La nouvelle politique de décentralisation est inscrite dans l’agenda 2023 de Madagascar. Le Parlement estime, avec l’assistance de la Cour des comptes, que la trentaine d’années de décentralisation doivent être appréciées à juste titre si la volonté de la rendre effective est réelle. L’évaluation est un outil nécessaire pour y arriver. Décryptage.
Il est temps de rappeler qu’après un centralisme démocratique, le forum national de 1991 nous a poussés à entrer dans la troisième République.
Enjeux démocratiques et stratégiques
Dans un langage compréhensible par tous, il existe plusieurs catégories d’actions publiques, mais elles tendent à résoudre un problème de société : elle peut porter le nom de politique générale ou sectorielle, avec des déclinaisons en stratégie et plan, voire des projets. En effet, il faut que les gouvernants identifient le(s) problème(s) à résoudre pour mieux répondre aux attentes et besoins des citoyens. Dès qu’ils le(s) considèrent comme nécessitant une « action publique » et un effort de tous, leur inscription dans l’agenda d’une entité publique s’avère nécessaire.
Une formulation des alternatives, avec choix de moyens d’exécution et de partenaires, permet d’aboutir à l’adoption d’un programme avec les indicateurs. Pour cette politique dont la lettre a été adoptée en 1993, il s’agit d’un choix d’organisation étatique pour la proximité et le respect du principe de subsidiarité. L’État s’engage à mettre en œuvre des mesures avec une reprise exacte de ces termes dans les constitutions successives : la répartition entre les collectivités territoriales et l’État des compétences, des ressources et des services publics.
Il en découle l’autonomie administrative, budgétaire et financière pour que toute décision émane du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les enjeux à la fois démocratiques et stratégiques se conjuguent avec les enjeux opérationnels. La pertinence, la cohérence interne et externe doivent être assurées. Ensuite, il faut déployer et allouer les ressources nécessaires et suffisantes sans quoi la politique publique reste une lettre morte, sans effectivité.
Une démarche rigoureuse
À partir de sa mise en œuvre, il faut un mécanisme de suivi et d’évaluation pour mesurer les résultats atteints par rapport aux actions menées et ressources dépensées. À Madagascar, les articles 68 et 101 de la Constitution de 2010 attribuent au gouvernement et au Parlement l’évaluation interne et externe des politiques publiques, la présentation et le débat sur les résultats des actions publiques. L’Exécutif et le Parlement se partagent encore les frontières de responsabilités. L’article 93 de la loi fondamentale confie à une instance juridictionnelle appelée la Cour des comptes la mission d’assistance à ces deux pouvoirs publics.
Les lois organiques portant organisations et fonctionnement ainsi que les règlements intérieurs des deux chambres parlementaires s’y ajoutent. En termes simples, un problème bien posé est à moitié résolu. Donc évaluer une politique publique n’est pas si compliqué que cela parait si la politique a été bien conçue : qu’est-ce qui marche et que faut-il renforcer ? Qu’est ce qui n’était pas efficace et qu’il faut rectifier ou ajuster ? Ceci étant, il faut une certaine technicité pour y aboutir. Une démarche rigoureuse d’une entité indépendante avec des membres assermentés renforce davantage cette crédibilité.
Évaluation ex-ante, in itinere et ex post
Si l’on se réfère aux missions habituelles des organes de contrôle, l’évaluation a sa propre définition, une étendue plus large et un processus spécifique. En mars 2020, Madagascar a adopté sa propre définition de l’Évaluation des politiques publiques (EPP) lors des assises inter-institutionnelles de l’évaluation avec le Réseau francophone de l’évaluation (RFE). Notons que la Cour s’est référée aux lignes directrices de l’organisation internationale des institutions supérieures de Contrôle (Intsoai) de décembre 2016.
L’étendue de l’évaluation inclut et déborde aussi du cadre des objectifs, d’allocation de ressources, de mise en œuvre et d’appréciation des résultats immédiats habituels. En effet, elle s’étend à l’opportunité de besoins et l’appréciation des impacts à long terme des actions. La période de l’évaluation s’étend sur trois phases. Une évaluation ex-ante se déroule dans le débat avant même la mise en place de la politique. En cours d’exécution, une évaluation in itinere ou intermédiaire permet d’apporter des ajustements ou des mesures correctives, notamment en fonction des changements de l’environnement extérieur. Les résultats à moyen ou long terme et les impacts peuvent être appréciés au bout d’une période relativement longue après l’achèvement de sa mise en œuvre dans une évaluation ex post.
Pour qu’une évaluation tienne la route, il faut une politique bien conçue dans sa mise en place. La politique doit être clairement identifiable, avec des objectifs connus et définis et des résultats attendus mesurables. La portée doit être conséquente et cela demande du temps. L’évaluation doit être de taille suffisamment importante, mais de complexité gérable aussi, et ce, après avoir pris forme dans sa conception ou sa mise en œuvre, voire la fin d’exécution, selon le type d’évaluation. Elle doit avoir aussi des fins d’utilisation. L’évaluation est appelée à contenir un potentiel d’améliorations opérationnelles et/ou stratégiques importantes, à présenter un potentiel d’alimentation du débat public important et à ne pas faire l’objet de blocages institutionnels ou politiques insurmontables.
Note de faisabilité et comité d’accompagnent
Quant au déroulement technique, il faut la possibilité de faire un parangonnage – c’est-à-dire d’aligner correctement – international minimal et qu’aucune autre évaluation similaire par d’autres institutions ne se déroule dans des périodes trop rapprochées. Les spécificités sont que l’évaluation se distingue des autres activités par deux choses : la note de faisabilité et le comité d’accompagnement. En effet, l’assistance technique doit engager un dialogue précis avec le parlement commanditaire pour que les contours précis de la politique à évaluer et la problématique de l’évaluation soient bien déterminés.
Le comité rassemble les personnes ressources capables d’apporter des éléments pertinents à la politique et l’évaluation. Dans les autres pays, il y a systématiquement un sociologue dans le comité. La saisine du parlement enclenche le processus d’évaluation et la préparation de la notification aux entités concernées par l’évaluation de la politique. L’élaboration de la note de faisabilité et la constitution du comité d’accompagnement s’en suivent. Viennent ensuite le plan et le rapport d’évaluation. Pour le rendre public et à la portée de la population, il faut une communication du rapport avec le soutien des médias.
Un choix d’organisation de l’État
L’objectif d’une évaluation n’est pas la sanction, mais l’amélioration. Le rapport d’évaluation des politiques publiques formule des recommandations objectives et non pas des sanctions administratives ou financières ou pénales. En effet, même en cas de résolution totale du problème sociétal identifié par la politique évaluée, l’évaluation permet de faire face à un nouveau défi. Sinon, elle permet d’ajuster les mesures ou les démarches en cas d’atteinte partielle des résultats attendus.
Pour le cas de l’Évaluation de la politique publique de décentralisation à Madagascar, les évaluations ex post et intermédiaire ex ante peuvent se faire selon la finalité recherchée et les phases. En effet, trois décennies se sont écoulées depuis 1992. La première phase couvre la période de la série de lois de 1994 jusqu’à la mise en place en 2004 et 2005 des juridictions spécifiques des collectivités territoriales à savoir les Tribunaux administratifs et financiers. La seconde a été enclenchée par la nouvelle série de lois de 2014 et la période actuelle marquée par la lettre de politique de décentralisation émergente adoptée et la Plan national de décentralisation émergente (PNDE) en cours de finalisation.
Cette troisième phase devrait être mise en œuvre à compter de 2024. La décentralisation embrasse des aspects multidimensionnels pour un pays à géographiquement, culturellement et socio-économiquement large comme Madagascar. Les enjeux de telle évaluation touchent aussi bien le volet démocratique (redevabilité, mise en débat, mobilisation), mais aussi le volet stratégique (amélioration, adaptation, réorientation), sans oublier le côté opérationnel (prise de décision, arbitrage). Une série de questionnements émerge de ces constats : les politiques publiques à Madagascar tirent-elles vraiment leur source de besoin national ou d’impulsion extérieure ?
Les dispositions prises tiennent-elles compte de la réalité du terrain ? S’agissant d’un choix d’organisation de l’État, doit-il vraiment y avoir un ministère de la Décentralisation si tous les ministères sont censés « décentraliser », sauf ceux de souveraineté. Or un ministère de l’Intérieur qui se charge de la décentralisation représente l’État central (centralisation et déconcentration) ?