Madagascar et sa biodiversité manquent encore cruellement de livres scientifiques qui les documentent. Mais une révolution en douceur est en train de s’opérer avec, à sa tête, la jeune génération de chercheurs.
Nous sommes en 2004, à Vohibe, dans une campagne enclavée. Achille Raselimanana et Steeve Goodman, deux chercheurs passionnés, se reposent pour la soirée et discutent de leur projet en cours qui consiste à faire les inventaires de la biodiversité malgache pour appuyer sa conservation.
Inquiet de la réalisation et surtout dans son inscription dans le temps, l’Américain demande à son collègue comment le réaliser. Doté d’un grand sens du patriotisme, Achille Raselimanana estime qu’une association malgache serait plus à même de prendre le relais et d’assurer la continuité des actions avec une vision malgache. C’est la genèse de l’association Vahatra.
Émergence de chercheurs
2006. Deux ans après cet entretien nocturne, un des programmes du World wildlife fund (WWF) est transféré à l’association Vahatra. Il s’agissait d’ études sur terrain dans des forêts encore méconnues de la Grande île à travers le prisme de jeunes étudiants. Depuis, le projet a fait son chemin. Le bilan est encourageant, car l’association comptabilise jusqu’ici 450 étudiants diplômés encadrés par l’association. 18 monographies sur les inventaires biologiques ont été effectuées et plus de 1 000 articles ont été publiés. Ce travail de capitalisation est essentiel pour inventorier afin de mieux protéger la biodiversité malgache.
L’une des pierres levées de cette capitalisation est The New Natural History of Madagascar, un ouvrage monumental qui a rassemblé près de 500 collaborateurs, dont un tiers est d’origine malgache. L’évolution est palpable et notable. En 2003, il n’y avait qu’une poignée de chercheurs malgaches qui avait participé à l’élaboration du premier livre The Natural History of Madagascar. « C’était une époque où les chercheurs malgaches n’étaient pas particulièrement à l’aise en évoluant dans la communauté des chercheurs anglophones. Bien qu’il y eût quelques chercheurs qui avaient participé au travail de recherche, ils étaient encore chaperonnés par des chercheurs étrangers, se souvient docteur Steven Goodman. La mention de leurs noms parmi les collaborateurs était plus un signe de politesse que la reconnaissance d’une réelle contribution ».
Conservation
Aujourd’hui, la donne a changé. Pour cette nouvelle édition, toutes les contributions malgaches ont été distribuées avec un excellent niveau d’anglais. Le docteur Achille Raselimanana est fier du chemin parcouru entre l’année 2003 et 2023. « La plus grande fierté de l’association Vahatra réside dans le fait que, pour l’élaboration du second livre – bien que j’aie collaboré pour 17 contributions – mon nom n’a été cité en tant que premier auteur que deux fois. Dans les autres contributions, j’ai été deuxième auteur », souligne-t-il. En d’autres termes, la relève a assuré son rôle. Ce flambeau repris par les jeunes ou les moins jeunes chercheurs est essentiel afin de multiplier les recherches.
Il y a encore beaucoup à découvrir dans la Grande île, or le temps presse et la conservation ne figure pas toujours en tant que priorité des dirigeants. L’idée était de former des jeunes esprits afin qu’ils puissent œuvrer sur terrain et avoir la réaction idoine face aux différents aléas rencontrés au gré des travaux. Avoir des chercheurs qui occupent les postes de responsabilité est essentiel afin d’améliorer les programmes de conservation pour la biodiversité de l’île. Ils peuvent capitaliser les connaissances pour en faire profiter la communauté malgache.
Dans cet esprit, l’association Vahatra travaille actuellement sur une série d’ouvrages qui serviront de guides écotouristiques des aires protégées. Les aires protégées de Lokobe, d’Ankarana et de la Montagne d’Ambre ont déjà fait objet d’un premier ouvrage. Le Nord de Madagascar figure parmi les régions ayant un fort attrait touristique. L’esprit de cet ouvrage consiste à attirer un tout autre type de touristes : celui qui promeut l’écotourisme et s’oriente vers la richesse de la biodiversité malgache.
Endémicité
« Nous avons été surpris par le nombre de contributeurs malgaches et le travail qu’ils ont effectué. Mais il est important de souligner que c’est le résultat d’un long processus. J’ai pu former jusqu’ici 150 étudiants. Je les ai accompagnés jusqu’au moment où ils ont obtenu leur diplôme. À leur tour, ils ont pu en former d’autres. Voilà l’effet tache d’huile recherché qui tente d’impacter la communauté scientifique du pays », précise le docteur Achille Raselimanana.
Le mandat de l’association Vahatra qui consistait à faire avancer la science à Madagascar au profit des scientifiques malgaches est un réel succès. Il va sans dire que la conservation de la biodiversité du pays ne peut se faire sans la prise de conscience collective sur l’importance de cette endémicité naturelle du pays. Elle passe aussi par la capitalisation et la documentation pour les générations présente et future.
Yanne Lomelle