Les pays les moins avancés, comme la Grande île, subissent de plein fouet les effets de la guerre entre la Russie et l’Ukraine ainsi que ceux d’une relance post-Covid brutale. La responsable de la mention économie à l’université d’Antananarivo nous explique les mécanismes de cette inflation qui atteint sévèrement les ménages.
Dans quelle situation parle-t-on d’inflation ?
Professeur Holimalala Randriamanampisoa (Pr H.R.) : Pour employer le terme d’inflation, la hausse des prix doit concerner les biens et les services dans leur globalité et être observée sur plusieurs périodes consécutives. Elle doit correspondre à une hausse généralisée et durable des prix des biens et services. Si, et seulement si, ces critères sont réunis, alors le terme d’inflation peut être employé. Elle se traduit inévitablement par une baisse de la valeur de la monnaie.
Autrement dit, pour acheter un même produit, vous devrez désormais débourser plus. Il s’agit donc d’une perte partielle du pouvoir d’achat d’un montant fixe de la monnaie nationale, l’ariary dans notre cas. L’inflation frappe l’économie dans son ensemble, des ménages aux entreprises en passant par les administrations publiques.
Dans un contexte mondial particulièrement difficile, où se situe Madagascar dans cette spirale inflationniste ?
Pr. H.R. : L’inflation galopante est une inflation dont le niveau ou le taux d’inflation est caractérisé par des augmentations supérieures à deux chiffres. Pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là. Les données émanant de l’Institut national de la statistique (Instat) affirment un taux d’inflation à 9,3%. Ce chiffre peut être décortiqué comme suit : les prix des produits de première nécessité ont augmenté de 7,7%, tandis que ceux des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées ont bondi de 10,2%. Le coût de la santé a augmenté de 7,4% et celui du riz à 3,7%.
L’institution a affirmé que l’inflation la plus forte concerne l’ameublement et l’équipement ménager, avec une valeur de +31,6%, suivi du coût de transport et celui de l’énergie qui s’élève respectivement à 19,2% et 13,5%. L’inflation est devenue un phénomène mondial et touche aussi bien les pays développés, les pays émergents ainsi que les pays en développement, même si les conséquences ne sont pas toujours les mêmes. Dans la zone euro et hors zone euro : l’inflation atteint plus de 10% au Royaume-Uni et 8,5% aux États-Unis, en juillet 2022. Dans les pays émergents, le taux d’inflation a dépassé les deux chiffres. Il en est de même dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
Quelles en sont les causes ?
Pr H.R. : Cette hausse du taux d’inflation trouve ses principales causes dans le contexte international, notamment par rapport à la période post-Covid et la guerre en Ukraine. Les chaînes d’approvisionnement mondiales continuent d’être fortement perturbées par les événements liés à la crise de la Covid-19. La politique zéro Covid de la Chine rend ce processus encore plus compliqué. L’Empire du Milieu a choisi la fermeture d’usines – voire le confinement de villes entières – dès l’apparition de quelques cas dans le cadre de cette politique radicale.
Grâce à la reprise de l’activité économique après la crise de la Covid-19, les consommateurs ont rattrapé une partie de leur demande reportée. On observe donc une demande supérieure à l’offre. Les prix augmentent automatiquement. D’autant plus que les coûts de transport sont montés en flèche, ce qui accroît les prix des produits importés. La guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix des denrées alimentaires et des coûts de l’énergie. La hausse du coût de l’énergie impacte forcément le coût de la production au niveau mondial.
Quels facteurs majeurs peuvent engendrer la hausse des prix sur le marché?
Pr H.R. : Le phénomène de l’inflation reste complexe et, d’une manière générale, l’origine de l’inflation peut être multiple, mais les économistes distinguent quatre types d’inflation. En premier lieu, il s’agit de l’inflation par la demande. Selon les économistes de l’école keynésienne, l’inflation s’explique par un déséquilibre entre l’offre et la demande. Lorsque la demande excède l’offre de biens et de services, les prix augmentent mécaniquement afin de retrouver cet équilibre. C’est cette rareté qui entraîne la hausse des prix. Ensuite, on peut noter l’inflation par la masse monétaire.
Il est possible d’expliquer l’inflation en s’intéressant à la masse monétaire. Si cette dernière est accrue de manière excessive, alors la monnaie créée excède la richesse réelle d’un pays. La monnaie perd de la valeur et les prix augmentent pour compenser cette dépréciation. En troisième lieu intervient l’inflation par les coûts. Une hausse généralisée et persistante des prix peut se justifier par une augmentation du coût de fabrication d’un bien ou parce que les produits qui le composent sont de plus en plus chers. L’augmentation du coût de fabrication provient souvent d’une hausse des salaires, qui se répercute sur le prix des biens et des services. Le consommateur ressentira également la hausse du prix des matières premières au moment de son achat.
Enfin, l’inflation structurelle résulte aussi de certaines mutations structurelles au sein de l’économie. C’est le cas d’une situation de monopole caractérisée par une absence de concurrence, par exemple. D’autres raisons, purement psychologiques, pourraient aussi expliquer ce phénomène. Imaginez qu’une entreprise vendant de la farine ait anticipé de très mauvaises récoltes de blé. Elle augmentera donc les prix de sa marchandise pour compenser la potentielle perte à venir.
Suivant la tendance haussière du prix du baril de pétrole, comment prévoyez-vous la situation pour la Grande île ?
Pr H.R. : Depuis le mois d’août, le prix du baril de Brent sur le marché international a connu une légère baisse et il est repassé sous la barre des 100 dollars. Dans notre cas, cette baisse ne sera pas vraiment perçue si une amélioration profonde de la structure de notre économie ne s’opère pas.
Les efforts entrepris pour la relance post-Covid étaient-ils efficaces ?
Pr H.R. : J’ai déjà expliqué le lien avec la crise de la Covid-19. Les efforts entrepris ont été souvent de nature conjoncturelle comme la distribution de vivres, le travail à haute intensité de main-d’œuvre… Ils ont été utiles surtout pour les couches les plus défavorisées de la population, mais sur le long terme, ils demeureront insuffisants pour lutter efficacement contre l’inflation.
On parle souvent de la guerre en Ukraine comme l’un des facteurs majeurs de l’inflation. Pouvez-vous expliquer la relation de cause à effet ? Pr H.R. : Effectivement, la guerre en Ukraine est souvent citée comme l’un des principaux facteurs à l’origine de l’inflation au niveau mondial. Les deux pays en conflit sont des exportateurs de premier plan de pétrole brut et de gaz. Cette situation affecte inévitablement les coûts des chaînes de production et de distribution. Ces phénomènes, à leur tour, impacteront le niveau d’investissement ainsi que la compétitivité des entreprises, surtout pour les pays pauvres comme Madagascar.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), une quarantaine de pays – dont bon nombre des pays les plus pauvres du monde – dépendent de l’Ukraine et de la Russie pour plus de 30% de leurs importations de blé. Madagascar, par exemple, importe plus de 75% de ses besoins en blé depuis la Russie et l’Ukraine. Nous pouvons aisément imaginer les impacts de ce phénomène dans les secteurs productifs qui utilisent ces matières premières, mais également en termes de sécurité alimentaire.
Si la situation ne s’améliore pas, quels scénarios seraient-ils envisageables ?
Pr H.R. : La situation risque d’être difficile si des mesures importantes ne sont pas prises et espérons que d’ici la fin de l’année Madagascar n’affichera pas un taux d’inflation supérieur à deux chiffres. D’après sa projection, l’Instat prévoit une diminution du taux d’inflation autour de 6% pour l’année 2023.
Que pensez-vous de la politique de fixation de prix ? Est-ce une solution appropriée ?
Pr H.R. : La fixation des prix est une des restrictions gouvernementales imposées sur les denrées et les marchés des services . Les objectifs de tels contrôles sont, notamment, de maintenir accessible l’accès aux aliments de base, d’éviter les prix abusifs et de ralentir l’inflation. Dans un premier temps, il peut s’avérer efficace, mais sur le long terme cette mesure pourrait créer des distorsions, voire des perturbations au niveau des marchés des biens et services. Lorsque le prix maximum est inférieur au prix d’équilibre entre l’offre et la demande, le volume de l’offre est inférieur à celui de la demande et une partie de celle-ci ne sera pas satisfaite. Pire, cette situation pourrait renforcer davantage l’inflation.
Quelles sont les pistes pouvant aider à maîtriser l’inflation ?
Pr H.R. : La lutte contre l’inflation doit être moins envisagée comme un ensemble de problèmes fiscaux, financiers, voire monétaires, qu’un problème purement économique. Il s’agit de produire des biens nouveaux, soit en réduisant d’autres productions, soit en développant la production, en soutenant des branches productives par des politiques fiscales, en mettant en place des mesures incitatives pour soutenir les entreprises locales et en réfléchissant à des alternatives pouvant augmenter les revenus des ménages, surtout ceux qui sont les plus défavorisés.
Madagascar est présenté comme étant un pays à vocation agricole. Ce secteur n’est-il pas une piste sérieuse pour contrer les effets de la crise alimentaire et l’inflation ?
Pr H.R. : La lutte contre l’inflation nécessite une (ré)organisation structurelle de notre économie, notamment par le renforcement du capital humain et des infrastructures, l’amélioration du secteur agricole et de l’ensemble du secteur productif. Madagascar dispose d’assez de ressources (matérielles, humaines, techniques etc.) pour ce faire ou du moins pour limiter ce phénomène. Après, le reste est une question de volonté politique.