçoit pas l’éducation qu’il faut, il ne va jamais être possible de (la) sortir de cette situation de pauvreté », continue Idah Pswarayi-Riddihough.
Rythme de croissance
Certains secteurs – quasiment délaissés – mais qui peuvent insuffler une dynamique économique importante doivent être sérieusement étudiés. Dans le secteur minier par exemple, la chambre des mines de Madagascar, la fédération des associations, groupements, coopératives des mines, la fédération des opérateurs miniers nationaux, le syndicat professionnel minier de Madagascar, ont adressé une lettre ouverte au chef du gouvernement pour rétablir la bonne gouvernance pour profiter des avantages dans ce secteur, le 25 mai dernier.
Le secteur est quasiment ankylosé, même si Ambatovy a permis quelque peu à l’économie de rester à flot. « La réouverture de la mine Ambatovy, hausse du prix du nickel et du cobalt a soutenu l’exportation et les activités industrielles », note Marc Stocker. L’application de certaines dispositions du code minier, dont la délivrance de permis et de titre minier, est attendue. Actuellement, les investissements sont risqués.
Ces opérateurs miniers estiment que suite à la pandémie et aux conséquences des conflits en Europe de l’Est, peu de pistes semblent pouvoir permettre à Madagascar d’atténuer le choc de la récession qui se profile doublée d’une inflation qui semble être partie pour durer. Si Madagascar maintient une croissance soutenue et stable de 7 %, le temps nécessaire pour rattraper le rythme de croissance du Rwanda pourrait être divisé par quatre.
Pour le moment, la Grande île est en grand danger. Il fait face à une « risque d’un décrochage économique en l’absence d’une nouvelle réforme », prévient l’économiste principal de la Banque mondiale. « Nous sommes inquiets. Si on voit ce qui se passe dans d’autres pays, le taux de pauvreté (à Madagascar) n’a pas changé d’une manière qui est (importante) », renchérit Idah Pswarayi-Riddihough. L’inquiétude est assurément partagée par Nivo qui ne sait pas de quoi demain sera fait.
Donas Hanitriniony Ralay