À cause de la guerre en Ukraine, de divers facteurs et par effet de contraste avec l’euro et le dollar, l’ariary est actuellement au plus bas. Explications.
Au retour des courses, le sac de provision est à moitié plein. Nivo, une mère de famille consternée, a été obligée de rogner sur tout. Elle qui avait l’habitude de tout acheter le samedi avec un budget précis, est rentrée sans un sou après une heure au marché et sans pour autant avoir pu acheter de quoi nourrir sa petite famille jusqu’à la fin de la semaine.
Revenu moyen
Il est des mythes qui ont la peau dure. L’un de ceux-là est que quand une dépréciation survient, ce sont les prix des produits dans les grandes surfaces ou les produits manufacturés importés qui flambent. Un petit tour sur les étals dément cette croyance. Depuis deux ans, les prix s’envolent. La conjoncture macroéconomique nationale, mais également l’évolution de la parité euro-dollar sur le marché international, y sont pour beaucoup. « Durant les neuf derniers mois, la situation à Madagascar s’est plutôt penchée vers le resserrement de la politique monétaire en optant pour la hausse du corridor de taux par la Banky foiben’i Madagasikara (BFM). L’inflation importée est l’impact direct de cette dépréciation de l’ariary », note Hajatiana Ravaka Ratolojanahary, analyste spécialisé en pôle intégré de croissance (voir son interview, p.34). Le pouvoir d’achat ne cesse de s’éroder au fil des semaines, voire des jours.
« Nous prévoyons un budget hebdomadaire de 70 000 ariary pour les mets et les fruits pour le dessert, sans compter le quota de riz qu’on achète au marché d’Anosibe chaque fin de mois. Maintenant, il va falloir revoir ce budget à la hausse pour un minimum de
100 000 ariary si l’on veut garder notre train de vie. Chose qu’on ne pourra se permettre avec nos ressources financières », déplore la mère de famille. Elle et son mari gagnent un peu moins de 1,5 million d’ariary par mois et vivent en location dans un modeste appartement en centre-ville avec leurs deux filles.
Comme celle de Nivo, des milliers de familles à revenu moyen subissent de plein fouet la hausse des prix des produits de consommation causée par la dépréciation effrénée de la monnaie nationale. « Entre novembre 2021 et novembre 2022, l’ariary a perdu 11% de sa valeur réelle en pouvoir d’achat », fait remarquer Tovonanahary Rabetsitonta, président de la Société trading de l’océan Indien (STOI, voir interview p.37).
Dépenses non essentielles
Selon le dernier Indice des prix à la consommation (IPC) publié par l’Institut national des statistiques (Instat), en février dernier, les prix à la consommation ont augmenté de 0,72% contre 0,56% à la même période l’année dernière. Ceux du riz et des Produits de première nécessité (PPN) ont cru respectivement de 1,10 % et de 0,78 %.
Selon l’origine des produits, les prix des produits locaux affichent une tendance haussière de 0,77 %. Les prix des produits semi importés et importés ont, eux aussi, suivi la même courbe +0,12 % et 0,96%. Quasiment aucun secteur n’a été épargné : les prix des produits vivriers non transformés, des produits vivriers transformés et des produits manufacturés industriels ont accusé une hausse respective de 0,26%, de 0,94% et de 0,55%.
Selon le secteur de production, au mois de novembre 2022, les prix des services privés ont augmenté (+1,15%), ceux des produits manufacturés artisanaux et des services publics sont les seuls qui soient restés stables. Face à ces hausses constatées à tous les étages et tous les secteurs, ceux qui n’arrivent pas à suivre financièrement ne peuvent que se résoudre à faire une croix sur les dépenses non essentielles.
Déroute
La déroute temporaire de l’euro face au dollar il y a quelques mois, à cause de la guerre russo-ukrainienne, semble faire partie de l’histoire ancienne. Aujourd’hui, la monnaie européenne paraît avoir retrouvé une vigueur conséquente au détriment de l’ariary. Ainsi, le marché des devises a affiché une chute continuelle de la monnaie nationale. L’ariary se dévalorise de plus en plus face aux monnaies de référence. Ce contexte favorise un fort risque d’inflation face à laquelle il faut aussi se préparer à court terme si la situation tarde à se stabiliser.
Sur les trois dernières années, l’ariary s’est déprécié de près de 20,9% par rapport au dollar, par exemple, qui est passé de 3 627 en fin décembre 2019, à 4 462 ariary en fin décembre 2022. En glissement annuel, l’euro et le dollar ont valu respectivement 4 470 ariary et
3 956 ariary en fin décembre 2021. Comparé à leur valeur en fin 2022, l’ariary s’est déprécié de 5,8% face à l’euro et de 12,8% face au dollar. L’année dernière, la monnaie malgache s’est dépréciée de 16% vis-à-vis de l’euro entre le troisième trimestre et le quatrième trimestre.
Problème structurel
Le problème d’ordre structurel qui pénalise grandement l’économie et la monnaie nationale, selon les observateurs, tire son essence depuis les périodes de détaxation appliquées aux débuts des années 2000. En effet, depuis 2003 et 2004 – et jusqu’à aujourd’hui –, la tendance à la hausse des demandes en importation n’a jamais pu être équilibrée par rapport à la capacité d’exportation du pays. En parallèle, le flux d’Investissement direct étranger (IDE) peine à combler cette situation malgré le régime de change flexible avec une forte mobilité des capitaux qui prévaut.
Le manque d’incitation pour les IDE, et donc de rentrée de devises, ainsi que la faible capacité d’exportation nationale n’arrivent pas à combler l’offre de devise disponible sur le marché interbancaire par rapport à nos besoins en importation. Au final, ce facteur peut apporter des risques d’inflation importée en plus de l’inflation interne déjà existante sur le marché local. Ce qui finirait d’asséner un coup fatal aux ménages déjà très fragiles. « L’inflation ressentie devra forcément être répercutée sur le budget du consommateur final, sans pour autant que cette demande soit élastique », conclut Hajatiana Ravaka Ratolojanahary.
Harilalaina Rakotobe