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Renégociation des accords de coopération, la grande bascule économique

EconomieRenégociation des accords de coopération, la grande bascule économique

Après la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français s’est résigné à une décolonisation qui allait, comme on disait dans les années 60, « dans le sens de l’histoire »  tout en cherchant à maintenir le plus longtemps possible des liens privilégiés avec les anciennes colonies à travers des mécanismes d’aides financières et de préférences commerciales.

Les élites des pays venant d’accéder à l’indépendance se sont elles-mêmes souvent prêtées à ce jeu. Elles ont considéré que des avantages pourraient être tirés du maintien des liens particuliers avec l’ancienne Métropole. C’est ainsi que dans le cas de Madagascar, la première République, sous la conduite du Président Philibert Tsiranana, avait continué à faire de la France un partenariat privilégié. En 1962, René Dumont parlait de «prolongement abusif de l’économie de traite»1 dans les pays anciennement colonisés.

Le pacte colonial

Après le retrait de Tsiranana du pouvoir en 1972, ses successeurs se sont efforcés de donner à Madagascar une plus grande indépendance économique, ce qui se traduisit, entre autres, par la sortie de la zone franc en 1973. L’évènement avait été baptisé « la deuxième indépendance ». L’indépendance acquise ou « octroyée » en 1960 n’a pas entraîné automatiquement une indépendance économique. Toutefois, celle-ci est une notion relative, surtout pour un pays en voie de développement comme Madagascar. Malgré l’indépendance politique, il faut reconnaître que l’économie malgache reste encore dominée par les agents économiques étrangers et la tendance au transfert systématique de leurs bénéfices à l’extérieur ne saurait surprendre.

Madagascar, colonisé en 1896, dépendant entièrement de la Métropole, doit mettre son potentiel économique, ses richesses au service de la France. Le Pacte colonial aura pour but de réglementer cette politique. La Grande île, comme toutes les colonies françaises subsahariennes, devra pallier le manque de ressources naturelles nécessaires au développement de la Métropole et assurer les débouchés au marché français. Pour ce faire, d’importantes sociétés françaises d’import-export s’installent dans l’île, telles que la Compagnie lyonnaise de Madagascar, la Compagnie marseillaise de Madagascar, en 1898.

Zone franc

Depuis 1960, Madagascar est indépendant. La Grande île est donc, théoriquement et juridiquement libre de ses décisions, de ses relations avec l’extérieur. Cependant, si la situation politique a plus ou moins changé, sur le plan économique, l’ancienne Métropole a su conserver sa domination et sa présence grâce aux accords de coopération conclus en 1960. Par le biais de ce cadre, la politique de la France dans ses anciennes colonies restait dans la continuité de ses interventions passées, notamment à travers la zone franc. Cette permanence des liens reposait sur de multiples facettes et diverses formes de coopération : économique et financière2, technique, culturelle et scientifique3, sanitaire et militaire4 et diplomatique5. Dans la décennie qui suit l’indépendance, Madagascar avait commercé pour les 3/4 du volume avec la France, au sein de la zone franc. L’ancienne Métropole avait créé une sorte de marché commun, non seulement avec Madagascar, mais avec toutes ses anciennes colonies, à l’exception de la Guinée de Sékou Touré.

L’union monétaire et douanière créera une solidarité économique de la part de la France envers ses territoires. Les liens économique et monétaire entre Madagascar et la France seront d’une imbrication qui aboutit à une profonde symbiose. S’il est vrai que parfois la France « vend cher », en contrepartie, elle « achète bien » grâce au maintien du régime préférentiel réciproque caractérisé par la libre circulation des marchandises en franchise douanière et grâce également à l’existence de débouchés privilégiés. L’échange s’appuyait sur une protection tarifaire et contingentaire, des prix subventionnés, la fixation des prix propres à la zone à un cours supérieur à ceux des marchés mondiaux.

Le système des tarifs préférentiels et des cours de soutien accordé par la France conduit la Grande île à ne rechercher que le marché français pour la plupart de ses produits. L’économie malgache en général et le commerce en particulier avaient trouvé des conditions avantageuses et des débouchés privilégiés. Les bénéfices de la zone franc pour Madagascar étaient assez nombreux, tels que la garantie de la stabilité des prix grâce à un taux de change fixe vis-à-vis du franc français, la garantie de convertibilité que donne la France à ce régime de change et la crédibilité que confère cet ancrage à la politique monétaire. Madagascar a eu une inflation beaucoup plus faible que dans d’autres pays en développement. L’ancienne Métropole avait une position déterminante sur l’économie de Madagascar et un moyen de pression indiscutable. L’organisation économique de la première République (1958-1972) était restée proche de ce qu’elle avait été durant la période coloniale (1896-1958). La première République ne s’est pas traduite par une rupture ou un divorce économique radical, contrairement à ce que d’aucuns espéraient.

Le « grand bond en arrière » de l’économie malgache

Après la période de transition dirigée par le général Gabriel Ramanantsoa (1972-1975), la deuxième République naît en 1975 avec le capitaine de corvette Didier Ratsiraka. Il avait opté pour une orientation économique se traduisant par une vaste politique de nationalisation et d’étatisation des principaux moyens de production. Le pouvoir révolutionnaire d’inspiration marxiste de 1975 se sentait dans l’obligation de parer au plus pressé, en raison de la situation de dépendance trop flagrante du régime de la première République jugé à tort et à raison de « néocolonial ».

Le régime avait les pieds et les mains liés avec l’ancienne Métropole par le biais des accords de coopération dans tous les domaines et plus particulièrement sur les plans économique et monétaire. La crainte du contrôle et de la mainmise de l’économie nationale par les étrangers, pour ne pas dire par les Français, avait réveillé le nationalisme économique des Malgaches. «Que notre pays veuille soustraire son économie à la domination de gros intérêts privés qui le vident de sa subsistance (85% de l’économie et 85% du commerce malgache sont entre les mains des étrangers), que les Malgaches veuillent briser l’étau de la tutelle étrangère, il n’y a là, nous semble-t-il, rien qui ne soit tout à fait légitime et tout à fait naturel6», avait constaté Didier Ratsiraka, qui, faut-il rappeler, avait présidé la deuxième République, baptisée République démocratique de Madagascar.

Il a dirigé la délégation malgache lors de la renégociation des accords de coopération avec la France en 1973 qui a pu sortir Madagascar de la zone franc. Cette sortie n’a pas manqué d’avoir des conséquences dans tous les domaines pour la Grande île. L’intention était louable et politiquement correcte. Or, économiquement, la sortie de la zone franc était irréaliste, car la décision a été irréfléchie. Avec du recul, elle peut être considérée comme un «crime économique» quand on regarde les liens et les rapports très étroits qu’entretenait Madagascar avec la France ainsi que la situation économique du pays à l’époque. Sur les plans économique et monétaire, la France peut facilement se passer de Madagascar. L’inverse était-il vrai : Madagascar pouvait-il se passer de la France ? La stratégie de la rupture de 1972 a tourné le dos aux mécanismes du marché maintenant la parité du Franc malgache (FMG), ce qui a entraîné la dégradation de l’économie.

                                                                                                    Richard Ranarivony

Références

Dumont (R), L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, p. 31

Il a été dit dans les accords de coopération : « Fermement décidé de ne point négliger ses compétences nouvelles, la République malgache à l’article 2 de la Convention, déclare créer une monnaie nationale rattachée au franc par une parité fixe… »

Les accords de coopération stipulent dans la rubrique Enseignement supérieur : « Le souci d’assurer la coopération de la France sans méconnaître le caractère malgache de la compétence en matière d’enseignement supérieur. Une Fondation nationale destinée à assurer le fonctionnement et à promouvoir le développement de l’enseignement supérieur a été créée… Les personnels de l’enseignement supérieur sont nommés par la République française en accord avec la République malgache. Mais c’est la France qui assume la charge exclusive de ces personnels, leur verse directement traitements et indemnités et conserve sur eux les attributions administratives et disciplinaires en vigueur dans les droits français »

Dans le domaine de défense intérieure et extérieure, les accords de coopération disaient clairement que : « En premier lieu, la promotion de la République malgache au rang d’État indépendant signifie que Madagascar a désormais la responsabilité de sa défense intérieure et extérieure… Loin de s’opposer à la constitution de cette force, la France a pris l’engagement d’en faciliter la formation en fournissant la première dotation en matériel et en capital »

Dans la rubrique diplomatique des accords franco-malgache de 1960, elle disait que « La République française assure, à la demande de la République malgache dans les États où celle-ci n’a pas de représentation propre, la représentation de la République malgache ainsi que la protection de ses ressortissants et de ses intérêts. Il en est de même de la Représentation de la République malgache auprès des organisations internationales où celle-ci n’a pas de représentation propre »

Revue de l’océan Indien, Hors-série, Mai 2012, Magazine mensuel d’information et d’analyse, p. 46-47

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