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Motion de censure : les jeux ne sont pas encore faits

PolitiqueMotion de censure : les jeux ne sont pas encore faits

La (tentative) de motion de censure opérée dans la chambre basse révèle au grand jour le vrai visage d’un système censé être démocratique, mais dont tous les rouages ne sont finalement pas si bien huilés que cela. Retour sur la dernière secousse politique dont les conséquences se ressentiront forcément sur les événements de 2023. 

«Je lance un appel pour que les provocations et les querelles cessent, puisque c’est une source de paix. L’intérêt national devrait être une priorité, même si les opinions politiques divergent, et ne nous laissons pas être divisés ». La voix est enrouée et les séquelles d’une semaine agitée sont encore visibles sur les traits de la présidente de l’Assemblée nationale. Dans son discours de clôture de la deuxième session ordinaire de l’année à Tsimbazaza, l’occupante du perchoir, Christine Razanamahasoa, a réitéré son souhait d’apaisement, surtout au sein de l’institution qu’elle dirige après le séisme provoqué par la procédure de motion de censure enclenchée par 105 députés.

Avis irrecevable

« La motion de censure est le principal moyen dont dispose un parlement pour montrer sa désapprobation envers la politique du gouvernement et le forcer à démissionner, autrement dit pour témoigner de sa défiance envers le gouvernement en place », précise le dictionnaire Larousse. C’était apparemment l’intention derrière la procédure entamée le 7 décembre dernier, quand une motion de censure signée par 105 députés, aussi bien de l’opposition que des sympathisants de l’administration actuelle, a été déposée auprès de la présidente de l’Assemblée nationale. Néanmoins, dès le lendemain, le bureau permanent a publié une déclaration qui considérait la motion de censure comme « nulle et non avenue ». Elle n’aurait pas respecté « les conditions dictées par la Constitution et les lois en vigueur ». 

Une déclaration en contradiction totale avec le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, selon la députée indépendante élue à Vangaindrano, Eléonore Johasy. « Dans son article 195 alinéa 3, celui-ci spécifie que pour une motion de censure, “à partir du dépôt, aucune signature ne peut être ni retirée ni ajoutée” », note-t-elle. L’élue affirme en outre qu’une simple déclaration, fut-elle du bureau permanent, n’a pas de valeur juridique et qu’elle ne doit en aucun cas annuler un procédé constitutionnel comme la motion de censure. 

C’est d’ailleurs ce qui a amené les 16 députés de l’opposition à déposer une requête auprès du Haut conseil pour la défense de la démocratie et de l’État de droit (HCDDED), le 13 décembre dernier, avec comme objets la sollicitation « du respect des règles d’éthique du pouvoir, de la démocratie et de l’État de droit », la demande par le biais du HCDDED « de l’avis de la Haute cour constitutionnelle (HCC) sur l’immixtion du président de la République dans les affaires de l’Assemblée nationale » et enfin la demande de « l’avis de la Haute cour constitutionnelle sur la valeur constitutionnelle ou juridique » de la déclaration du bureau permanent. La HCC a publié son avis le 21 décembre, en arguant que le président du HCDDED, n’étant pas un chef d’institution, ne figure pas dans la liste de ceux qui peuvent demander un avis à la HCC et que l’immixtion du président de la République dans les affaires de l’Assemblée nationale ne fait pas partie de la catégorie des actes et des dispositions pouvant faire l’objet d’une demande d’avis auprès de la HCC. Cette institution a ainsi estimé la demande d’avis de la HCDDED comme « irrecevable »

Ainsi, une deuxième requête juridiquement plus fournie et plus solide a été déposée le 10 février par 23 députés, au lieu des 16 de la première fois, à la HCDDED. Des députés du Malagasy miara-miainga (MMM) et d’autres sensibilités politiques sont venus s’ajouter à ceux du Tiako i Madagasikara (Tim) et du Groupe des parlementaires républicains (GPR), qui étaient les têtes de file de la première requête. En parallèle de ce feuilleton politique s’est également érigée la plateforme C’Lera (C’est l’heure) regroupant des députés, maires et conseillers municipaux ou communaux, des associations, des membres de la société civile, des syndicats ou de simples citoyens, pour interpeller les dirigeants actuels sur leurs manquements et mauvaises pratiques, et surtout pour interpeller les citoyens sur l’importance de la tenue d’élections transparentes. La présentation officielle de cette plateforme a été faite le 26 janvier. 

Honorer les engagements 

« Le pouvoir en place dispose d’une majorité écrasante dans les deux parlements, alors que la motion de censure a quand même pu avoir lieu. C’est un signe que les 105 députés se sont réveillés et qu’ils se sont mis à honorer leurs engagements qui sont de porter la voix du peuple et de le protéger. Ils se sont sûrement rendu compte depuis quelque temps que les aspirations de la population ne correspondaient plus du tout avec la politique de l’État », estime Rivo Rakotovao, coordonnateur national du parti Hery vaovao ho an’i Madagasikara (HVM). 

Une affirmation confortée par l’avis de Naivo Raholdina, député du Ve arrondissement de la capitale, élu sous la bannière de la plateforme politique Isika rehetra distrika miaraka amin’i Andry Rajoelina (IRD) et pro-Rajoelina de la première heure, qui avoue qu’il est signataire de la motion visant le gouvernement. Il a été parmi les députés offusqués par l’attitude du Premier ministre et sur l’incapacité de certains membres du gouvernement à honorer leurs engagements, ce qui nuirait fortement à la notoriété du président de la République. 

« J’ai été parmi ceux qui étaient partants pour une motion de censure. En étant un fidèle de Andry Rajoelina de longue date et sans condition, je n’ai pas opté pour une motion d’empêchement. La collecte de signatures a été initiée par les députés de l’opposition à laquelle les députés pro-régime se sont joints », explique le parlementaire. Cependant, il affirme que l’exposé des motifs pour lequel il avait signé lors de la collecte de signatures aurait été changé lors du dépôt de la motion. C’est ce qui aurait entraîné le revirement des députés pro-régime, et avec le respect de la discipline de parti, car des consignes politiques leur ont été données. 

Une rencontre entre le président de la République et les députés pro-régime a effectivement eu lieu à l’Arena Ivandry, le 8 décembre où, selon l’Opposition, il leur a été demandé de stopper la motion de censure, avec des mots durs de la part du Président à l’encontre des députés.  « Quand la motion de censure a été envoyée au gouvernement, elle a provoqué un vent de panique. De nombreux députés s’étaient rétractés, car il y a eu beaucoup d’intimidations. Il avait été même argué que cela s’apparentait à un acte de déstabilisation et que cela allait bloquer les financements des bailleurs de fonds », argumente Eléonore Johasy.

Le principal concerné de l’affaire, le Premier ministre, s’est fendu d’une interview à la chaîne nationale TVM le 20 janvier dernier, où il a interprété la motion de censure contre le gouvernement comme une tentative de déstabilisation visant le président de la République. « Nous étions convaincus que le gouvernement et certains de ses ministres, dont celle du département de la Population, n’ont pas été à la hauteur de leurs missions. J’en sais quelque chose puisque j’œuvre dans le social depuis longtemps avec mon association Fanantenana Fav5, et cette motion a été faite dans le but de les interpeller », lâche Naivo Raholdina. 

Un feu qui couve 

En tout cas, cette vraie fausse manœuvre d’envergure au sein de l’hémicycle a été un énième révélateur pour l’administration et l’Exécutif. « Le chef de l’État a réagi avec peur. Il aurait pu faire passer la procédure et faire un plaidoyer politique par la suite, mais il a dû être influencé. De toute manière, quand les tenants de ce pouvoir cherchent une solution, ils ne respectent pas les lois », commente le chef de file du HVM. Johasy Eléonore estime, elle aussi, que les partisans de Andry Rajoelina auraient pu laisser poursuivre la motion de censure et appliquer la discipline de parti pendant les votes. « Le chef de l’État aurait dû en parler ouvertement avec les députés au lieu d’essayer d’étouffer les contestations. Il aurait été judicieux de discuter des raisons qui ont poussé les députés à faire cette motion. Le Premier ministre aurait pu invoquer un vote de confiance pour savoir clairement ce qui est attendu de lui », estime Rivo Rakotovao. 

En tout cas, bien que la HCC ait jugé irrecevable la demande d’avis transmise par la HCDDED, les insatisfactions qui planent sur le gouvernement et sur les actions présidentielles demeurent d’actualité. Le député élu dans le cinquième arrondissement de la capitale, quant à lui, voit les choses positivement. « Cette tentative n’a fait que renforcer la force et la notoriété du Président. Les citoyens ont vu clairement que le Premier ministre n’a pas été à la hauteur et que le chef de l’État a toujours de l’autorité sur ses partisans, tacle-t-il. Elle a aussi interpellé le gouvernement sur les chantiers qui n’ont pu être menés à bien ». Justement, en écho à ces interpellations, le chef de l’État avait annoncé lors du lancement de la campagne de reboisement national que le volet social serait désormais priorisé, et que la construction ou la mise en place d’infrastructures seraient suspendues. Dès le lendemain, certains ministres se sont empressés de clarifier ce positionnement. Le locataire d’Iavoloha lui-même avait précisé le fond de ses pensées lors d’une visite à Marovoay, le 2 février dernier.

« Tous les projets en cours seront menés à leur terme et bouclés, comme l’autoroute, les écoles, les universités, le pipeline… Mais dorénavant la priorité est donnée au volet social et au bien-être de la population », a-t-il martelé. Le changement de quelques têtes au sein de l’équipe gouvernementale était également une volonté manifeste de reprendre la main sur certains dossiers et de donner satisfaction aux députés.

L’atmosphère politique de ces prochains mois risque ainsi d’être sulfureuse, surtout avec le retour de l’ancien président Hery Rajaonarimampianina au pays. Les jeux sont loin d’être faits… même si dans le camp de l’opposition, on estime que le camp présidentiel part avec un léger avantage. « Tout le monde est à la solde du chef de l’État. Le pouvoir est vertical. On peut même le rapprocher de la dictature. Au moins, la HCC peut faire une interpellation, car avec les violations répétées de la Constitution, le Président mérite déjà d’être déchu. Il pense que personne n’ose s’opposer à ses ordres. Mais il ne faut pas oublier que toutes ces frustrations deviennent un bouillonnement, un feu qui couve », conclut Rivo Rakotovao. 

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