Ces dernières décennies, des candidats à Madagascar tendent à duper l’électorat par l’argent pour se faire élire au lieu de convaincre par des projets de société réalistes. Le processus électoral, censé être inclusif, équitable et transparent serait vain sans la transparence et le plafonnement des dépenses des campagnes électorales.
Madagascar, un pays qui affiche un fort taux d’endémisme, étonne. Ses espèces rares, tout comme ses politiciens, captent l’attention. Selon le constat, le pays, parmi les plus pauvres, serait le champion du monde en matière de dépenses électorales. Pour certains candidats, la mode est d’user du pouvoir de l’argent dans le but délibéré d’exercer une contrainte vicieuse, celle qui pousse aux vices, sur les électeurs appâtés par des artifices savamment préparés et mis en œuvre.
Trafic de ressources naturelles
« Dans notre région, il suffit de 500 ariary pour que l’électeur vote pour tel ou tel candidat », a rapporté un témoin oculaire lors des deux tours du dernier scrutin présidentiel de 2018. Ce fait, a priori banal, est des plus logiques à la lumière de la pauvreté rampante dans toutes les régions. L’état déplorable de la socialisation politique au pays est une circonstance aggravante. Ce dernier aspect traduit la décadence des pratiques politiques à l’échelle nationale.
La ministre de la Communication et de la Culture, Lalatiana Rakotondrazafy, dénonce derrière une telle manière d’apprécier un procès d’intention et une présomption de culpabilité à l’égard d’un candidat ciblé. Un tel jugement, aux yeux de la porte-parole du gouvernement et non moins présidente du parti Freedom, accuse les votants d’incapacité de réflexion judicieuse. Une campagne électorale est quand même l’occasion pour les candidats de mieux se faire connaître et de faire connaître leurs programmes pour lesquels les citoyens leur donnent leurs voix. Une campagne électorale n’est donc ni plus ni moins qu’un étalage de richesse.
Transparency international-initiative Madagascar (TI-IM), par le biais de Dr Ketakandriana Rafitoson, sa directrice exécutive, s’exprime plutôt contre la corruption électorale face à l’excentricité financière des candidats en panne d’idées. Celle-ci pourrait mettre en danger la nation tout entière à brève ou à longue échéance. La recrudescence du trafic de ressources naturelles à l’approche des élections, selon le constat de cette organisation de la société civile, en est un indicateur significatif.
Organe inopérant
Le mot même « invasion » (par un autre pays à l’image d’Ukraine) a été évoqué lors d’une conférence-débat qui a eu lieu le 28 février dernier. En effet, l’Organisation non gouvernementale Ivorary et ses alliés ont invité un représentant du pouvoir, le parti Tiako i Madagasikara (Tim) de l’opposition, la TI-IM et la Commission de contrôle du financement de la vie politique (CCFVP) à débattre de la transparence et du plafonnement des dépenses des campagnes électorales en cette veille du prochain scrutin présidentiel.
Les pourparlers dans le cadre de la mission d’évaluation des besoins (Need Assessment Mission, Nam) sont en cours avec les partenaires. Pour un petit rappel historique, la soi-disant incapacité de l’ancien Royaume de Madagascar de régler ses dettes envers l’étranger a fini par justifier le protectorat français, mué en colonisation à la fin du XIXe siècle. Les agissements des candidats, qui obtiennent des fonds de campagne aux origines douteuses, pourraient déboucher sur un résultat analogue même s’il paraît absurde d’en parler à l’ère actuelle où toutes les sociétés sont de plus en plus dynamiques et communicantes.
Jusqu’à nouvel ordre, la Loi organique 2018-008 du 10 avril 2018 relative au régime général des élections et des référendums (Lorger) reste la référence incontournable. Celle-ci comporte cependant des lacunes et des imperfections flagrantes. Elle a le mérite d’imposer aux candidats un certain nombre de prescriptions. Mais elle les exempte de l’impératif de la transparence et du plafonnement des dépenses des campagnes électorales. Elle reste aussi équivoque quant aux sanctions à appliquer en cas de manquement. Les candidats à la dernière élection présidentielle, qui ne se sont pas conformés aux exigences de la loi, perdent d’office leur éligibilité, suivant les précisions de Rado Milijaona, président de la CCFVP. Celle-ci est vue comme un grand acquis de la Lorger. Pourtant, privé d’un pouvoir de sanction, même en présence d’éléments constitutifs des infractions, cet organe de contrôle apparaît comme un inopérant.
Maturité démocratique enviable
Ses membres sont nommés en Conseil des ministres par le président de la République, qui, du coup, se révèle être juge et partie à la fois. De ce fait, la CCFVP ne peut rien contre l’ex candidat devenu président de la République que celui-ci soit correct ou non vis-à-vis de la loi. Dotée d’un budget annuel dérisoire de 90 millions d’ariary, la CCFVP ne peut avoir que des manœuvres d’action limitées. Alors que dix députés élus et seulement deux candidats lors des communales ont daigné rendre compte de leurs dépenses électorales conformément à la loi. Les sénateurs élus, eux, sont tous des récalcitrants. Une fragilisation de l’opinion se met alors en branle. Les pratiques démocratiques en pâtissent d’évidence.
Les manques constatés dans la Lorger, apparemment voulus par les législateurs et les politiciens eux-mêmes qui y trouvent une longueur d’avance pour soi, instaurent la « loi de la jungle électorale ». « Sans la transparence et le plafonnement, ce seraient des élections non sérieuses, non démocratiques, anarchiques et celles des gros bras, des nantis et des riches », regrette Julien Andriamorasata, membre du bureau politique du Tim.
Les politiciens se disant patriotes, s’ils le sont réellement, ont le devoir moral de se plier à la règle de la transparence et du plafonnement tant souhaitée. Il en va des pratiques démocratiques pour rehausser les pratiques politiques au profit de la croissance et du développement. Dans les pays à maturité démocratique enviable, l’exhibition de la richesse est un des motifs pour le corps électoral de pénaliser les candidats. De plus, un certain nombre de pays en Afrique sont montés à bord du train de la transparence et du plafonnement des dépenses des campagnes électorales qui font encore débat à Madagascar.
Impulsion internationale
Certes, la Loi relative au régime général des élections et des référendums préconise la transparence, tandis que le plafonnement est en point d’interrogation. En effet, les missions d’observation électorale, celle de l’Union européenne en 2018 notamment, ont recommandé l’effectivité de la transparence et de la limitation des fonds de campagne. Les discussions consécutives à cette impulsion internationale semblent avoir mis du temps à poindre à s’en tenir à la remarque de la ministre Lalatiana Rakotondrazafy.
Pourtant, d’après une étude réalisée en 2020-2021 par la TI-IM, 64 % des enquêtés désirent connaître les sources des fonds de campagne des candidats. De son côté, la CCFVP aussi a déjà tiré sur la sonnette d’alarme. « Dès décembre 2021, lors de la présentation de notre rapport, nous avons attiré l’attention de la société politique et de la société civile que 2022 serait une année sans élection. C’était alors le moment propice aux discussions objectives », insiste Rado Milijaona. L’amélioration de la Lorger est encore de l’ordre du possible même à quelques mois des échéances.
La première session ordinaire du Parlement à partir de mai sera opportune pour ce faire. Des propositions ont été formulées à cette fin. La TI-IM a produit un document s’y rapportant et l’a remis aux autorités gouvernementales qui, théoriquement, se chargeront de le soumettre à l’Assemblée nationale et au Sénat le moment venu.
Éthique en politique
Pour sa part, la CCFVP, pour le besoin de son fonctionnement, a rédigé de son propre chef des textes réglementaires à même d’être pris en considération pour toute éventuelle retouche de cette disposition. Le Tim qui se dit prêt à aller aux élections, malgré tout, donne également son avis sur une note d’optimisme. « Un certain nombre de paramètres sont à prendre en compte pour le plafonnement. Nous, les Malgaches, avons les compétences requises. Nous pouvons faire appel à des experts », soutient Julien Andriamorasata.
En attendant, tout repose sur le bon vouloir et le sens de l’éthique des acteurs politiques. Selon les dispositions légales, le processus de contrôle des dépenses électorales court six mois avant le scrutin et trois mois après. La TI-IM en particulier a élaboré une charte de transparence qu’elle soumettra aux candidats et aux investisseurs. Ces derniers sont parmi les principaux contributeurs aux fonds de campagne électorale des premiers.
À ce titre, un appel à l’endroit du secteur privé est lancé. Ses membres sont priés de rendre publics les apports financiers qu’ils apportent aux candidats. Mais le changement ne semble pas être pour la prochaine échéance électorale. Norbert Lala Ratsirahonana, président fondateur du parti Akaiky ny vahoaka indrindra (Avi) et éminence grise de nombreux présidents de la République a déjà prévenu que « si vous ne disposez pas des moyens financiers nécessaires, d’une radio ou bien d’une chaîne de télévision et si vous n’avez pas de journal ni des moyens pour louer un avion ou des hélicoptères, ce n’est pas la peine de vous présenter aux élections, car vous ne faites qu’embrouiller la population ».
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