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Interview de Hajatiana Ravaka Ratolojanahary : « L’inflation ressentie devrait être répercutée sur le budget du consommateur final » 

EconomieInterview de Hajatiana Ravaka Ratolojanahary : « L’inflation ressentie devrait être répercutée sur le budget du consommateur final » 

La régression de la valeur de la monnaie nationale est synonyme d’une économie en mauvaise santé. Nous avons demandé à un analyste spécialisé en pôle intégré de croissance d’en expliquer les contours.

Avec l’ariary en berne, comment se présente la situation économique du pays ?

Hajatiana Ravaka Ratolojanahary (H.R.R.) : Ce qu’il faut clarifier avant tout, c’est la différence entre “dévaluation” et “dépréciation”. La première est le résultat d’une politique monétaire et la seconde du jeu des marchés. Nous avons subi cette dévaluation au début des années 90 au moment de la sortie du pays du régime de change fixe pour basculer vers la “transition variable”. La stratégie de dévaluation peut se faire à travers la politique monétaire sur le volet de la baisse des taux d’intérêts.

En effet, si tout se passe bien dans les meilleurs des mondes, il est possible de trouver des avantages à cette stratégie de dévaluation. Cependant, ce n’est pas ce qui s’est produit pour le cas de Madagascar lors de l’application de cette politique de baisse du taux directeur de la Banky foiben’i Madagasikara (BFM). Le taux qui, d’ailleurs, n’est plus fixe, mais qui se définit plutôt par un “corridor” selon les décisions de politique monétaire appliquées par la BFM à travers les taux de facilité de dépôt et les taux de facilité de prêt marginal en suivant les standards internationaux qui s’appliquent bien évidemment au contexte malgache. Ainsi, la BFM peut, d’une certaine manière, réguler le marché monétaire, les marchés de liquidité entre les banques.  

Les stratégies de régulation portent-elles leurs fruits ?

H.R.R.: Présentement, on constate une hausse vertigineuse, que ce soit du taux de dépôt ou du taux de facilité de prêt marginal. Cette tendance est observée depuis le deuxième semestre de l’année dernière. La hausse est ininterrompue jusqu’à présent. Cette situation est qualifiée par les économistes de phénomène de “hawkish”, un anglicisme qui désigne une situation en bourse  où les taux d’intérêts ne cessent d’augmenter. Ce qui équivaudrait à un durcissement de la politique monétaire. Durant les neuf derniers mois, la situation à Madagascar s’est plutôt penchée vers le resserrement de la politique monétaire en optant pour la hausse du “corridor” de taux par la BFM. 

L’inflation importée est l’impact direct de cette dépréciation de l’ariary. Tous les secteurs d’activités ressentiront cet impact, mais certains secteurs seront plus touchés que d’autres à cause de cette inflation importée. Le premier exemple concernera surtout le secteur pétrolier où la dégringolade de l’ariary n’a de cesse de renchérir les coûts d’importation que les opérateurs ne peuvent pas forcément répercuter simultanément à la pompe. Idem pour la plupart des commerces.

Par exemple, un simple quincaillier importe majoritairement ce qu’il vend. L’inflation ressentie devra forcément être répercutée sur le budget du consommateur final, sans pour autant que cette demande soit élastique. Ce qui au final n’aura de conséquence que d’affaiblir directement le pouvoir d’achat des ménages. 

Pourtant, cette situation devrait avantager les exportateurs ?

H.R.R.: En théorie, quand la monnaie se déprécie comme dans cette situation que nous traversons, la balance commerciale devrait alors pencher en faveur de l’exportation. Pourtant, dans la pratique, les flux d’exportation du pays ne sont pas élastiques. Les secteurs de production pouvant assurer ce flux d’exportation ne sont pas encore suffisants par rapport aux produits à importer pour pouvoir les contrebalancer dans ces moments de dépréciation. 

Cette situation pourrait redynamiser la performance en matière d’exportation à l’exemple de la Chine qui a profité du caractère de parité variable de sa monnaie pour favoriser ses industries exportatrices et manufacturières. Cependant, le gros de l’exportation malgache est constitué presque essentiellement de secteurs qui peuvent se compter sur les doigts de la main à l’instar de la vanille et des autres produits issus de l’agribusiness, du textile, du secteur extractif – à l’exemple du nickel qui représente une majeure partie de notre produit d’exportation et dont le cours est défini par le taux de change international – et d’autres matières premières.

Le taux de change en soi n’est pas le seul facteur qui serait en mesure de booster les exportations. Il faudra aussi prendre en compte la compétitivité industrielle – dont le coût de l’énergie – qui, pour le moment, est loin d’être favorable pour la Grande île. Les conditions d’industrialisation ne sont pas encore réunies. 

Vous aviez évoqué la filière vanille, y a-t-il des évolutions positives sur ce point ?

H.R.R. : À l’heure actuelle, l’une des principales raisons du déclin de l’ariary réside surtout dans la situation délicate dans laquelle la filière vanille se trouve encore embourbée. Sur ce point, le président de la République a déjà évoqué des lacunes concernant le système de rapatriement de devises. Or, de ce processus dépend fortement l’économie du pays dans la mesure où seules 35% des recettes des exportations de vanille ont été rapatriées lors des précédentes campagnes. C’est la raison pour laquelle l’État a accordé un délai supplémentaire aux exportateurs au mois de février dernier. Le Conseil des ministres du 15 février dernier a accordé un délai supplémentaire de 30 jours, relatif au rapatriement des devises datant déjà de 90 jours auparavant.

Ces opérateurs disposent donc de 120 jours au total pour être en règle vis-à-vis des textes et des procédures. Cependant, les opérateurs dans la filière ont fait part des difficultés auxquelles ils font face depuis le début de la campagne d’exportation. L’année dernière, l’État a pointé du doigt la mauvaise foi de certains exportateurs qui ne font pas de rapatriement de devises. La filière rapporte en moyenne près de 600 millions de dollars de recettes annuelles pour l’État. Par conséquent, ce dernier pose comme condition pour l’octroi d’agrément pour les exportateurs le rapatriement de devises. Pour les récalcitrants, l’État a annoncé des mesures drastiques afin d’assainir la filière et d’éviter la gabegie. 

Par ailleurs, les exportations n’ont pas pu réellement décoller à cause de la question des prix planchers imposés par l’État. Le rapatriement des devises a suivi une courbe descendante vu que les exportations peinaient à trouver leur rythme de croisière. Cette baisse des rentrées de devises explique ainsi, en partie, cette situation de la faible performance de la monnaie nationale. On peut citer également la baisse du flux dans le secteur du tourisme. Ce facteur est à catégoriser dans la “balance des invisibles”, un ancien terme utilisé par le Fonds monétaire international (FMI) pour englober toutes les activités dans le secteur de service. En effet, dans ce cas-là, le flux touristique international pourrait aussi être considéré comme étant une exportation quand il pourvoit directement l’économie en devises.

En considérant les statistiques formelles, les performances touristiques actuelles sont encore au tiers du flux enregistré en 2019. À l’époque, le secteur était, pour la dernière fois, sur une pente ascendante. La rentrée de devises suit ainsi cette tendance pour l’instant. Ce qui conforte cette position délicate de l’ariary face aux monnaies de référence dont le dollar et l’euro. 

Qu’en est-il des impacts de la régulation du marché à partir des décisions de politique monétaire ?

H.R.R. : Dans le fond, avec le rehaussement du “corridor” par la BFM, cela devrait porter avantage à l’ariary. Ce qui n’est toujours pas le cas dans la mesure où Madagascar n’est pas encore doté d’un marché de capitaux adéquats. Ce dernier constitue pourtant une des conditions de réussite d’une politique monétaire. D’ailleurs, sur ce plan, la BFM a déjà sollicité la Société financière internationale (IFC) afin d’aider la Grande île à créer une feuille de route pour le développement de marché de capitaux locaux ce qui va favoriser la croissance économique du secteur privé en permettant le recyclage et l’épargne afin de mettre cette dernière au service de l’investissement.

Ce marché de capitaux permettra également le financement en monnaie locale et réduira ainsi la dépendance vis-à-vis de la dette extérieure. Enfin, en général, un marché des capitaux est un moyen de réunir l’épargne des recherches, des compagnies d’assurances et des gestionnaires d’actifs à des investissements politiques. Grâce à sa mise en place, les milliards dormant dans certains comptes d’épargne de potentiels investisseurs pourront alors profiter à des entreprises désireuses de développer leurs activités à travers le processus d’entrée en capital ou par l’achat de titres ou d’actions. Concrètement, cela incitera à plus d’investissements et de financements locaux.

Au final, le processus sera à même de réduire la dépendance envers les moyens de financement étrangers en faisant tourner l’économie locale. Tant que ce marché ne sera pas mis en place, on aura beau rehausser les taux d’intérêt, le flux de devises ne pourra jamais suivre. En attendant, l’efficacité de la politique monétaire se résumera uniquement au balisage de la création monétaire sans pour autant rendre une santé notable à l’ariary dans le marché interbancaire de devise.

Comment remédier à cette faiblesse structurelle ?

H.R.R.: Il n’y a pas de solution miracle pour cette situation. Cependant, une réduction de l’indépendance énergétique pèsera déjà de son importance dans la balance. L’un des principaux facteurs qui creuse notre balance commerciale pour le moment n’est autre que la dépendance au carburant. Il faudrait aller dans le sens de la concrétisation de projets de production énergétique locale et se défaire progressivement de l’énergie fossile que l’on importe encore et toujours à un prix dépendant du marché international. Une fois  l’autonomie énergétique acquise, la pression sur les dépenses concernant l’importation de carburant sera enlevée de cette balance commerciale. 

Elle ne constituera plus une part de consommation importante de devises. Ce qui au final apportera une bouffée d’oxygène à la monnaie nationale. Si Madagascar arrivait à réduire de 25 % l’utilisation de carburant sur la production d’énergie, en une seule décennie, cela facilitera le processus d’industrialisation qui est déjà en marche. Le développement de l’hydroélectricité favorisera la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et permettra, en même temps, d’améliorer la compétitivité des industries en lâchant de la pression sur le budget de ces industries en matière de carburant. Cet argent pourrait être affecté sur les plans de recherche et développement, entre autres. 

Harilalaina Rakotobe 

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