En projetant les faits saillants électoraux de nombreux pays durant les 15 dernières années sur les prochaines élections à Madagascar, on serait en mesure de penser que certains revirements sont programmables. Oui, programmables…
Les stratégies de propagande ont fortement évolué depuis les 20 dernières années. Hormis les avancées de la communication grâce à la révolution technologique, les décisions relatives aux ciblages marketing et surtout aux enjeux des valeurs plus humaines ont bousculé les modes opératoires pour gagner aux urnes.
Candidat atypique
En 2008, alors que Barack Obama était un candidat atypique, largement méconnu de l’électorat américain et ayant peu d’expertise dans l’organisation d’élections à échelle nationale, il gagne haut-la-main les présidentielles face à un John McCain, disposant d’une machine de guerre ayant des expériences solides sur la question. La campagne menée par l’équipe d’Obama comprenait un axe monstrueusement simple : trouver succès dans la mobilisation des citoyens en retrait, souvent blasés par le processus électoral ; en gros, parier autant que possible sur les réserves d’électeurs délaissés.
Ainsi, il a fait enregistrer une nette augmentation du taux de participation par rapport aux précédentes élections, mais surtout a permis d’atteindre le nombre record de votes exprimés de toute l’histoire des États-Unis cette année-là. Comme il fallait s’y attendre, ces évolutions ont été surtout enregistrées chez les minorités communautaires dont notamment les afro-Américains et les jeunes. Au final, le résultat a permis à Obama, alors méconnu de la scène politique juste quelques années auparavant, de gagner les élections avec un écart de 7% devant son principal adversaire, déjà très populaire. Depuis, la stratégie d’Obama est devenue un cas d’école sur les bancs.
Les indécis décident
Pour le cas de Madagascar, cette stratégie pourrait être rendue efficace en observant le taux de participation et le nombre de voix exprimées dans les précédentes élections. En prenant l’exemple de la présidentielle de 2018, au premier tour, le nombre de votes nuls et blancs a dépassé les 390 000 (soit 7,5% des voix), alors que l’écart entre les deux premiers protagonistes était autour de 254 000 voix. Au second tour, le nombre de votes blancs et nuls associés à ceux qui ont abandonné le scrutin dépassait les 719 000, alors que l’écart entre les deux adversaires politiques dépassait de quelques poussières les 526 000.
Le jeu autour des indécis et des déserteurs aurait dû être alors un paramètre décisif : soit pour conforter la victoire de Andry Rajoelina, soit pour renverser la tendance et faire élire Marc Ravalomanana. Avec le quiproquo politique actuel, il est fort probable que le nombre d’indécis est plus que jamais à un niveau record, raison pour laquelle il y a lieu de penser que le candidat prochainement élu serait celui qui saura jouer sur l’engagement des factions blasées : primo votants, groupes minorisés ou communautés désintéressées. En gros, la conquête aux indécis ne devrait que commencer…
Richesse des compétences
L’élection d’Obama en 2008, le putsch malgache de 2009, le printemps arabe de 2010, le renversement de Kadhafi en 2011, l’arrivée au pouvoir de nombreux jeunes dirigeants dans plusieurs pays, jusqu’aux récents revirements géopolitiques en Afrique noire et, récemment, les coups d’État au Mali et au Burkina Faso ont un dénominateur commun : l’entrée fracassante des jeunes dans les choses politiques, tantôt par la bonne manière, tantôt par la pire. Quoi qu’il en soit, au-delà de tout discours sédatif autour de la potentialité de la jeunesse mondiale, il y a lieu de comprendre que les jeunes constituent un vecteur majeur de changement.
Ainsi, en 2016, alors que la France connaît un égarement politique sans précédent face à la perte de vitesse des forces politiques traditionnelles, Emmanuel Macron débarque avec une fougue ravageante, soutenu par une jeunesse en quête de nouvelles visions du monde et combinée au souhait d’un renouvellement de la classe politique. La stratégie de Macron se basait alors sur la force des volontaires. Ces derniers étaient constitués en grande partie par des jeunes bénévoles dont la richesse des compétences a fait la différence dans les pratiques de relations publiques. En basant ses démarches sur les techniques de Barack Obama et de Hillary Clinton, son équipe de campagne, alors qualifiée de start-up par les analystes politiques, était de loin la plus dynamique, la plus innovante et ayant su soutirer le maximum de résultats dans l’exploitation des réseaux sociaux.
En 2023, pour le cas de Madagascar, il semble que ces paramètres soient à peu près semblables, voire renforcés, chez le potentiel de l’électorat jeune, toutes proportions gardées. Les dernières données de 2021 confirment un âge médian de 18 ans et une moyenne d’âge de 22,4 ans, soit une population jeune, de plus en plus concentrée au niveau de l’entrée à l’âge adulte. Cette jeunesse se caractérise par son dynamisme et, depuis quelque temps, par son engagement dans les débats sociaux, économiques et politiques à travers les canaux digitaux.
En tirant conclusion de la « réussite » de Andry Rajoelina en 2018 et en observant la dynamique actuelle des participations des jeunes aux débats privés ou publics, il est d’une probabilité mathématique que les candidats qui sauront profiter de l’engagement de leur section jeune pourront plus facilement tirer profit de cette manne, d’autant plus que les jeunes sont les utilisateurs par excellence des canaux de communication actuellement les plus prisés à Madagascar, à savoir la radio, la télévision et les réseaux sociaux.
Réglementer le financement des campagnes
Pour le reste, la démarche du marketing moderne laisse de moins en moins place aux généralisations des tactiques. Les pratiques de communication actuelles suggèrent ainsi le développement d’études pointues sur les cibles pour adapter ou personnaliser à la fois les canaux et les messages. Pour le cas de Madagascar, cette démarche est incontournable face à une population à démographie hyper-hétérogène. Toujours à l’image des techniques utilisées par l’équipe d’Obama, il est essentiel d’adapter les messages, dont notamment les sujets de discussion au contexte spatio-temporel de chaque communauté, voire de chaque foyer, au fur et à mesure de la campagne.
Les techniques du porte-à-porte permettent entre autres de discuter des sujets intéressant chaque électeur, même sans fournir instantanément de solution. Combiné à une démarche de storytelling auquel l’électeur va vite s’identifier, le ciblage spatio-temporel fait littéralement la différence face à un message homogène et impersonnel. Les nouvelles pratiques de campagne nous rappellent tout simplement que la clé de la victoire ne se trouve pas forcément entre les mains des partisans, mais au contraire chez qui le vote n’est pas forcément reconnu comme outil de changement. N’est-ce pas là la meilleure occasion pour se rappeler qu’une élection est surtout le processus le plus inclusif dans un système démocratique ?
Dr Hervé Razafindranaivo