Textile city est un peu le serpent des mers de l’industrie textile malgache. On en parle depuis des décennies, mais sa concrétisation tarde à se réaliser. La Grande île semble vouloir accélérer sur le dossier.
Ambohibary, à quelques kilomètres de Moramanga, un des carrefours majeurs de la Grande île. Aujourd’hui, il n’y a qu’une friche et de maigres forêts de pins, mais imaginez une immense zone industrielle qui serait préemptée à quelques kilomètres de la route nationale. Le va-et-vient des poids lourds et des trains rythme la vie de cette nouvelle petite ville dédiée à l’industrie textile, l’un des moteurs du pays. C’est la promesse de Textile city, un projet ambitieux visant à doper la croissance du secteur textile malgache
Première phase
Si les États-Unis ont la Silicon Valley qui a été un cocon ayant permis le développement du high-tech, Madagascar espère créer son Textile city, un parc industriel de près de 250 hectares qui regrouperaient les principales usines textiles de la Grande île. Ce projet, dont l’idée a circulé depuis quelques années, vise à faciliter l’installation et le développement des industries du secteur textile, habillement et accessoires.
Madagascar a déjà une expérience avérée dans le secteur et ambitionne de passer à la vitesse supérieure. Il rime aussi avec les engagements du gouvernement à promouvoir les investissements et l’industrialisation. Le secteur est très concurrentiel. De nombreux pays africains veulent aussi capter la « fuite » de main-d’œuvre des pays asiatiques et la hausse des coûts pour développer leur secteur textile.
Ainsi, le Bénin a mis en place son parc industriel, Glo-Djigbé Industrial Zone (GDIZ). La zone est située à 45 km de Cotonou et est dédiée à la transformation locale de produits agricoles tels que le coton, les noix de cajou, l’ananas, les noix de karité et le soja, etc. mais également une industrie textile. Dans sa première phase, le GDIZ aurait besoin d’un financement de 1,4 milliard de dollars, ainsi que la création de plus de 300 000 emplois directs d’ici 2030. GDIZ est le fruit d’un partenariat public-privé (PPP) entre la République du Bénin et Arise Integrated Industrial Platforms (Arise IIP).
Actifs
Madagascar accuse du retard dans la concrétisation de son parc industriel textile. Mais du côté du ministère de l’Industrialisation, du Commerce et de la Consommation (Micc), on assure que des avancées sont notées et notables. « Le volet foncier est sécurisé au nom du Micc », soutient une source auprès de cette institution. La Grande île a choisi la prudence pour concrétiser ce projet d’envergure qui a la capacité d’être un game changer pour l’emploi.
« Une cohorte de 530 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail », nous avait confié Alain Pierre Bernard (voir Politikà 30), vice-président de la commission commerce du Groupement des entreprises de Madagascar (Gem) et qui a été notamment conseiller régional en politique commerciale pour le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
Ils s’ajouteront aux actifs qui inondent déjà le marché du travail ou qui sont en sous-emploi et surtout ceux du textile qui se sont retrouvés à la rue suite aux évènements de 2009. « Nous estimons que nous sommes dans une situation où la création d’emploi est a priori la solution idoine pour sortir de la pauvreté. Toutes les initiatives sont les bienvenues. En matière d’industrie textile, nous disposons d’une main-d’œuvre qualifiée et moins coûteuse, qui, jusqu’à maintenant, répond aux exigences des investisseurs », note Yolaine Sarondro Rasehenonirina, présidente du Syndicat Toky iraisan’ny mpiasa malagasy (Stimm) (voir son interview p.29).
Textile city prévoit d’octroyer 200 000 postes en cinq ans dans l’un des plus grands secteurs pourvoyeurs d’emplois. Le domaine du textile représente 19,5% du PIB, 30% de l’exportation totale, 7% des Investissements directs étrangers (IDE) et compte aujourd’hui plus de 62 000 emplois rien que pour les entreprises membres du Groupement des entreprises franches et partenaires (GEFP). Justement ce dernier n’est pas très chaud à l’idée de déménager l’ensemble du parc actuel.
« Le projet devrait être destiné aux nouveaux investisseurs. En effet, il est très difficile pour ceux qui sont déjà présentes qui ont réalisé des investissements assez conséquents – notamment en matière d’acquisition de terrain, de construction d’usines et de ses dépendances, de bassins de traitement d’eaux usées, d’utilisation d’énergie renouvelable (panneaux solaires…) – de se délocaliser dans un autre lieu d’implantation », tempère Hery Lanto Rakotoarisoa, président du GEFP (voir son interview p.27).
Protocole d’accord et accord-cadre
Même si aucune date pour le lancement des travaux n’est communiquée pour l’instant, le projet fait son petit bonhomme de chemin. Textile city sera implanté à Moramanga, un pôle desservi par diverses plateformes : chemin de fer, route nationale… Il est également proche de la principale porte d’entrée du pays : le port de Toamasina. Avec Ambatovy, la région a une expérience avérée dans les grands projets, à travers l’exploitation de la mine d’Analamay, située à environ 14 km de la ville de Moramanga, qui alimente l’usine de Toamasina.
Pour le coup d’envoi de la première phase de Textile city, 80 ha seront exploités en premier lieu. Le gouvernement fera une prise de participation à travers la Société nationale de participation (Sonapar). Le développement de ces premiers hectares devrait être effectué grâce à l’expertise de Mauritius african fund (Maf). Le Fonds doit faciliter l’installation d’usines. Textile city de Moramanga sera l’une des quatre zones économiques spéciales dans lesquelles le Maf a des participations en Afrique : au Ghana (20 ha), en Côte d’Ivoire (180 ha), au Sénégal (54 ha) et prochainement à Madagascar. D’ailleurs, une délégation malgache s’était rendue à l’île Maurice l’année dernière pour évoquer ce sujet. « Un protocole d’accord et un accord-cadre sont en cours d’élaboration entre les deux pays », dévoile notre source. Ce cadre de travail entre les deux pays devrait être ficelé prochainement.
Garanties
Cependant, de nombreuses questions demeurent en suspens. La première concerne le premier coup de pelle qui sera donné. Les contours et les pourtours du projet sont encore assez flous. Mais le parc devrait se doter d’infrastructures de pointe et d’une station d’épuration. « Une évaluation environnementale stratégique sera initiée dans un avenir proche pour permettre à ce site de répondre aux normes environnementales chères aux partenaires internationaux », note notre interlocuteur.
Des sensibilisations ont été entreprises auprès des collectivités territoriales décentralisées afin de faciliter l’implantation et l’intégration des industries dans ces zones. La signature de Volobe amont, en mai dernier, peut être également considérée comme une garantie en termes d’approvisionnement en énergie. Cette centrale hydroélectrique produira annuellement 750 GWh. De quoi résorber le déficit énergétique chronique qui peut rebuter de futurs investisseurs industriels…