Très discrète auparavant, l’association Les Amis de la Russie à Madagascar s’est réveillée pour défendre farouchement les relations entre les deux pays et la Russie. Entretien avec son président.
Qu’est-ce que l’ARM et quels sont ses objectifs ?
Richard Rakotonirina (R.R.) : Les Amis de la Russie à Madagascar est une association de droit malgache qui a vu le jour en juin 2021. Elle a pour objectif la coopération de Madagascar avec la Russie et les pays du Brics (un groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, NDLR). C’est une association culturelle, éducative, sociale, environnementale et qui promeut le développement. Les membres tournent autour de 500, mais avec les sympathisants ce nombre peut aller de 700 à 800.
Les membres sont des sortants des écoles de l’ex-URSS, de Cuba, mais aussi de ceux qui ont étudié ou vécu dans d’autres pays, mais qui souhaitent s’affilier. L’ARM a des antennes régionales : Boeny, Fianarantsoa, Antsirabe, Toamasina et bientôt Toliara. À part la facilitation des échanges entre la Russie et les Brics avec Madagascar, l’ARM fait également des actions sociales, comme les dons de sang ou la distribution de biens aux démunis. Néanmoins, avec la crise liée à la Covid-19, ses activités ont été un peu ralenties.
L’une de nos récentes activités est l’organisation de la célébration des 50 années de relations diplomatiques entre la Russie et Madagascar à la Bibliothèque nationale, les 3 et 4 novembre derniers, en collaboration avec l’Ambassade de Russie à Madagascar.
Avec le conflit actuel entre l’Ukraine et la Russie, comment vous positionnez-vous ? La plupart des partenaires techniques et financiers proviennent des pays qui sont contre cette guerre, la position de neutralité est-elle tenable pour Madagascar, notamment avec les conséquences comme la hausse de prix des denrées alimentaires ?
R.R. : Tout d’abord, nous ne parlons pas de guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais d’une “opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine”. Notre position est claire et nette : nous sommes contre cette accusation à l’encontre de la Russie. Cette position se réfère à la charte des Nations unies concernant l’intégrité territoriale et nous ne faisons aucune objection ou remarque sur la position de neutralité du gouvernement malgache. Les partenaires techniques et financiers se servent de leur financement comme conditions de négociation, ce qui fragilise Madagascar dans son indépendance et sa souveraineté.
La Grande île peut se libérer petit à petit de la dépendance financière vis-à-vis de ces bailleurs classiques si les dirigeants ont la volonté politique et l’audace de mettre en place une stratégie politique mûrement réfléchie. Ils doivent instaurer la bonne gouvernance et la transparence dans la gestion du pays et enfin d’y assurer une bonne gestion et une bonne répartition des richesses. Pendant la transition, le pays n’a bénéficié d’aucun financement extérieur et, pourtant, le régime politique en place a pu fonctionner grâce au financement provenant des richesses intérieures.
Qu’est-ce que Madagascar a à gagner avec la coopération avec la Russie, et qu’avez-vous à dire sur les allégations de présence du groupe Wagner à Madagascar ?
R.R. : Que nous le voulions ou non, il y aura déjà des conséquences de cet affrontement entre la Russie et l’Ukraine. Deux blocs se constituent déjà : celui des États-Unis avec l’Europe et leurs pays alliés, d’un côté, et celui des Brics, de l’autre. Les positions respectives de chaque pays doivent être claires. Si les dirigeants malgaches veulent réellement développer Madagascar, le bloc Brics nous convient le mieux. La raison est simple : l’agriculture et l’élevage doivent être notre priorité, afin de parvenir à une réelle autosuffisance alimentaire. La Russie possède des expertises dans ces domaines, si nous ne parlons que des outils agricoles mécaniques (tracteurs, motoculteurs…), des semences et des engrais. Il y a un travail de titan à faire également pour remettre en état et renouveler le parc énergétique malgache.
Ce chantier peut être mené avec la Russie, par la construction de barrages hydroélectriques, mais aussi par l’utilisation d’énergies renouvelables. L’utilisation de l’énergie nucléaire est aussi envisageable en sachant que 4 stations nucléaires (différentes des centrales nucléaires) peuvent produire
1 800 mégawatts d’électricité, qui constitue presque toute la consommation en énergie de Madagascar. Troisièmement, il y a la nécessité d’industrialiser le pays, pour que les produits malgaches soient transformés sur place et pour qu’ils acquièrent une valeur ajoutée au lieu qu’ils soient exportés de manière brute. C’est un chantier qu’il est possible de travailler en collaboration avec les pays du Brics, dans le cadre de partenariats gagnants-gagnants.
Concernant l’économie mondiale, tous les pays sont impactés par ce qui se passe en Ukraine et en Russie, y compris les pays qui constituent les partenaires techniques et financiers habituels de Madagascar. Ils seront forcément dans l’obligation de procéder au redressement de leurs économies, ce qui limitera les aides qu’ils pourront donner, d’autant plus que, depuis 62 ans que la Grande île avance avec eux, la pauvreté n’a toujours pas été éradiquée. Il ne s’agit pas de couper les ponts avec ces pays, mais d’aller vers une coopération gagnant-gagnant. En tant qu’île, Madagascar a intérêt à coopérer avec tous les pays qui veulent respecter ses valeurs et sa souveraineté.
Pour ce qui est de la présence de Wagner à Madagascar, je parlerai davantage de présence russe. Il y a des investissements russes au sein de la société Kraoma, il y a eu des financements lors des campagnes présidentielles, mais comme les Russes sont l’ennemi juré des Occidentaux, on en fait des choux gras. Qu’est-ce qui différencie ces pratiques avec celles des opérateurs indo-pakistanais qui financent des candidats lors des campagnes électorales, ou d’autres investissements ou interventions des pays occidentaux dans d’autres pays ?
Il a été reproché à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Richard Randriamandrato, d’avoir pris seul la décision de voter en faveur de la résolution de l’ONU condamnant « les annexions illégales de la Russie en Ukraine », alors que Madagascar a toujours revendiqué faire partie des pays non alignés. Un acte qui lui a coûté son poste. Mais pour un pays qui revendique un territoire comme les îles Éparses, ce positionnement n’est-il pas légitime ?
R.R. : Le limogeage du ministre des Affaires étrangères qui a suivi le vote en faveur de la non-annexion par la Russie de quatre régions en Ukraine a été pris comme un signal fort par la Russie. Madagascar peut toujours revendiquer les îles Éparses, car nous réitérons qu’elles lui appartiennent, et qu’il ne faut pas demander leur co-gestion, mais leur restitution.
La résolution que les Nations unies ont sortie en 1979 ordonne la restitution de ces îles à Madagascar et le non-respect de cette résolution est une diversion. Le contexte géopolitique actuel donne toute latitude à Madagascar pour coopérer ou s’allier avec les pays qui le soutiendront dans cette cause.