Depuis le mois de mars, des partis politiques ont planché pour accoucher d’une charte de bonne conduite. L’approche est loin d’être inédite, mais à quelques encablures de la présidentielle, et dans un contexte politique ressemblant à une poudrière, elle a fait jaser. Éclairage.
C’est une pratique courante et étendue en Afrique, mais aussi sous d’autres horizons. Si les Codes de conduite se multiplient, c’est pour répondre au contexte de crises qui est omniprésent et aussi dans une volonté de prévenir leur répétition – en amont – ou leur apparition – en aval. Visant l’harmonisation des comportements électoraux, leur contenu concorde à bien des égards au besoin de la sacro-sainte stabilité. Madagascar a également avancé dans cette voie.
Un processus électoral plus transparent
D’abord, le contexte. L’accompagnement des formations politiques dans la mise en place de la Charte de bonne conduite, entre dans le cadre du projet Participe qui est cofinancé par la Délégation de l’Union Européenne à Madagascar et aux Comores et la Friedrich-Ebert-Stiftung (FES) Madagascar. Il se déroulera de décembre 2022 à mai 2024. Participe s’adresse particulièrement aux jeunes, à la société civile et aux partis politiques. Le projet vise à mobiliser une citoyenneté active pour un processus électoral plus transparent, démocratique et égalitaire à Madagascar.
C’est dans ce cadre que l’idée d’une charte de bonne conduite a germée. Les périodes électorales sont souvent des moments délicats à traverser pour Madagascar. « En temps normal, cela ne devrait pas être le cas, les élections sont le socle de la démocratie et une voie essentielle pour la participation citoyenne et surtout pour la vie des partis politiques », détaille Mireille Andriambolanoro, coordonnatrice de programme gouvernance publique au sein de la FES.
Rencontres
Il est d’usage dans les pays démocratiques d’établir une charte ou un code lors d’une période particulière. « Certes, il y a les dispositions légales, mais un gentlemen’s agreement est un concept qui transcende les lois. L’engagement est moral. Il doit être fait de manière consciente », éclaire un des participants lors de l’élaboration de la Charte. Malgré l’ampleur du défi et le climat de défiance qui peut régner entre les partis, le processus a suivi son cheminement : les rencontres préalables avec les leaders des formations politiques, les ateliers de renforcement de capacité et d’élaboration de la charte de bonne conduite, les dialogues croisés multipartites, la consolidation et la validation des articles de la charte de bonne conduite puis, enfin, la présentation.
« Les échanges ont été riches. Les formations ont accru nos compétences. Il est nécessaire que les capacités des jeunes membres des partis politiques soient consolidées. Mais les questions d’éthique et de moral sont aussi essentielles pour éviter le sempiternel cycle de vengeances politiques », glisse Tiana Rasolonirina, membre des jeunes Tiako i Madagasikara (Tim) à Fianarantsoa
Expérience
L’ensemble du chemin parcouru est loin de ressembler à un long fleuve tranquille. « Tout le monde a avancé dans la même direction, malgré les difficultés. Dans l’esprit de chacun et de chacune régnait une certaine idée de l’intérêt supérieur de la Nation », partage Anja Maria Naivohanitriniaina, secrétaire nationale du parti Malagasy tonga saina (MTS), une des formations qui a pris part au processus. Les multiples rencontres et dialogues ont favorisé les échanges entre les partis politiques qui étaient également amenés à mieux se connaître et contribuer à renforcer la confiance mutuelle entre les partis.
Si la phase préparatoire s’est déroulée dans des conditions idéales, celle de la consolidation des articles a fait du bruit dans le microcosme politique local et au sein des médias. Il faut dire que cette période coïncidait également aux bruissements autour de la volonté de quelques politiciens de vouloir instaurer une transition . « Le timing était le fruit du hasard du calendrier. La démarche visait, – rappelons–le – à créer un climat d’apaisement et de confiance avant, pendant et après les élections, à favoriser la confiance des citoyens à l’endroit des partis politiques et concernant le processus électoral et à améliorer le niveau d’engagement de tous les acteurs notamment celui des partis politiques », note la coordonnatrice de programme gouvernance publique au sein de la FES.
L’expérience de la Grande île en matière de Charte ne date pas d’aujourd’hui. Mais elle s’est déroulée avec plus ou moins de succès. Celle de 2018, baptisée Charte de bonne conduite et d’intégrité des candidats pour une élection présidentielle apaisée, n’a recueilli que quelques signatures des candidats engagés sur les starting-block de la présidentielle. À l’époque, douze organisations, la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH), le Bureau indépendant de lutte anti-corruption (Bianco) ou encore Transparency International, initiative Madagascar, entre autres, avaient pris part à son élaboration. La situation était peu ou prou similaire à aujourd’hui avec comme point d’orgue un mouvement mené par les députés juste à quelques encablures de la présidentielle. Ce qui faisait craindre le pire.
Éthique
Avec la période électorale qui se profile à l’horizon, la FES Madagascar s’est donc engagée à accompagner les acteurs du milieu politique en contribuant au renforcement de leurs capacités et en apportant son appui dans l’élaboration de la Charte, il s’agissait surtout de mettre l’éthique au cœur de la pratique et de la culture politique.
« Les démarches réflexives dans le but d’améliorer le monde politique et de mettre en cohérence des connaissances politiques sur les défis sociétaux sont toujours utiles, intervient Rivo Rakotovao, Coordinateur national du parti Hery Vaovaon’i Madagasikara. Il est également nécessaire de rappeler sans cesse le devoir d’exemplarité de ceux et celles qui sont appelés à diriger le pays ».
Sur le Continent noir, les codes de bonne conduite aux élections apparaissent en période électorale, des moments charnières de la vie politique nationale. Par essence, ils ne sont que momentanément mis en œuvre. « Ils tendent même à faire corps avec la réglementation électorale contraignante. Ils n’ont cependant pas vocation à se substituer au Code électoral, ce qui amène à s’y intéresser de plus près », analyse, à cet effet, Brusil Miranda Metou dans son essai Les codes de bonne conduite aux élections ou l’invasion du droit constitutionnel par du « droit mou » dans les démocraties nouvelles ou rétablies en Afrique noire francophone.
Nouveau souffle
L’élaboration de la Charte a mobilisé la plupart des parties prenantes probables au prochain cycle électoral. C’est un signe d’une certaine évolution du jeu politique. Car au-delà de la présidentielle, d’autres scrutins devraient se dérouler et renouveler ou remodeler le paysage politique local. Près de 250 participants issus de partis politiques d’obédiences différentes (Parti social-démocrate malgache – PSD, Arema, Leader Fanilo, Avi, Tim, Tanora malagasy vonona, HVM, Malagasy Miara-Miainga, Renouveau pour la Démocratie Sociale – RDS, MTS) ont participé à la série de dialogues pendant lesquels ils ont renforcé la compréhension de leurs rôles en tant qu’acteurs principaux du processus électoral. Les concepts fondamentaux en politique, la démocratisation, la notion d’éthique et le mécanisme de prise de décision en démocratie ont été au cœur de ces séances de mise en cohérence de connaissances.
« Les formations ont apporté un nouveau souffle aux membres des formations politiques. Les journées de réflexion se sont apparentées également à un espace de dialogue afin d’améliorer le monde politique et la sphère électorale », estime Jahita Luciano, secrétaire provincial d’Antananarivo du PSD.
Malgacho-malgache
Aussi bien auprès d’une certaine frange de la presse que les membres de la classe politique, le reproche formulé concernait les initiateurs de la Charte et qu’elle porterait les traces d’une ingérence étrangère, à travers la FES ou l’Union Européenne. « Le processus était strictement malgacho-malgache. L’objectif est d’asseoir une paix dans le milieu politique et durant les élections malgaches », plaide Alain Désiré Rasambany, secrétaire général national du parti HVM.
Les codes de bonne conduite aux élections se sont toujours caractérisés par le concept de « droit mou » – comme le souligne Brusil Miranda Metou – à l’image de la charte de 2018. Celle de 2023, qui comporte 12 articles, aborde presque tous les compartiments de la vie publique et politique notamment durant la période électorale : implication pour un processus électoral démocratique et crédible, investissement dans la lutte et la prévention des fraudes électorales pour s’assurer des élections équitables, la probité, la question épineuse des financements (voir Politikà 30), le verdict des urnes… La démarche s’est inspirée directement de la constitution, des lois ou des instrument internationaux auxquels la Charte fait explicitement référence.
Valeur morale
« À mi-chemin entre la réglementation et l’autorégulation, les codes de bonne conduite est une sorte de zone grise où le non contraignant côtoie l’obligatoire, sans que l’on puisse véritablement dissocier l’un de l’autre, décortique Brusil Miranda Metou. Répondant aux exigences de transparence et de démocratie, l’adoption de ces codes modifie l’ensemble du paysage juridique et pousse à une réflexion approfondie sur les sources du droit et les modes de production des règles applicables à l’époque actuelle ».
Malgré quelques appréhensions, la séance de dialogue multipartite organisée le 6 juin dernier a permis de lever quelques doutes. Même si le scepticisme règne encore, beaucoup ont félicité l’initiative. En plein débat sur les lois électorales, la résurgence des débats sur la Charte de bonne conduite est salvatrice. En effet, l’existence d’un code de bonne conduite aux élections est un marqueur de la prise de conscience de la présence d’un ordre « souple et malléable », qui échappe aux impératifs de validité et de légalité, à côté d’un cadre rigide purement juridique en matière électorale et est bien souvent superbement ignoré dans ses longueurs et ses largeurs.
Si la charte a pour but de prévenir ce genre d’agissements, elle ne possède pas un caractère obligatoire. Cependant, pour maître Eloi Ratefimahefamijoro, du parti Tim, la valeur morale de la charte est son point fort. « Les échanges mutuels ont permis de parler des postures à adopter en période électorale. Il en est ressorti que le fihavanana est sacré ainsi que le respect mutuel. Il est important d’améliorer les pratiques politiques. La politique est un choix et une conviction personnelle que l’on doit assumer », développe Vololonirina Olga Ratolojanahary, maire et présidente du TGV au niveau de la commune rurale Alakamisy Itenina.
Défi
Les prochaines étapes porteront sur la signature de la Charte. Le Comité de Mise en œuvre et de suivi de la charte (CSC) sera particulièrement attendu. En effet, il s’est avéré nécessaire de le mettre en place pour rendre le dispositif efficace. Le CSC va assurer une meilleure diffusion du document et surtout veiller à son application.
La sensibilisation auprès des partis politiques qui n’ont pas encore adhéré à la charte revient à ce comité qui assurera aussi la collecte des recommandations et suggestions d’amélioration ainsi que la mise à jour ou la révision du document. « La démarche que nous avons accomplie prouve que les partis sont toujours essentiels dans la vie d’une nation. Surtout, les formations politiques malgaches peuvent travailler en bonne intelligence et en entente. Elles peuvent avancer dans le sens de l’apaisement », plaide Mireille Andriambolanoro.
Le vrai défi sera la mise en œuvre des dispositions contenues dans la Charte. Elle dépendra de la signification que les signataires leur attribuent. « Ce ne sont pas la contrainte et la sanction qui font la force obligatoire des codes de bonne conduite aux élections. Le triomphe du droit consenti sur le droit imposé conduit à un assouplissement de la juridicité en la matière, puisqu’il est prévu dans ces codes des mécanismes propres de contrôle », conclut Brusil Miranda Metou.