Dama et Bekoto, de leurs vrais noms Zafimahaleo Rasolofondraosolo et Honoré Rabekoto, artistes-sociologues, partagent à Politikà leurs visions d’une Grande île qui aurait réussi à relever les défis auxquels elle fait face depuis 1972. Se référant aux messages et interpellations véhiculés à travers leurs œuvres, ils nous livrent par eux-mêmes leurs visions.
À deux, vous perpétuez la légende Mahaleo. Vous entamez cette année la 50e année de votre groupe. Mahaleo est né presque en mai 1972. Quels sont vos rapports avec le mouvement de mai 1972 ?
Dama : Le mouvement de mai 1972 a beaucoup influé sur le processus de naissance de Mahaleo. Les sept futurs membres du groupe se sont rencontrés et se sont rassemblés pour la première fois lors d’un concert durant le meeting à Antsirabe, alors que les groupes s’étaient succédé pour monter sur scène. Aussi, le nom “Mahaleo” du groupe que nous avons donné a été acclamé et très bien accueilli par les grévistes pendant les concerts dans le cadre des meetings.
Si tout au long des années 70, nous avons pu enregistrer notre premier disque 45 tours, chanter au stade de l’université d’Antananarivo devant des milliers de jeunes, sortir notre premier 33 tours à Madagascar, tourner un film avec la télévision nationale à Antsirabe pendant 15 jours, faire des concerts en solo en salle et en open air à Antananarivo et à Fianarantsoa, c’était grâce à nos activités pendant les grèves et les meetings durant lesquels des producteurs nous a repérés. Le mouvement de 1972 a fabriqué et lancé Mahaleo en tant que groupe artistique, mais il ne se réduit ni au 13 mai 1972 ni à la place du 13 mai 1972.
Bekoto : Nous n’avons pas seulement chanté, nous avons aussi beaucoup participé aux débats et aux échanges d’informations entre les grévistes à Antsirabe. C’est durant les meetings que nous avons découvert les valeurs telles que l’unité dans l’action, la solidarité et l’entraide, la discipline, la complémentarité, l’écoute, le débat, le partage, l’ancrage dans ses histoires, ses cultures et ses traditions, la valorisation de sa langue maternelle, la liberté d’expression, la liberté culturelle et intellectuelle, la loyauté, l’humilité, etc.
Les valeurs de “1972 ” orientent nos actions et nous servent de repères dans notre vie d’artiste, dans notre vie professionnelle et dans notre quête de développement pour notre pays. Après 1972, Mahaleo a continué d’exister sur la base de ces valeurs. Il semble lui-même s’ériger en un mouvement intégrant les jeunes générations qui cherchent des repères et se construisent à leur manière de nouvelles identités. L’identité de Mahaleo n’est pas figée à “1972 ” ou à mai 1972, malgré notre ancrage dans “1972”.
Par rapport à vos perceptions et vos vécus de la gouvernance dans le cadre de l’État-Parti social-démocrate (PSD) et par rapport aux débats menés dans le cadre du « mouvement 72 », quelles sont vos visions de gouvernance pour Madagascar dans 10 ou 15 ans ?
Dama : “ Gouverner”, selon mes vécus et mes expériences durant la première République, c’est exercer unilatéralement le pouvoir. Pour nous par contre, c’est mifampitondra (gouverner mutuellement), car tout pouvoir appelle un contre-pouvoir, d’où le dicton aleo halan’andriana toy izay halam-bahoaka. L’andriana et le vahoaka se trouvent face à face, redevabilité et responsabilité s’interagissent.
La gouvernance se base sur des principes qui font généralement référence à nos valeurs, aux valeurs malgaches. Pour illustrer, je peux citer la nécessité de s’écouter (mifampihaino), les discussions, le dialogue et la concertation (hevitry ny maro mahataka-davitra), le respect mutuel, l’appel aux valeurs communes lors des prises de décision, la recherche du consensus (marimaritra iraisana). Aussi, se concerter sur des visions et objectifs communs constitue un élément fondamental de ma vision de la gouvernance.
Bekoto : Pour asseoir des pratiques saines de gouvernance, nous départir des habitudes qui ne nous faisaient pas avancer s’avère être une nécessité. Par exemple, je cite ce que nous appelons indrokelin’ny mpandrafitra (justification de l’inefficacité de nos actions), les fitsaram-bahoaka (les vindictes populaires) – qui vont à l’encontre de la primauté du droit –, le corporatisme, le népotisme (kiantranoantrano) et l’impunité (tsimatimanota), l’individualisme (samy maka ho azy) au détriment de la considération des intérêts communs, etc. Les jeunes leaders d’aujourd’hui et les nouvelles générations en général ne doivent pas perpétuer ces pratiques de gouvernance. D’ailleurs, ils connaissent bien les principes de la bonne gouvernance.
Dans quelques-unes de vos chansons, il semblerait que vous remettiez en cause le système de gouvernance du fanjakana raiamandreny à l’exemple de l’État PSD. Est-ce qu’on peut comparer ce type de gouvernance avec ce que vous aviez vécu chez vous avec vos ray aman-dreny (pères et mères) ?
Dama : À mon avis, l’État, le fanjakana en malgache, ne peut pas être nos Ray aman-dreny. Déjà le mot fanjakana est un dérivédu verbe manjaka qui signifie “régner”. Mes parents n’ont pas régné sur moi. Ils nous écoutaient et nous apprenaient à écouter les autres. Personnellement, j’avais eu la chance de développer mes capacités d’écoute et d’expression dans le cadre de l’institut des sourds dirigé par mes parents à Antsirabe. Nos parents nous encourageaient à faire beaucoup de perceptions et être sensibles à ce qui se passe autour de nous, à ne pas être indifférents (tsy miraharaha).
Ce qui a beaucoup contribué au renforcement de notre volonté et de nos capacités de comprendre, d’analyser, de synthétiser et d’évaluer les faits et les réalités, d’où nos tendances à chanter la réalité et nos choix de faire nos études en sociologie ou en médecine. Nos parents discutaient et échangeaient avec nous sur le pourquoi et comment du mouvement de 1972. Ils nous apprenaient la discipline et nous éduquaient à être responsables et non à obéir aveuglément. Ils étaient eux-mêmes contre le fanjakana raiamandreny qu’était le fanjakana PSD.
Aussi, ils soutenaient le mouvement estudiantin de 1972. Ils nous ont épaulés dans la rédaction de quelques-uns de nos textes dont Matoa izahay manao grevy (Pourquoi nous faisons la grève). Ils constituent pour nous la terre fertile pour notre éducation et notre développement : ny hazo no vanon-ko lakana, ny tany naniriany no tsara (Si l’arbre est bon pour en faire une pirogue, c’est que la terre où il a poussé était fertile).
Bekoto : Quelques-unes de nos chansons parlent effectivement de l’État comme nous l’avons perçu et vécu dans les années 70/80. Notre chanson Ikala Fanja1 (ou Karabrosy pour certains), par exemple, s’adresse directement à l’État : Ikala Fanja mijanona tsy miaraka aminay/… Izahay tsy mila an’i Rafanja/… Manao azafady an-dRafanja malala/… Fa vita teo re ny amin’ity… (l’État ne viendra pas avec nous… Nous n’avons point besoin de l’État… Toutes nos excuses, cher État… Cette fois, c’est terminé !).
L’État PSD était un exemple typique d’un fanjakana fonctionnant selon les principes de gouvernance d’un fanjakana raiamandreny.Nos pères et nos mères respectifs ont fait de nous une partie de ce que nous sommes aujourd’hui. C’est grâce à eux que nous avons vu le soleil (nahitanay masoandro), ils nous ont donné l’autorisation, éduqués, soutenus à devenir des artistes et ils nous ont encouragés à continuer et terminer nos études. Ils font partie des écoles et des mouvements d’où sont sortis les Mahaleo. Je voudrais ajouter que l’État n’est ni la propriété du président de la République ni de son du parti politique, comme il l’était dans nos perceptions et vécus en 1972, et comme Dama le chante haut et fort dans Ambohikobaka2.
Par rapport à vos vécus sous l’État-PSD, quel État voudriez-vous léguer aux jeunes générations ?
Dama : Les textes de nos chansons accompagnent les aspirations qui se sont cristallisées à partir du mouvement de 1972 ainsi que les processus de leur réalisation. Ils jouent, entre autres, le rôle de références pour les jeunes, les paysans et les autres groupes sociaux, les acteurs économiques et les décideurs politiques. Des chansons de Mahaleo parlent de l’État d’Ambohikobaka (ville de la démagogie) loin d’Ambalambahoaka (village du peuple), de fanjakana loham-boto, de fanjakana adaladala.
Nous savons depuis 1972 que nous n’avons nullement besoin d’un État qui ne veut que s’imposer (fanjakana manjaka ou fanjakana raiamandreny), même s’il s’autoproclame “fanjakan’ny madinika”. Les jeunes générations ne doivent pas hériter d’un État au service des prédateurs (mpanao rapadango), qui sera “une main visible” assurant la persistance d’un système qui profite aux riches et qui soumet les pauvres. Pour ce faire, il est nécessaire de reconquérir et de mettre l’État au service du peuple, afin qu’il serve le bien commun. Pour que demain, il n’inspire plus peur et méfiance, comme c’était le cas en 1972, mais qu’il devienne le principal instrument de transformation de notre société. C’est notre vision du fanjakana.
Nous insistons surtout sur la nécessité de faire correspondre les politiques économiques de l’État aux intérêts des groupes sociaux majoritaires, mais minorisés et subissant les inégalités sociales et régionales flagrantes dans le pays, et de mettre en place un système de protection sociale généralisé, ce qui n’a pas été fait depuis 1972 jusqu’ici.
Bekoto : Nous avons besoin d’un État qui a la capacité d’écouter, de prévoir, de promouvoir l’épanouissement de tout un chacun et de favoriser la vie collective dans notre société. Cet État aurait une principale mission : améliorer la vie du peuple. Bref, un État qui serait disposé à réaliser une distribution plus équitable des ressources et richesses nationales entre les différents groupes sociaux et entre les régions de notre pays. Nous souhaitons que les jeunes s’y mettent et poursuivent cette vision.
Je crois qu’il leur est possible de transformer l’État de telle sorte qu’il ne soit plus l’État que les Rainivoanjo, Renindrainivoanjo et Lendrema ont connu dans les années 70 et 80 : un État perçu comme fanjakana loham-boto3 (État voyou), arrogant et oppresseur comme raconte nos chansons Tsindrihazolena, Ekena re et Patrô, et provoquant les comportements tsy miraharaha (s’en foutre) et l’aversion pour la politique. Pour ce faire, il faut éviter de tomber dans l’anachronisme et de refaire les mouvements de rue dont tout le monde a vécu l’inefficacité. Dama et moi pensons plutôt à la force de l’éducation et de la conviction au changement et développement personnels, à la capacité de changement des jeunes et à leur disposition à transformer la société et notre nation.
Les problèmes de l’éducation ont en partie déclenché le mouvement de mai 1972. Peut-on dire que nous avons résolu les problèmes qui se posaient dans les années 70 et 80 ? Quelles sont vos visions dans ce domaine ?
Dama : L’être humain (olombelona) se trouve au cœur du développement. Il en est le principal acteur. Le développement doit se définir par rapport à lui. Mais être olombelona, c’est être le produit de son éducation qui, dans tout processus de développement, a un caractère fondamental. Notre vision de l’éducation est que, dès l’école fibeazana fototra, les enfants malgaches apprennent à vivre nos valeurs, à vivre en harmonie avec leur environnement naturel.
Qu’ils reconnaissent les enjeux du développement durable pour le futur, afin que leurs enfants ne vivent pas les problèmes actuels dans des formes encore pires. Qu’ils apprennent à découvrir et à valoriser les cultures et le kanto gasy vokatry ny tany (arts malgaches du terroir) et qu’ils connaissent les histoires de leurs régions et de leur île, tout en étant outillés à entrer dans le processus de leur construction identitaire et développement personnel. Et qu’ils soient prêts à contribuer et qu’ils contribuent au développement de leur pays malgré la mondialisation.
Bekoto : L’éducation n’est pas seulement l’enseignement ou l’instruction. C’est aussi le transfert de valeurs humaines, mais surtout de nos valeurs. Lorsque nos jeunes apprennent que l’idéologie du samy maka ho azy (l’individualisme) ne suffit pas pour résoudre les problèmes socio-économiques de leur pays, ils revaloriseront la mutualité malgré les différences. Ils sauront revivre la solidarité, l’entraide et le collectivisme. Ils sauront vivre dans la complémentarité de nos régions et dans le respect des soatoavina iombonana malagasy (valeurs communes aux Malgaches).
L’initiation à l’instruction civique (malgache) renforcera leur volonté à se soucier de la chose commune et publique : ils ne seront pas des citoyens tsy miraharaha4. Par la suite, ils respecteront l’environnement et entretiendront les nouvelles infrastructures. Ils iront voter et se porteront candidats aux élections. Ils participeront aux loabary an-dasy au sein des collectivités et des fokonolona, là où les membres sont à laquête du soa iombonana (bien commun). Ils développeront le sens de la rigueur et de la discipline qu’ils acquerront à travers les teny ierana. Ils n’hésiteront pas à réaliser les tetikasa iombonana (travaux d’intérêt général) sur la basedes dina et selon leurs capacités (izay tsy mahay sobika mahay fatram-bary).
Dama : Mahaleo est pour nous une école fibeazana, là où nous, les Mahaleo, nous nous éduquons. Mais l’école Mahaleo se veut aussi être une école ifanabeazana où les autres s’éduquent et se forment avec nous. Et je voudrais ajouter que nous apprenons beaucoup des autres, c’est-à-dire de nos fans, de la société en général et des jeunes générations en particulier. C’est dans ce cadre que, en dehors de nos activités d’auteurs-compositeurs et/ou chanteurs, nous – individuellement ou collectivement – avons réalisé et réalisons différentes activités dans divers domaines (socio-économique, socio-culturel, socio-politique etc.).
L’éducation conscientise les jeunes à apprécier ce qui leur appartient, à apprécier et favoriser la création malgache, à valoriser les produits du terroir malgache, à développer et soutenir les investissements et les technologies malgaches. Ils investiront dans des entreprises industrielles fabriquant des outils agricoles comme les angady, etc. et dans l’industrie agro-alimentaire pouvant concurrencer les misao, soupes chinoises, pizzas, hamburgers, tacos, etc.
Bekoto : Nous soutenons la relève et la créativité des jeunes générations dans notre société. Avec elles, nous discutons beaucoup des thèmes et des défis issus du mouvement de mai 1972 auxquels elles sont encore confrontées aujourd’hui et auxquels elles seront toujours confrontées. Nous partageons nos perceptions et nos expériences aux paysans, aux jeunes urbains et ruraux, aux militants de la société civile, aux collégiens et lycéens, aux universitaires et académiciens, aux agents de l’État et aux politiciens.
Un des mots-clés du mouvement de 1972 est la malgachisation. Est-ce encore d’actualité ?
Dama : Dans les années 70, la radio Madagascar encourageait les jeunes à consommer et à imiter les tubes anglo-français. J’avais d’abord composé et chanté en anglais, par exemple, mes titres Adin-tsaina et Raozy vony. C’est le mouvement de 1972 qui m’a ouvert les yeux et m’a laissé découvrir ma langue maternelle et le potentiel culturel et artistique de mon pays qui restait jusque-là inexploité. Alors, j’ai commencé à composer et à chanter en malgache.
Le fait que nous ayons appris le Malgache avec ses variantes régionales à l’école à Antsirabe avait renforcé cette volonté d’utiliser la langue malgache afin de transmettre les messages véhiculés dans nos songs dans tout Madagascar. Ainsi, Bekoto, Dadah, Raoul et moi, les quatre auteurs-compositeurs de Mahaleo, avons écrit nos textes en malgache, tout en adoptant des jargons et quelques touches empruntées aux jeunes de la capitale et des autres régions de Madagascar. Nos chansons parlent des réalités de tout Madagascar et non exclusivement de ce qui se passe dans la capitale. Selon l’adage malgache “ny an’ny tena andrianina, ny an’ny hafa koa fehezina” (nous valorisons et respectons ce qui est à nous, tandis que celle d’autrui nous la maîtrisons), nous utilisons et maîtrisons la guitare, un instrument de musique importé, à côté du kabosy malgache.
Bekoto : Je voudrais tout d’abord préciser que malgachisation, selon l’esprit du mouvement de 1972, ne voulait pas dire “tout écrire ou tout dire en malgache”. Il s’agit d’un changement de paradigme et de système. Il s’agit de l’adaptation du système d’éducation, de l’enseignement et de la formation à implémenter à Madagascar aux réalités (traditions, histoires, cultures, identités, géographie, conditions socio-économiques, ressources naturelles, etc.) du pays ainsi qu’aux objectifs et aux défis de développement du pays selon leur définition par les Malgaches.
Par exemple, je suis d’avis de fixer notre calendrier scolaire par rapport aux saisons agricoles. Le nouveau système renforcera ainsi nos acquis et nous incitera à nous respecter et nous permettra de nous ouvrir à d’autres pays, en sachant que c’est à nous de définir et choisir avec quels pays et quelles modalités nous coopérons. J’ai commencé à écrire mes chansons en français. D’ailleurs, je dispose de quelques chansons chantées en français. Mais nous, les Mahaleo, avons évité de nous adapter, d’abord, et d’adapter notre musique aux normes de la world music, dans l’objectif de percer sur le plan international, au détriment de notre propre style du terroir et de nos racines politico-historiques et socio-culturelles ancrées dans “1972”.
Se référant aux perceptions des réalités et aux aspirations que vous exprimez dans les textes de vos chansons, pourriez-vous nous partager quelques caractéristiques d’un Madagascar développé dont vous souhaitez « léguer » aux jeunes générations ?
Dama : Nous souhaitons vivement que d’ici 10, 15 ou 20 ans, nos textes et nos chansons ne servent plus de référence pour les jeunes de Madagascar afin d’encore interpeller ou critiquer l’État, la politique ou la société. Par contre, nous voudrions qu’ils poursuivent les revy mahaleo dans une Grande île développée. Dans notre vision, cette dernière est d’abord un Madagascar dont le développement part de Madagascar et l’éducation est made in Madagascar (fandrosoana sy fibeazana miainga avy ato anatiny).
C’est un Madagascar au sein duquel la gouvernance, en particulier locale (fifampitondrana eny ifotony), repose sur les trois principes loabary an-dasy, teny ierana et dina, constituant les trois pierres angulaires (toko telo mahamasa-nahandro) de la démocratie made in Madagascar qui se base sur le fokonolona. Un Madagascar dont les inégalités sociales et régionales ne seront pas les principales caractéristiques. C’est un Madagascar efa vita baorina qui ne se soumet à aucun pays étranger, car ici, c’est Madagascar, et où les ressources naturelles et l’environnement sont protégés et valorisés efficacement et durablement ; où les Malgaches vivent ensemble leurs différences dans la solidarité et la complémentarité ; où l’instrumentalisation de l’ethnicité “merina”, “ côtière ” ou autre ne constitue plus la stratégie centrale de la politique, de la gouvernance et de la gestion de crise socio-politique comme du temps de la première République et durant les transitions et républiques successives.
Bekoto : La société que nous voudrions léguer aux jeunes est une société où les Malgaches croient à leur pays Madagascar, à un Madagascar pays de jeunes générations (taninjanaka) fières de leurs identités, de leurs arts et cultures, prêtes à construire et à ne plus subir le poids des histoires et des traditions, fières de leurs propres contributions à la construction et au développement de leur firenena et fières de pouvoir perpétuer le fandrosoana lovainjafy.
Lorsque les jeunes ne croient plus à leur pays et ne croient plus au développement de leur pays, ils se referment sur eux-mêmes, nagent dans le courant de l’individualisme et du tsy miraharaha, tout en se laissant facilement mobiliser par “ du pain etdes jeux ”. Ils succombent à l’instrumentalisation et à la manipulation par l’ethnicité à travers les différentes organisations ethno-régionales au détriment de l’acceptation des différences, de la solidarité et de la complémentarité. Ils n’espèrent plus beaucoup de choses de leur pays et se retournent vers l’étranger, comme le relate le texte de Ikala. La chanson intitulée Randriantsimavo5 reflète au mieux les valeurs sur lesquelles est fondée notre vision d’un Madagascar développé.
Dama : J’ai la perception qu’on éduque les jeunes à ne pas se soucier de leur nation et de leur pays. On leur fait croire que Madagascar ne s’en sortira plus, qu’il s’agirait d’énigme et de paradoxe impossible à résoudre, que la pauvreté, le kere et la corruption seraient endémiques, que l’on aurait besoin d’une guerre civile comme au Rwanda pour s’en sortir, que tous les efforts de changement et de transformation étaient et seront vains.
Nous, les Mahaleo, ne faisons pas partie du cercle des personnes qui croient et veulent nous faire croire que Madagascar ne s’en sortira pas. Notre génération n’a pas réussi à relever de nombreux défis, c’est vrai, mais nous ne baissons pas les bras. Nous nous y attelons toujours. Par la force de l’éducation, nous croyons fermement que les jeunes générations et les générations futures réussiront. Avec elles, nous poursuivrons les traces de “1972”.
Bekoto : À deux, Dama et moi, nous sommes et nous restons Mahaleo. Nous sommes fidèles aux valeurs Mahaleo. Nos enfants continuent, selon leurs souhaits, à suivre les traces des Mahaleo, sans les remplacer, car aucun humain n’est remplaçable. Dama et moi restons dans la vision du mouvement de 1972. Nous ne voulons plus aucun autre “mouvement de rue”. Nous voulons que les jeunes poursuivent ce qu’on a commencé en 1972 et ce que notre génération n’avait malheureusement pas réussi à faire aboutir, car nous n’en étions pas capables.
Dama : Nous croyons que les jeunes d’aujourd’hui en sont capables. Ensemble, ils peuvent changer et transformer le pays. Nous croyons qu’ils s’en sortiront, que Madagascar s’en sortira. Bekoto et moi continuons à vivre et à partager les valeurs et revy des (sept) Mahaleo. Nous tenons à ranimer la flamme du mouvement de 1972. Nous invitons les jeunes d’aujourd’hui à se rallier à ce mouvement. Nous poursuivrons les luttes pour les changements et les transformations souhaités depuis le mouvement de 1972, mais jusqu’ici inachevés. “Ianareo ve hijanona sa hiaraka aminay ? ”.
Jean-Aimé A. Raveloson
Références
Cf. texte intégral avec traduction, In : Mahaleo à l’Olympia : Kanto Productions, Laterit Productions, Paris, 2007, p. 15
Cette chanson stipule que « Madagascar n’est pas qu’à ces gens-là, elle nous appartient aussi » (Madagasikara anefa tsy an-dry zalahy irery ihany, antsika ihany koa). Cf. Mahaleo 40 ans d’histoire(s) de Madagascar, Laterit, Paris, 2011, p. 290-296
Il s’agit de la chanson « Aza misara-mianakavy » de Bekoto.
Cf. Mahaleo à l’Olympia : Kanto Productions, Laterit Productions, Paris, 2007, p. 34
Cf. Les meilleures chansons de Mahaleo, Edition Media Consulting, Antananarivo, p. 78