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Élections : le tonneau des Danaïdes

A la UneÉlections : le tonneau des Danaïdes

Nous attendons des élections une amélioration de l’offre politique. Pourtant, l’histoire récente de Madagascar présente un tableau dégradé que l’on peut résumer ainsi : l’irruption d’un leader sans parti, le poids démesuré de l’argent et le désenchantement des électeurs.

Certes, les élections des décennies précédentes étaient loin d’être irréprochables, mais celles du XXIe siècle sont d’une tout autre nature. Souvent, elles ne font qu’aggraver les conflits existants. Elles deviennent sources de nouvelles tensions.  Tel le tonneau des Danaïdes, un éternel recommencement…

Manœuvre

La principale inquiétude demeure : celle de la transformation du processus électoral en simple manœuvre visant à se maintenir au pouvoir, malgré la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Il est nécessaire de comprendre que l’important est de gagner la confiance des électeurs et de tous les acteurs pour qu’ils participent de bonne foi à la compétition. L’évolution des mentalités, de la culture politique et des techniques offre l’opportunité de construire un système électoral réellement utile au pays. Madagascar a vécu de nombreuses élections depuis l’Indépendance, tantôt houleuses, tantôt calmes.

Les premières élections à Madagascar se sont tenues en 1946, sous l’autorité du gouvernement colonial1. Elles ont permis l’élection de trois députés hostiles à ce même gouvernement colonial. La leçon a été retenue et les élections suivantes (jusqu’à maintenant, à l’exception de celles de 1996 et 2018) ont tourné à l’avantage du pouvoir en place. La plupart des scrutins ont donné à voir des intimidations contre les candidats « indésirables », l’achat de voix (grosses sommes d’argent circulant dans les campagnes, marketing agressif, promesses et menaces diverses), des manipulations en tous genres (listes d’électeurs, procès-verbaux des bureaux de vote, transmissions des résultats, etc.), l’abus des médias publics et le harcèlement judiciaire. Malgré tout, le système électoral était parvenu à une certaine maturité après la libéralisation des partis en  mars 1990.

Avant les élections présidentielles de 2001, Madagascar avait déjà expérimenté deux  changements de pouvoir par la voie électorale (1993 et 1997) et un empêchement définitif du Président par l’Assemblée nationale (1996) conformément aux termes de la constitution . Après quelques progrès en matière de gouvernance et de développement, la démocratie malgache pouvait paraître sur la bonne voie. « Cependant, les élections de 2001 ramenèrent le pays à ses vieux démons. Face à la popularité inattendue du candidat Ravalomanana, le président en exercice Ratsiraka, tenta d’influencer la Cour constitutionnelle en changeant sa composition peu avant le scrutin. Un violent conflit de six mois s’ensuivit, qui se termina par la reconnaissance internationale de la victoire de Ravalomanana. (…) », résume une étude de l’Université de Genève.

Malheureusement, la démocratie malgache connut un nouvel épisode dramatique quand le maire de la capitale, Andry Rajoelina, s’empara du pouvoir avec l’aide de l’armée le 17 mars 2009. « Pourquoi les crises de 2002 et de 2009 se sont-elles produites dans un pays qui avait déjà expérimenté des changements de pouvoir électoraux et un empêchement présidentiel ? (…) Cette analyse de la crise de 2002 nous donne aussi les moyens de mieux comprendre les enjeux de la crise de 2009 »2, note Jérôme Bachelard. 

Amortisseur politique

D’une crise à l’autre, on note que le Parlement n’a jamais joué son rôle d’amortisseur politique. Les dirigeants, incapables de trouver une solution durable, se sont déchargés de leurs responsabilités sur les magistrats. « Le président-monarque, le parlement comme chambre d’enregistrement, l’absence d’opposition et de débat contradictoire, la Constitution instrumentalisée, le pouvoir judiciaire dépendant, le processus électoral sous influence et la négligence envers l’armée »3.

Le rôle des élites est également trouble. « Depuis l’indépendance, les élites malgaches n’ont jamais permis le développement d’institutions solides et stables, préférant les instrumentaliser pour servir leurs intérêts ou tout simplement les ignorer. Ces pratiques mènent à des crises politiques cycliques. Tous les présidents depuis l’indépendance ont ainsi été écartés du pouvoir par la rue (1972, 1991, 2002 et 2009). Malgré ces crises, ces élites parviennent à entretenir et reproduire des réseaux de pouvoir politique et économique népotiques, qui étranglent le pays, bloquent tout développement de l’état de droit et l’appauvrissent considérablement. »4

Élections : examen de passage rituel

Organiser des élections est un investissement considérable pour le pays, non seulement sur le plan financier, mais surtout sur le plan politique. Si le scrutin était sincère, la compétition changerait de nature. Au lieu de se focaliser sur la véracité des résultats, le débat se déplacerait vers la qualité des compétiteurs et de leurs programmes. Les élections deviendraient alors un examen de passage rituel pour gagner la confiance du public. Une consultation démocratique directe est une tâche très complexe, réalisée dans une atmosphère lourde. L’instauration d’un climat apaisé est donc primordiale avant toute autre considération.  

Les élections ont été décrites comme un moyen de sortir de l’autoritarisme ou de régler des conflits passés. Les partis politiques, les médias et les observateurs ainsi que la société civile s’impliquent en général fortement, chacun à sa manière, pour rendre vivant ce principe. Depuis une quinzaine d’années, des commissions indépendantes ont été mises en place dans différentes régions du monde et en Afrique en particulier, en contrepoint de la partialité toujours soupçonnée du gouvernement. La Ceni serait donc l’alpha et l’oméga de la vérité des urnes. Soit, mais elle n’est pas seule sur ce champ de bataille. Tous les autres acteurs (électeurs, candidats, partis, médias, administration, forces de l’ordre) ont également besoin de contribuer à la sincérité du scrutin. Cette notion de sécurité élargie est primordiale. 

Cela exige quelques précautions, en particulier sur le statut particulier du Président en exercice qui n’est pas un candidat parmi d’autres, malgré son retrait apparent du pouvoir deux mois avant le scrutin. Cela signifie également que le financement de la campagne (montant et sources) détermine la conduite du mandat. C’est la première condition de la confiance. On croit généralement que les problèmes d’intégrité sont le résultat de pratiques malhonnêtes et frauduleuses. Ils peuvent également être le résultat d’erreurs humaines, même commises en toute bonne foi. Par exemple, la qualité des listes électorales devrait reposer sur un véritable recensement national. À Madagascar, le dernier recensement de 2018 donne une base de données solide dans laquelle la liste pourrait puiser, sans épuiser, car ceux qui ont atteint la majorité depuis ont tout le loisir de s’inscrire dans les fokontany. Pourquoi ne pas avoir mis à profit ce recensement pour élaborer une nouvelle liste électorale, au lieu de cette recherche abstraite de 3,5 millions d’électeurs ? Ce chiffre repose sur une double hypothèse : une population de 27 millions d’habitants composée à moitié d’adultes (plus de 18 ans) et le différentiel avec la liste de 2018 (10 millions). 

Réglementer le financement des campagnes 

L’impartialité ne signifie pas que l’on reste inerte face aux abus. Au contraire, la Ceni devrait montrer son engagement en exploitant au maximum les possibilités offertes par la loi, à commencer par l’article 8 qui parle de « garant moral de l’authenticité des opérations électorales »5. Pour que les élections soient perçues comme impartiales (ici aussi la perception compte autant que la réalité), la Ceni doit considérer l’environnement politique, social et sécuritaire de la période précédant le scrutin jusqu’à son aboutissement. L’article 6, véritable mantra de la Ceni, dit qu’elle « n’entretient aucun lien hiérarchique avec les autres institutions de l’État », sauf sur le choix du calendrier. 

La transparence n’est pas un gadget, mais la raison d’être de toute élection : programmes, alliances, soutiens politiques et financiers. La transparence sur les dépenses électorales (de l’État et des partis/candidats) doit également entrer dans les mœurs politiques. Les électeurs sont doublement piégés, au moment du vote et après. Il y a quelque chose de pathétique à demander à une population en survie de choisir son dirigeant. Après le vote, leur pouvoir éphémère disparaît, jusqu’au prochain scrutin. La seule planche de salut serait que le programme sur lequel le dirigeant est élu ait une valeur contraignante, un contrat social en somme.

Justement, le programme est normalement détaillé lors de la campagne électorale. Faire campagne c’est d’abord convaincre, et non menacer les concurrents ou acheter les voix. Réglementer le financement des campagnes, mais aussi l’accès aux médias publics apparaissent comme le minimum syndical. Les sources, les montants acceptables et l’équité des ressources posent des problèmes éthiques, car le poids écrasant de l’argent tend à changer la démocratie en ploutocratie. Pour assurer des campagnes électorales honnêtes, la plupart des pays ont adopté des règles qui obligent les candidats à divulguer les sources ainsi que le montant de leurs dépenses. Ainsi, la Ceni pourrait fixer la limite des fonds à utiliser lors des campagnes électorales, avec un seuil pour chaque élection (municipale, législative, présidentielle).

Drame

Concernant les médias d’État, leur qualité de service public les oblige à l’égal accès en permanence, et pas seulement à l’occasion d’élections. Cette revendication élémentaire des prétendants au pouvoir est aussitôt oubliée de ceux qui y parviennent. Quant aux médias privés, ils sont tout aussi inféodés aux puissances de l’argent. Sur le temps de la campagne, ce qui importe c’est la qualité et non la durée: la limiter est à la fois vain et injuste, car cela ne restreint que ceux qui ne sont pas au pouvoir. Laissons la parole circuler librement, que cent fleurs s’épanouissent…

L’observation électorale joue également un rôle important dans la promotion des principes et pratiques de données électorales ouvertes comme moyen de faire progresser la confiance du public dans de véritables élections démocratiques. La vraie observation est faite par les électeurs eux-mêmes. Le soir du vote, le décompte se fait dans des bureaux bondés comme pour un match de foot, avec applaudissements et huées.  Des scrutateurs bénévoles inscrivent à la craie au tableau noir des colonnes de carrés barrés (cinq voix par carré) et le résultat est net au bout d’une heure. Alors pourquoi tant de contestations par la suite ? 

Parce que le procès-verbal affiché suit un chemin peu sûr jusqu’au centre de collecte, et au-delà. Le drame se noue quand les procès-verbaux (PV) signés entrent dans le système informatique. Échappant à toute vigilance publique, la machine à compter envoie des chiffres douteux aux étages supérieurs, et ainsi de suite jusqu’au verdict final.  Alors que faire ? Les PV de départ, fidèles au résultat écrit sur le tableau au vu de tous, peuvent être photographiés et transmis par voie électronique aux centres de collecte. 

Des résultats acceptés, car acceptables

La solidité du système électoral repose sur la possibilité offerte à chaque électeur de vérifier si son bulletin a été correctement enregistré. Grâce à la popularisation des téléphones mobiles, cela peut se faire pour un coût acceptable, compte tenu de l’enjeu (20 000 bureaux de vote, autant de téléphones connectés). La mise en ligne par la Ceni des résultats par bureau de vote achèverait de désarmer les râleurs. L’ensemble du processus (celui géré par la Ceni, comme ce qui échappe à son pouvoir) devrait être évalué d’une manière indépendante. Sur le modèle des indices de bonne gouvernance ou de perception de la corruption, un indice de gouvernance électorale permettrait de mesurer les efforts fournis, dans le but d’améliorer sans cesse le système et non pas d’en stigmatiser les résultats.   

L’évaluation des élections peut se faire grâce à des enquêtes d’opinion indépendantes. Plusieurs organismes seraient mis à contribution et l’indice serait la synthèse des notes attribuées. Toutes les phases du processus électoral doivent faire l’objet d’une évaluation (avant, pendant, après). Les points cruciaux à suivre de près sont le financement des campagnes (montants, sources), l’accès équitable aux médias publics, la traçabilité de tous les votes. Au-delà de la mécanique électorale, il faudra apprécier les comportements sur le terrain des uns et des autres (organisateurs, partis politiques, candidats, observateurs, médias).

Une meilleure lecture politique sera permise à travers des débats contradictoires dans les médias publics, afin d’habituer les gens à entendre des points de vue différents tout au long de l’année et pas seulement juste avant les élections. L’évaluation visera essentiellement à mesurer les progrès ou les retours en arrière d’une élection à l’autre, grâce à un indice de gouvernance électorale qui doit faire apparaître le niveau d’intégrité de l’élection et les recommandations pour améliorer la qualité des élections.  

Références : 

  1. Analyse de la crise politique 2009-2013, CSI juin 2013

2. Jérôme Bachelard, Pressure struggles behind elections and coups : Madagascar’s 2001-2002 and 2009 

et 4 International Crisis Group, mars 2010

5. Loi 2015-020 sur la Ceni, 2009 

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