Le mouvement populaire de 1972 a déployé des formes inédites de mobilisation, d’action et d’expression, comparées à celles qui ont prévalu sous la colonisation : les luttes politiques légales pour l’indépendance et l’insurrection patriotique armée de 1947.
Cette fois-ci, face à une indépendance sans souveraineté, autrement dit une domination politique, économique et culturelle de l’ancienne Métropole intégralement maintenue, par le biais des accords de coopération franco-malgaches de 1960, un mouvement de la jeunesse s’est construit en prenant conscience du caractère étriqué des enjeux politiciens et syndicaux qui figeaient, avec les pesanteurs patriarcales, la formation sociale malgache.
Dynamique
D’avril à septembre, le mouvement a connu des phases de flux puis d’« apogée » – ce qu’a été mai 72 – et de reflux pendant lesquelles des jeunesses (urbaines, universitaires, scolaires puis déscolarisées) se sont levées. Elles étaient soudées dans l’action contre le système néocolonial et avaient réclamé la malgachisation de l’enseignement et celle de l’administration et de l’économie. Par la suite, certaines fractions de la bourgeoisie, des syndicats de travailleurs (à partir du 15 mai, jour de la marche vers le Palais du Premier ministre), ainsi que progressivement des secteurs de la paysannerie se sont impliqués finalement dans la dynamique après l’imposition d’un gouvernement de militaires et de techniciens, le 18 mai.
De bout en bout, « 72 » s’est caractérisé par son organisation d’une grève générale démocratique articulant dissensus et consensus, assemblées (générales) délibératives, motions d’analyse et d’orientation et in fine actions de masse… tout en favorisant une relative grande fraternité et une expression libératrice de tout un chacun.
Face à l’offensive de réorganisation du procès néocolonial menée par le nouveau pouvoir qui a entrepris de récupérer le mouvement populaire dans un sens normalisateur, le Komity iombonan’ny mpitolona (Kim), le comité commun de grève, a appelé à la tenue en septembre d’un Zaikabem-pirenena (congrès national). La stratégie gouvernementale de pourrissement de la situation a essoufflé le mouvement qui a entamé dès lors son reflux. D’aucuns voyaient même le projet de Zaikabe comme une sorte de baroud d’honneur.
Contrastes
C’est dans ce contexte de reflux du mouvement que j’ai proposé, en électron libre, au Kim, via deux responsables amis, Solofo Randrianasolo et Tovonanahary Rabetsitonta, la conception et la fabrication d’une affiche d’identification du mouvement et de remobilisation citoyenne : c’était le projet Ndao. Le projet est né d’une matrice d’affiche dessinée au crayon-stylo-feutre dans un local du lycée d’Ampefiloha, occupé par le Kim, à l’approche du Zaikabe. Je n’avais aucune référence artistique avérée, particulièrement dans le domaine où je me lançais, mais juste une expérience de hobby qui m’a fait exercer (pour moi-même ou pour certains amis) divers portraits au crayon-stylo-feutre à partir d’illustrations trouvées dans la presse ou dans des livres.
Je peux citer l’iconique Che Guevara, Guerillero Heroico (d’après les clichés du photographe cubain Alberto Korda), Free Angela Davis, Free Huey Newton (dirigeant du Black Panther Party), FNL Vietnam vaincra, etc. Dans ma vision, l’affiche Ndao sera du même type que ces dessins faits à partir d’illustrations soixante-huitardes. Elle sera une mise en exergue de contrastes entre les couleurs noire (les traits en ombres du personnage) et rouge (le fond de l’affiche) et, bien sûr et surtout, une combativité marquée.
Pour Ndao, j’ai construit un dessin graphique à partir d’une illustration que j’ai trouvée dans un numéro de la revue Réalités malgaches de l’époque : une photographie d’archive d’un paysan du Sud malgache lors du mouvement d’avril 1971 mené par le parti Monima.
Dans mon brouillon au format A4, la tête du paysan en lutte était enserrée d’un bandeau (comme celles de certains insurgés dans l’histoire de par le monde), tandis que son bras gauche brandissait une kalachnikov. Ce dernier symbole dépassait l’entendement, je le reconnaissais… d’ailleurs, le Kim a refusé ce brouillon. Donc, j’ai remplacé la kalachnikov par un poing gauche bien fermé, ce que le Kim a adoubé. Ainsi, le Zaikabem-pirenena a eu son affiche en « rouge et noir », le rouge pour « démocratie » et le noir pour « liberté ».
Héritage théorique
« 72 » a adopté le slogan Ndao pour appeler à l’action… « Ndao – Na ho vy na ho vato, tsy maintsy mandresy ny vahoaka madinika » (En avant ! Face au fer ou face à la pierre, le peuple vaincra inéluctablement). Ndao parce que le Zaikabe en préparation me semblait grippé et qu’il fallait réveiller la combativité de la population. Ajoutez-y mon clin d’œil internationaliste, et pour l’histoire, à Vorwärts (c’est-à-dire Ndao, bien sûr), le journal social-démocrate où Friedrich Engels a publié en 1876 son Anti-Duhring, un peu une partie de mon héritage théorique.
Ainsi, l’affiche Ndao du Zaikabem-pirenena de 1972 appelait à un regain de combativité citoyenne pour une unité populaire. À ne pas confondre avec l’affiche Ndao de 1977, en rouge et noir aussi, presque identique (à une nuance près), du parti MFM-MFT (Mpitolona ho an’ny fanjakan’ny madinika – Mpitolona ho an’ny fanatanterahana ny tolom-piavotana) où le personnage militant a été rajeuni et quelque peu « zoamisé » dans son apparence. Normal, à mon sens : ce parti était alors en marche vers une participation au pouvoir sous la deuxième République et s’adressait d’abord à sa clientèle potentielle.
Jean-Claude Rabeherifara