La motion de censure initiée par 105 députés le 7 décembre 2022, qui est une procédure conforme à la Constitution, a été tuée dans l’œuf par des procédés que l’opposition a qualifiés d’« anticonstitutionnels». Cependant, la Haute cour constitutionnelle (HCC) a qualifié d’irrecevable la demande d’avis du Haut conseil pour la défense de la démocratie et de l’État de droit (HCDDED). Que pense la société civile de ces démarches juridico-politiques et leurs impacts sur les affaires nationales ?
Hony Radert (H.R.) : La HCC a en fait été saisie par le HCDDED pour donner un avis sur l’immixtion du président de la République dans les affaires nationales et sur la valeur constitutionnelle ou juridique de la déclaration du bureau permanent. La HCC a botté en touche en déclarant notamment que le président du HCDDED n’était pas qualifié pour demander un avis à la HCC, car ce n’est pas un chef d’institution ou un organe de Collectivités territoriales décentralisées (CTD). Plusieurs députés ont témoigné et dénoncé le fait que le Président soit intervenu pour arrêter la motion de censure. Cette immixtion de l’Exécutif dans les affaires du législatif n’est évidemment pas acceptable dans un État que l’on veut être de droit.
La difficulté de remettre en cause légalement cela avec le pouvoir juridique qui se réfugie derrière la moindre faille pour ne pas avoir à prendre position est regrettable. Il est cependant encourageant de voir que des députés commencent à s’opposer à l’unicité des opinions au sein de l’Assemblée nationale et à dénoncer quand une situation va à l’encontre de la légalité et des intérêts des citoyens. Il est important qu’ils se rappellent qu’ils sont là pour défendre les intérêts des citoyens et non pour profiter de leur position pour leurs propres intérêts. Le pouvoir juridique doit aussi prendre son indépendance et assurer son rôle de garant d’une justice intègre, équitable et égale pour tous.
Le président de la République a fait une déclaration récemment sur le fait de suspendre les constructions d’infrastructures au bénéfice des actions sociales en faveur de la population, cela est-il conforme à la bonne gouvernance et l’État de droit et est-ce que cela sera bénéfique à la population et à la stabilité sociale, économique et politique ?
H.R. : La déclaration du Président est intervenue quelques jours après la promulgation de la Loi de finances initiale (LFI) de 2023, qui prévoit plusieurs investissements en infrastructures, dont des routes, des universités, des Centres de santé de base (CSB)… Je me permets de rappeler que nous avons remis en cause certains de ces investissements en demandant notamment si des études d’opportunités avaient été faites. C’est le cas par exemple pour l’autoroute Toamasina – Antananarivo ou les travaux pour Tanamasoandro. Cependant, le Président ne peut pas décider brusquement de suspendre les Programmes d’investissements publics (Pip) que son gouvernement a inscrits dans la Loi de finances et qui ont été entérinés par l’Assemblée nationale.
Au niveau des organisations de la société civile, nous remettons en cause la rectification de la Loi de finances en nous appuyant sur le fait que cela perturbe l’organisation des ministères pour l’exécution de leur budget. Imaginez le désordre que la déclaration du Président entraînerait si elle devait être appliquée par tous les ministères… Ceci souligne que le gouvernement actuel navigue à vue, sans véritable stratégie. Cela nous rappelle qu’en cinq ans, nous n’avons pas vu le Plan émergence de Madagascar (PEM) longtemps promis… Les forces vives de la Nation doivent en tous cas s’opposer à toute velléité des dirigeants au pouvoir d’user des biens publics pour des objectifs électoraux.
La déclaration du Président renforce la nécessité de mettre en place une plateforme inclusive de concertation et de suivi des Pip et de leur priorisation. Cette plateforme devrait intégrer les différentes parties prenantes (État, pouvoir législatif, secteur privé, société civile…) qui veilleraient à ce que les PIP soient conformes aux besoins de la population.
Il est clair que l’atmosphère sociale et politique est délétère dans le pays actuellement, alors que les élections sont prévues pour cette année 2023. Au rythme où vont les choses, comment pensez-vous que cela puisse évoluer et qu’est-ce que vous – en tant que membre d’une organisation de la société civile – proposez ou préconisez pour éviter des troubles ?
H.R. : Les élections nécessitent un climat apaisé et serein. Les parties prenantes devraient se rapprocher et voir ensemble les conditions nécessaires pour cela. Une révision des textes (sur le financement des partis et le plafonnement des dépenses, par exemple) acceptée par toutes les parties prenantes est notamment nécessaire. Il ne faut pas non plus oublier que les élections municipales devraient se tenir cette année. L’État doit faire le nécessaire pour que le budget soit suffisant.