Ils seront à peu près 10 768 137 électeurs, selon la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Le 10 juin dernier, la commission avait dévoilé ces chiffres après les opérations de nettoyage, d’enlèvement ou de retranchement pour cause de répétitions des identités ou encore des numéros de cartes nationales identiques. Plus de 66 300 noms ont dû être supprimés et près de 379 161 noms vérifiés.
Sur ces quelque dix millions de votants, combien se rendront aux urnes au premier et surtout au second tour ? Les formations politiques et les Organisations de la société civile font de multiples appels de pieds pour convaincre les indécis d’aller aux urnes. Au-delà de la confirmation de la mainmise de Andry Rajoelina, s’il se porte candidat, ou de la consécration d’un (une) challenger, la présidentielle sera surtout une nouvelle bataille pour reconquérir les cœurs et la tête des votants.
Selon les chiffres provisoires de la refonte, la région Analamanga recense le plus d’électeurs potentiels avec 1 638 918 personnes suivie par le Vakinankaratra avec ses 810 918 électeurs. Ces deux bassins électoraux auront donc leur poids dans la balance et leurs rôles cruciaux à jour pour faire élire le futur président ou le réélire.
Mais pour y arriver, les états-majors des formations politiques devraient, tout d’abord, convaincre les électeurs d’aller aux urnes. Au vu du peu d’enthousiasme affiché par les citoyens par rapport aux questions politiques (voir Politikà 30), il faut s’attendre à une nouvelle érosion du taux de participation. Les promesses déçues y sont pour quelque chose. « Au moment du scrutin, les électeurs ont le sentiment d’être maîtres du jeu et de prendre leur part. Mais ils ne sont que les souverains d’un jour. Sitôt le vote passé, avec les promesses qui l’ont précédé, ils constatent que les élus s’émancipent de leurs promesses et que l’intérêt général est ensuite ballotté au gré des protestations et du rappel à l’ordre. (…) Il en résulte pour la population un sentiment diffus d’impuissance impossible à déceler, si ce n’est (…) dans l’abstention », avait analysé Pierre Jacquemot, dans un essai fort éclairant : Afrique, La démocratie à l’épreuve.
De nombreuses associations et des partis politiques se sont lancés dans une course à la sensibilisation qui ressemble à un sprint. Tous les terrains sont occupés : allant des réseaux sociaux aux universités. « Dans un premier temps, il était question d’inciter les citoyens en âge de voter à inscrire puis à vérifier son nom dans la liste électorale, nous souffle un cadre d’un parti historique. Maintenant, il est temps de sensibiliser pour aller voter, indépendamment des mouvements et des déceptions politiques ». La bonne volonté se heurte bien souvent aux réalités : la première d’entre elles est une inflation galopante et le sentiment, pour les citoyens, d’être laissés à leur propre sort. « L’incapacité des présidents successifs à lutter contre la corruption endémique a conduit de larges pans de la population à perdre l’espoir que tout pourrait changer, pour le mieux. Alors que le nombre d’électeurs potentiels a augmenté à chaque scrutin, le nombre de votants, quant à lui, n’a cessé de diminuer », poursuit Pierre Jacquemot qui parlait du cas nigérien, mais qui peut refléter les réalités malgaches.
Aujourd’hui, les stratèges des formations politiques ont l’obligation de considérer dans leurs calculs le facteur d’une nouvelle abstention massive, notamment au second tour. En 2018, Jean-Michel Wachsberger, avait établi – par le biais d’une analyse effectuée à la lumière d’une géographie électorale – « qu'(au second tour) les électeurs des “petits candidats” exprimaient (par l’abstention) leur refus de choisir l’un ou l’autre des représentants des anciens présidents en place ». Les jeux d’alliances, les consignes de vote et le report des voix peuvent être capitaux si d’aventure l’enthousiasme électoral n’est pas au rendez-vous, d’autant plus que les poids lourds (Tanora gasy vonona – TGV, Tiako i Madagasikara – Tim, en tête) ont déjà une base électorale bien établie.
D’ici là, il reste encore un peu de temps pour une mobilisation citoyenne qui ne doit pas demeurer au niveau électoral. Comme l’a souligné Aïda N’Diaye, enseignante, auteure et philosophe, dans une tribune pour Jeune Afrique.
« La démocratie se joue à bien d’autres niveaux. Quel est le meilleur citoyen : celui qui vote à toutes les élections sans aucune autre forme d’action ou celui qui, au contraire, s’engage (dans une association par exemple) dans la vie de la cité ? N’est-ce pas la société civile qui, d’abord et avant tout, fait vivre la démocratie en dehors d’une représentation qui ne peut être qu’imparfaite ? », interrogea-t-elle.
À l’orée de la présidentielle, les inquiétudes sont encore palpables et des problématiques lancinantes ne devraient pas a priori être résolues pour ce nouveau cycle électoral, dont le plafonnement des dépenses de campagne. « Le règne de l’argent est palpable. Actuellement, les débats d’idées sont occultés.
Ce n’est plus les qualités d’un candidat qui lui confèrent le statut de favori, mais l’argent dont il dispose », regrette Heriniaina Mahosindrahaja, président national du Leader Fanilo. Le vrai défi est de se faire réapproprier aux citoyens la notion de vote dont le droit a été l’une des principales revendications des luttes nationales.
Références
Jean-Michel Wachsberger. L’élection présidentielle malgache de 2018-2019. Géographie électorale,. 2019. ffhal-02069708f Tantaran’ny Andriana p.70 2https://www.jeuneafrique.com/1347959/politique/les-abstentionnistes-enfants-gates-de-la-democratie/