Madagascar a été relativement épargné par la Covid-19, par rapport à d’autres pays, même si de nombreux morts sont à déplorer. C’est plutôt son économie qui a été durement touchée. La campagne de vaccination a été lancée après une période d’atermoiement afin de protéger la population et d’accélérer la reprise.
Dans son plan national de déploiement des vaccins datant d’avril 2021, la Grande île a fait une projection de taux de couverture de vaccination contre le covid de 50,5% d’ici le mois de juin 2023. Malgré une hausse des personnes ayant reçu une ou des doses de vaccin, Madagascar est encore loin du compte. À l’heure où l’on parle, le taux de vaccination dans la est de l’ordre de 8,2%, selon les données fournies par le site OpenSource de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Malgré sa disponibilité, le vaccin fait encore hésiter une grande partie de la population malgache.
Hésitation
Antoine et Rasoa forment un couple de sexagénaire qui vit à Anjozorobe. Ne pouvant plus travailler dans les champs, leurs enfants leur ont octroyé de l’argent pour financer une épicerie de proximité. Depuis, le couple voyage au moins une fois toutes les deux semaines vers Antananarivo, à 90 km de leur lieu de résidence. Dans le transport en commun bondé de monde, Antoine et sa femme ne mettent pas de cache bouche comme l’indiquent pourtant les consignes de sécurité.
Quand on leur demande s’ils ont fait le vaccin contre la Covid-19, Antoine répond, avec un grand sourire par la négative. « Nous avons fait notre temps. Il y a toute une panoplie de maladies de nos jours, on ne peut plus se préserver de tout à notre âge, avoue-t-il placidement. Mieux vaut laisser aux jeunes le privilège du vaccin car ils ont plus d’années à vivre que nous ».
Le couple ne semble pas avoir conscience qu’il figure parmi les personnes à risque, contrairement aux jeunes. La méconnaissance du mécanisme de cette maladie figure parmi les raisons qui entraînent cette hésitation à se faire vacciner. La situation est exacerbée par une société traditionaliste et conservatrice où les informations circulent essentiellement de bouche à oreille. Telle est la dynamique malgache face aux vaccins contre la Covid-19.
Sensibilisation
La première étape dans l’amélioration du taux de vaccination dans la Grande île serait de reconnaitre que le problème n’est pas que de l’ordre matériel et logistique. En effet, entre 2021 et 2022, et grâce à des collaborations à travers des programmes tels que la Global Alliance for Vaccines and Immunization (Gavi) ou, en français, l’Alliance globale pour les vaccins et l’immunisation, des districts comme Anjozorobe ont obtenu des appuis pour faciliter l’accès aux vaccins.
Les 30 Centres de santé de base (CSB) du district ainsi que le Centre hospitalier de référence de district (CHRD) d’Anjozorobe ont été dotés de mini réfrigérateurs solaires qui permettent de faciliter le stockage des vaccins dans de bonnes conditions. Depuis, le district n’est plus sujet à des ruptures de stocks de vaccins contre la Covid-19. Dr Elisoa Rafaraharimanana, responsable du Programme élargi de vaccination (PEV) de cette localité appuie : « nous avons le vaccin Jansen. Son statut de “vaccin unidose” fait de lui l’un des plus demandés dans notre zone ».
Ainsi, les vaccins contre la Covid-19, au même titre que d’autres plus habituels (polio, BCG…), sont actuellement disponibles dans tous les CSB du district. Outre cette disponibilité des doses, l’équipe du CHRD organise régulièrement des descentes de sensibilisations sanitaires de masse afin d’assurer les soins de proximité. Des doses de Jansen sont également proposées durant ces démarches.
Radio-carte
À Anjozorobe, comme partout dans la Grande île, il est relativement facile d’avoir accès au vaccin contre la Covid-19. Pourtant, le taux de vaccination de moins de 10% nous amène à nous poser des réelles questions sur la situation. « Sincèrement, je pense qu’il y a énormément de travail de sensibilisation à faire mais que la stratégie mise en place actuellement n’est pas en harmonie avec la situation locale. Je parle essentiellement d’Anjozorob, par exemple », explique Julien, infirmier.
Son travail requiert de faire du terrain et de discuter avec de nombreuses personnes. Ce qui lui a permis d’identifier la manière la plus efficace de s’adresser à la population locale. « Les spots radios ne servent quasiment à rien dans la mesure où la grande majorité de la population locale utilise la radio-carte pour écouter de la musique, argue notre interlocuteur. Elle n’utilise plus les ondes FM. La meilleure manière de s’adresser à la population serait de les parler directement ». Une solution n’est pas forcément facile.
« Au début, nous avons dû faire face à des situations épineuses. Quand nous avions organis2 des réunions communautaires, dès que la population locale entendait le mot “Covid-19”, elle désertait ces réunions », se souvient Dr Elisoa Rafaraharimanana. Trouver la bonne manière de s’adresser au bon public, tel est le défi que l’équipe du CHRD Anjozorobe a dû surmonter. « À cette époque de l’année, si nous voulons nous adresser à la population locale, il vaudrait mieux aller à la rizière à l’heure du déjeuner. Elle y sera plus réceptive. Organiser une réunion ailleurs ne servira à rien car les gens ne vont jamais laisser leur récolte pour écouter des discours sur un vaccin », martèle l’infirmier.
Stratégie
De manière générale, la faible couverture vaccinale est aussi alimentée par les désinformations. Mais cet état de fait peut-être vrai en milieu urbain, dans les campagnes d’autres facteurs interviennent. « Nous avons déjà rencontré des cas où toute une famille refuse une injection pour des raisons traditionnelles. Nous avons dû mettre en place une stratégie pour dénouer ce nœud », souligne le responsable PEV du district.
La stratégie consiste à s’allier avec les Autorités politico-traditionnelles et religieuses (APTR). Ainsi, chaque CSB du district a son équipe d’APTR dont la principale mission est de déterminer les raisons de refus de soin chez certains groupes de personnes et d’identifier la personne à l’origine de ce refus. « Une fois, la personne qui fait blocage identifiée, nous prenons le temps de la convaincre avec des arguments médicaux et des exemples. Aussitôt qu’on arrive à la convaincre, les autres suivront automatiquement », précise Dr Elisoa Rafaraharimanana. Actuellement, cette stratégie commence à porter ses fruits aussi bien pour les vaccins contre la Covid-19 que pour les autres. Les enfants ayant obtenus toutes les doses de vaccin avant leur première année est passé 8 415, en 2020, à 10 623, en 2022, dans le district d’Anjozorobe.
Mais au-delà des défis liés à la culture et aux mœurs ceux en lien avec l’état des routes sont également importants. L’équipe de santé locale doit faire face à l’enclavement de certaines zones. « Quatre des CSB du district se trouvent dans des zones enclavées qui ne sont accessibles qu’en moto ou en charrette », souligne le responsable PEV. Ainsi, le réapprovisionnement en vaccin de ces centres de santé doit se faire selon les moyens du bord alors qu’Anjozorobe est également d’une des zones rouges sécuritaires et l’un des épicentres nationaux des rapts et de kidnappings.
Chaque CSB doit donc mettre en place sa stratégie pour assurer la sécurité du personnel de santé de l’établissement. Pour le cas d’Anjozorobe, le combat continue car le district enregistre encore des maladies telles que la rougeole qui, dans d’autres pays, a été totalement endiguée.
Yanne Lomelle