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Jeunesse et politique : l’heure de la réconciliation

A la UneJeunesse et politique : l’heure de la réconciliation

Le divorce est-il consommé entre la jeunesse et la politique ? Comprendre les causes de la faible participation des jeunes au processus politique nécessite de s’intéresser à leur degré d’intégration au sein de la société et à la place qui leur est faite au sein du système démocratique.

Des jeunes s’asseyent en cercle autour d’un téléphone portable, à Ankadimanga, près de Manjakandriana. Ils jouent à un jeu sur smartphone qui fait fureur, le ludo. Le but du jeu est assez simple. Il consiste à déplacer les quatre pions autour du plateau dans le sens des aiguilles d’une montre, de la zone de départ jusqu’à la zone d’arrivée.

Les joueurs lancent un dé, à tour de rôle, et ils doivent déplacer leurs pions d’autant de cases que l’indique le dé. Si un pion atterrit sur une case déjà occupée par un pion adverse, ce dernier est renvoyé dans sa zone de départ. La stratégie générale dans le jeu est d’empêcher que ses propres pions soient renvoyés dans la zone de départ et en même temps, d’essayer d’atterrir sur les cases pions adverses pour les renvoyer à la zone de départ.

Faire pencher la balance 

« Si le Ludo fait fureur chez nous, c’est qu’il renvoie à la mentalité malgache. Il faut à tout prix empêcher les voisins, la famille ou les amis de réussir et d’avancer. Il faut les renvoyer à la case départ », s’esclaffe Haja, un des joueurs autour du plateau, la vingtaine passée. À des milliers de kilomètres de là, à Taolagnaro, même ambiance, sauf qu’on se réunit autour d’une « radio carte » avec un petit speaker qui crache à pleins poumons les derniers tubes afrobeat du moment.

Dès qu’on leur parle d’avenir, l’assistance est stoïque. « Nous nous contentons d’affronter le présent », apostrophe Lejao, 24 ans. « Je veux devenir chauffeur de taxi-brousse ou transporteur », nous dévoile-t-il. La plupart d’entre eux travaillent la terre ou font du charbonnage. « Les jeunes se demandent quel est l’intérêt de voter ? Pis, ils estiment qu’aller aux urnes ne changera pas grand-chose ». Ce constat lucide est de Rapo Nichols Nakany Atlas, jeune activiste panafricain, dans le cadre d’une conférence sur le système électoral de Madagascar face aux jeunes électeurs en 2023, en mars dernier. Madagascar est un pays jeune et un pays de jeunes. Le Recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) 3 a dénombré près de huit millions de jeunes âgés de 14 à 30 ans. Ce nombre est sûrement sous-estimé car de nombreux jeunes échappent au radar du recensement. Beaucoup n’ont pas entre leurs mains une carte d’identité.

La population malgache est majoritairement jeune, mais les aînés sont encore omniprésents dans toutes les sphères de la vie de la nation. Ils ont tendance à phagocyter les prises de décision. « Notre culture politique et notre culture en général accordent beaucoup d’importance aux opinions, aux prises de parole et aux prises de position des zokiolona, des olobe an-tanàna et des raiamandreny. Selon la croyance héritée des ancêtres et des raiamandreny dans laquelle les jeunes sont éduqués, ces derniers ne sont pas assez matures et sérieux pour prendre des décisions, ils ne disposent pas encore du hasina, de la sagesse et des expériences des zokiolona et des raiamandreny pour décider de la vie de la famille, de la société et de la nation » 1, note Mirarisoa Tendriniavo Raminovoaharimalala, coordonnatrice de Tanora manova rasa (TMR).

Processus décisionnel 

La jeunesse peut clairement faire pencher la balance durant les élections. Là encore, les formations politiques ne développent pas assez de stratégies innovantes ou disruptives pour la séduire. Elles essayent timidement d’investir les réseaux sociaux, mais rien n’y fait, la jeunesse est ailleurs. Un certain désintérêt pour la chose publique accompagne ce scepticisme généralisé. Pour comprendre ce désintérêt, un petit tour au marché de Sambaina s’impose.

« Ceux qui sont au pouvoir et ceux qui ambitionnent d’obtenir le pouvoir veulent juste se remplir les poches », lâche Kanto, une jeune fille qui vient d’avoir sa carte d’identité nationale. Ce désamour pour la politique – et qui se traduit par une faible participation aux élections – touche tous les continents, même l’Europe qui est présentée comme un des berceaux de la démocratie. Une vaste enquête de l’institut Montaigne met en avant que 64% des jeunes montrent « des signes de désaffiliation politique ». 43% des jeunes estiment ne pas avoir « d’idées assez précises pour se positionner sur l’échelle gauche-droite ». Elle a été menée au mois de septembre dernier auprès de 8 000 Français âgés de 18 à 24 ans.

Plus que le désintérêt, le phénomène du rejet est le plus effrayant. « De nombreux jeunes s’intéressent à la politique ou aux postes politiques. Cependant, le fait est que les aînés préfèrent ne pas leur confier des responsabilités », déplore Herinjato Ramamenosoa, maire de la commune rurale d’Ankaraobato, élu sous les couleurs de la plateforme Isika rehetra miaraka amin’ny Andry Rajoelina kaominina (IRK). Cette exclusion des sphères décisionnelles alimente le phénomène de rejet. « Les jeunes ne sont que peu considérés dans le processus décisionnel alors qu’ils occupent une très grande place au sein de la population active », regrette Juliana Ratovoson, qui est très bien placée pour parler du sujet puisqu’elle était déjà vice-ministre chargée de la Jeunesse et leader engagée. 

Doute

Les jeunes auront leur mot à dire durant la prochaine présidentielle. Près de la moitié des électeurs est jeune. Or, la réticence se fait encore sentir, notamment auprès des citadins. Ando Andriamalazaray, vice-président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) argumente: « les électeurs jeunes en milieu rural sont davantage enclins à être sensibilisés. L’autorité des aînés est encore importante ». Nos jeunes de Manjakandriana en témoignent. « On nous a incités à nous inscrire sur la liste électorale et nous l’avons fait. Personnellement, je ne sais pas si je vais aller voter », note Fetra. Dans son esprit, le doute s’installe constamment. Séduire cet électorat est à la fois un objectif ultime et un casse-tête pour les états-majors des partis politiques.

Aujourd’hui, la dynamique porte plutôt sur les associations et sur les mouvements culturels ou sportifs. Il n’y a qu’à voir l’enthousiasme provoqué par les évènements dans ces secteurs. « Imaginez un instant si cet engouement pour l’accueil des Barea Chan s’était transformé en mouvement pour réclamer la justice, l’état de droit, l’équité… Nous aurons eu gain de cause depuis longtemps », souffle un cadre d’un parti politique réputé pour le capacity bulding des jeunes. « Les jeunes s’engagent dans les associations, mais le problème est que celles-ci se convertissent dans la politique après quelques années d’existence. Ce qui induit en erreur l’audience. Il faut préciser dès le départ les objectifs », exhorte Alain Désiré Rasambany, secrétaire général national du parti Hery vaovao ho an’i Madagasikara (HVM). 

L’attrait que suscitent les associations culturelles, sportives ou…cultuelles ne faiblit pas et semble combler un vide. « Les jeunes aiment bien intégrer les associations, les Organisations non gouvernementales (ONG). Ils y constatent une dynamique positive et entrainante. Il y a, disons-le, une “ambiance” vraiment différente qui pousse les jeunes à s’y épanouir », note notre interlocuteur. Pour le maire de la commune rurale d’Ankaraobato, les associations constituent un pont vers les engagements davantage politiques. « À travers (elles), (les jeunes) s’initient aux prises de responsabilité, par exemple, en intégrant les comités locaux au sein des fokontany ou des communes  », explique-t-il. Juliana Ratovoson partage le même avis. « Les jeunes ont du mal à se retrouver dans la politique. Dans les associations, ils peuvent avoir une même vision et peuvent définir ensemble les activités à faire dans des domaines précis », souligne-t-elle.

Gouvernance

Comment réconcilier jeunes et politiques? Il n’y a pas de panacée universelle, mais les impliquer à un plus haut degré dans les prises de décisions serait déjà un grand pas en avant. « Il faut voir les jeunes, non pas seulement comme des bénéficiaires, mais aussi comme des acteurs au sein de la communauté », suggère Lalaina Randriarimanana, coordinatrice générale du mouvement Liberty 32. 

La coordonnatrice de TMR mise sur une somme d’actions que les jeunes doivent entreprendre. « Des petites actions peuvent booster la participation des jeunes dans la vie publique : (leur) donner l’accès aux processus de prises de décisions en (les) consultant, en considérant (leurs) idées et en facilitant (leur) participation à des débats institutionnels. Les jeunes veulent vraiment participer. Mais ils ne veulent pas simplement attendre que les acteurs politiques qui sont déjà dans l’arène depuis des décennies leur ouvrent grandement la porte », souligne-t-elle2. Malgré les défis, la Grande île semble être sur la bonne voie, à en croire Juliana Ratovoson. « Nous avons vu beaucoup de changements ces trois dernières années. De plus en plus de jeunes occupent actuellement les postes décisionnels. Nous pouvons constater le rajeunissement de la fonction publique de Madagascar », partage-t-elle. 

Cependant, dans le domaine électoral, l’offre politique émanant des partis politiques doit être améliorée. Les jeunes ne s’y reconnaissent pas forcément et remettent en cause un système duquel ils se sentent de plus en plus éloignés. « Il faut un peu plus de communication sur ce que font les jeunes au niveau des communautés. Il est également important de parler des modèles qui peuvent les inspirer », suggère Lalaina Randriarimanana. Les politiques publiques doivent être clairement orientées vers une jeunesse en quête de repères. 

Toutefois, ils ne peuvent pas se soustraire à leur responsabilité. « Il y a un manque d’ambition collective (auprès de la jeunesse). (Elle est) plutôt individualiste et n’obéit qu’à des intérêts (à) très court terme. C’est la raison pour laquelle la plupart des jeunes investissent le secteur tertiaire à travers le commerce, etc., déplore le secrétaire général national du parti HVM. Ce n’est pas par hasard si les aînés négligent cette ascension des jeunes dans la vie politique et dans la gouvernance du pays »

Devoir d’exemplarité

Le devoir d’exemplarité que les hommes et les femmes politiques doivent accomplir explique cette apathie relative de la jeunesse. Les moult affaires éclaboussant la classe politique n’aident pas à rabibocher les liens entre la jeunesse et la politique. Les messages et les attitudes des politiques à l’orée de la campagne électorale n’inspirent pas forcément confiance. Les agissements ressemblent plutôt à une démonstration de force qu’à des argumentaires idéologiques ou politiques. Cette période s’apparentant à une précampagne présidentielle en est la preuve.

Au bout de deux heures, la partie de Ludo à Ankadimanga s’achève sans qu’un joueur n’ait réellement pris le dessus sur un autre. Le statuquo demeure. Une résonnance particulière de ce que sont actuellement la vie politique et la participation de la jeunesse dans les affaires publiques. « Nous n’avons peut-être pas encore pu révolutionner ou transformer le système, mais nous le faisons déjà vibrer. Peut-être que notre poids est encore moins perceptible, car nous sommes encore atomisés, mais nous allons arriver à nous unir »2, conclut Mirarisoa Tendriniavo Raminovoaharimalala, sur une note
d’espoir. 

Références :  
1 et 2  Propos recueillis par J-A.Raveloson.

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