Il est l’un des symboles de la jeunesse pleinement engagée en faveur de la lutte contre le changement climatique. Max Andonirina Fontaine, YLTPien et fondateur et CEO de Bôndy, a pris part à la Cop27. Il nous partage son ressenti et analyse pour nous les avancées et les défis qui attendent particulièrement l’Afrique et Madagascar en matière environnementale.
Quelles ont été vos impressions globales sur la Cop ?
Max Andonirina Fontaine (M.A.F.) : Les impressions ressenties sur l’organisation générale ne sont pas forcément le cœur du sujet : il y a eu quelques couacs et des problèmes organisationnels, mais nous avons eu de bonnes surprises concernant l’Afrique et la jeunesse.
Quels étaient ces motifs de satisfaction ?
M.A.F. : Les délégations africaines étaient mieux préparées et mieux organisées avec le leadership du Sénégal qui préside le groupe des négociateurs africains. De nombreuses réunions en amont, en Égypte ou au Gabon, ont permis de préparer les positions africaines afin qu’elles soient cohérentes lors de la Cop. Ce qui a fait son effet. Nous pouvons noter également un effort des pays africains à louer des pavillons, qui, remarquons-le, coûtaient très chers. Ils l’ont considéré comme un investissement en visibilité pour attirer des “solutions”.
Par exemple, la République démocratique du Congo (RDC) avait un beau pavillon avec un slogan simple : “pays solution”. Ce pays a marqué des points comme le Nigéria ou le Maroc qui ont également investi dans un pavillon. Ce qui m’a le plus impressionné est comment l’Afrique a réussi à défendre sa position sur le loss and damage fund. L’un des sujets les plus critiques de cette Cop. Ne l’oublions jamais : toute action sans l’Afrique sera un échec. Le continent abrite des peuples autochtones, des puits carbone. Or, la population y est vulnérable. L’objectif était que la Cop soit africaine. Le pari a été gagnant.
Cette bonne préparation ou proactivité africaine s’est-elle traduite dans les négociations et dans les lobbyings ?
M.A.F. : J’ai vu cette Afrique solidaire. En guise d’illustration, les pays du bassin du Congo ont réussi à s’entendre sur un registre carbone commun pour établir une sorte de cartel. Une vingtaine de pays ont réussi à s’entendre sur un marché qui va être mondial. Tout le reste de l’Afrique en bénéficiera, car les actions et les initiatives seront crédibles. Cela montre que les Africains ont su faire preuve d’une intelligence collective.
Les pays développés ne voulaient même pas que ce sujet soit à l’ordre du jour. L’Afrique a vraiment insisté pour que le loss and damage soit inscrit dans l’agenda. Cela a même retardé le début des négociations, mais l’Afrique a insisté et réussi.
Pour les profanes, quel est ce concept de loss and damage ?
M.A.F. : En des termes très simples, je pourrai résumer ainsi : les pays développés se sont développés au détriment de la préservation des ressources naturelles et en émettant énormément de gaz à effet de serre. Les pays africains n’ont contribué qu’à 3% des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, ce sont les Africains qui subissent le plus de conséquences du changement climatique qui a été entraîné par le développement des Européens.
Le loss and damage fund est, comme son nom l’indique, un fonds qui vise à rétablir cette justice climatique. “Les pays développés ont pollué, il faut qu’ils remboursent”, c’est à peu près le message principal. La perte de fertilité, les sécheresses, les cyclones… toutes ces catastrophes qui impactent les hommes et les infrastructures sont à mettre au crédit du changement climatique auquel l’Afrique n’a même pas participé. Il est tout à fait normal en tant qu’Africain de réclamer une compensation. C’est le premier pas vers la justice climatique.
Comment les pays développés ont-ils réagi à ce lobbying ?
M.A.F. : Ils veulent retarder au maximum le processus. Ils ne veulent même pas que la thématique soit débattue.
Pratiquement, quelle forme ce fonds peut-il prendre : un fonds commun, une banque, un fonds de compensation…
M.A.F. : Comme c’est la première fois que les débats s’y sont portés, tout est encore à voir. Mais l’objectif est que tout soit ficelé pour la Cop de 2024. Mais, alors que les discussions sont au stade préliminaire, les pays occidentaux ont déjà parlé de prêts. Ce qui alourdirait encore les dettes des pays vulnérables. De manière pratique, deux écoles se sont distinguées. D’un côté, certains pays disent qu’il faut tout de suite compenser en cash – sous forme de donations – pour qu’ils puissent financer leurs reconstructions et leurs transitions énergétiques. De l’autre, ceux qui veulent adopter une démarche plus poussée. Il est compliqué d’évaluer concrètement la perte de fertilité sur le sol, les conséquences des épisodes de sécheresse…
En attendant de pouvoir ficeler tout cela, il faudrait faire en sorte que les fonds donnés par ces pays occidentaux aillent payer des primes d’assurance. Par exemple, quand des sinistres surviennent. Plusieurs types de projets peuvent entrer dans ce cadre. Ce sont les deux écoles, mais certains pays africains se sont bien préparés. Par exemple, le Sénégal a déjà un point focal national désigné qui travaille juste sur le loss and damage. Le pays a déjà essayé d’évaluer tous les coûts que le changement climatique a entraînés dans le pays : perte de poissons, perte de touristes à cause de la disparition des plages, problème de fertilité des sols… Le Sénégal a essayé de tout valoriser. En dernière étape, il a préparé un plan d’utilisation du fonds. Mais, pour le moment, le mécanisme final n’est pas encore totalement décidé.
Vous vous penchez plutôt du côté de quelle école ?
M.A.F. : Je trouve qu’il serait correct sur le court terme de payer les primes d’assurance au moins pour les catastrophes qui arriveront et pour répondre aux besoins d’urgence. Il ne faut pas réclamer trop gros dans un premier temps, en trop de temps. Comment quantifier combien Madagascar a-t-il perdu exactement à cause du changement climatique ? C’est un travail que le ministre de l’Environnement et du Développement durable (Medd) a déjà commencé à faire, mais même à l’échelle internationale, ce chantier n’a pas encore été finalisé.
À court terme, il serait judicieux de faire payer les primes d’assurance. Nous sommes dans la saison des pluies. Il y aura des crues, des éboulements, des inondations, des pertes de récoltes… Il faut y penser dès maintenant, mais il faudrait également réfléchir pour les cinq ans à venir pour avoir une méthodologie acceptée par l’ONU et les pays du monde.
En mettant en place ce loss and damage fund, n’est-ce pas créer une redoutable usine à gaz ? Si demain, les pays développés mettaient également à l’index les nations les moins avancées qui détruisent leur écosystème, comme Madagascar, censé être des richesses pour l’humanité…
M.A.F. : La base de calcul est celle des émissions historiques. Il est clair que la destruction de la biodiversité est dramatique, mais qu’elle a comme source également la pauvreté. L’Afrique n’a contribué qu’à 3% des émissions de gaz à effet de serre, rappelons-le. Si on dépasse le seuil de 1,5°C établi par l’Accord de Paris et qui est fatidique, la situation sera catastrophique. Or, avec la trajectoire actuelle, nous tendons vers un réchauffement de
2,8°C. Autant dire que la planète ne sera pas viable, à terme.
Quel message Madagascar a-t-il apporté ?
M.A.F. : Madagascar a envoyé une grande délégation. Elle a participé à beaucoup de side events, presque quasiment tous les jours. La Grande île a été bien représentée au niveau politique et institutionnel. Le président de la République, le président du Sénat, la ministre de l’Environnement et du Développement durable et plusieurs ministères ont pris part à la Cop. Chacun avait des objectifs un peu plus précis, mais le message a essentiellement tourné autour du loss and damage.
Le message était, en somme, que Madagascar est un pays très vulnérable avec une population rurale qui dépend énormément de la terre et des ressources naturelles, mais la Grande île est également un pays actif. Pour preuve, des jeunes malgaches ont gagné des trophées. Nous avons su montrer notre dynamisme et notre préparation à agir. Mais nous ne pourrons pas faire tous les projets avec nos seuls moyens. Il ne s’agit pas seulement d’argent, mais de renforcement de capacités, de partenariats techniques, d’expertises…
N’est-ce pas dérangeant à la longue de présenter la Grande île comme étant une victime de changement climatique. Ce qui est quasiment devenu un slogan marketing ?
M.A.F. : Si c’est dérangeant. Je n’ai pas envie de faire l’apologie de la pauvreté. Mais ce qui se passe est réel. Dans mon travail quotidien, je travaille avec des agriculteurs, des personnes qui ont vu les mangroves disparaître, avec des migrants climatiques… Le drame est réel. Je l’explique et je le vis au quotidien. Ce n’est pas qu’un slogan. Les personnes avec lesquelles nous discutons doivent trouver cette situation authentique. Nous ne faisons qu’un rappel des faits. Ce n’est pas par culpabilité que nous demandons aux interlocuteurs de financer nos projets, mais parce que nous créons un impact réel et que nous développons un modèle qui commence à être reconnu à l’échelle internationale. Nous montrons que nous sommes davantage des porteurs de solutions que des victimes.
La situation est alarmante. Mais le Malgache continue à tout brûler, à détruire son environnement. Il semblerait que nous évoluons sur une planète à part…
M.A.F. : Vous avez 100% raison. Le monde avance dans le mauvais sens. On fonce vers la catastrophe, mais on a encore le pied au plancher, à fond sur l’accélérateur. 2022 battra un record celle de l’année où l’énergie fossile va émettre le plus de CO2 de l’histoire. Nous venons de franchir le cap des huit milliards d’habitants. Tout ce qu’on fait va à contre-courant. De nombreux lobbys du secteur de l’énergie fossile étaient présents durant la Cop. Même si nous sentons qu’il y a une inertie du système, il n’y a pas d’autres alternatives pour le moment à part la Cop. C’est le seul endroit où tous les pays peuvent se rencontrer et rappeler le devoir des uns et des autres. À Madagascar, tant que la population sera pauvre, elle accentuera toujours la pression sur l’environnement. Je ne pense pas que les Malgaches soient pyromanes, mais ils ont besoin de sources d’énergie.
Bôndy, votre entreprise sociale évolue dans le domaine du reboisement. Comment appréhendez-vous le fait que le reboisement serve parfois au greenwashing ?
M.A.F. : C’est totalement vrai et c’est ce que nous combattons. D’où notre engagement pour montrer qu’on peut communiquer sur des projets mais à une seule condition : il faut fournir les meilleurs efforts possibles pour avoir des impacts et des résultats. Nous avons réussi à démontrer que notre projet – même s’il est loin d’être parfait – a une dimension inédite et donne de l’espoir à nos partenaires aussi bien qu’aux paysans ou aux villageois avec qui nous travaillons.
Nos projets ne sont pas vus comme seulement de la communication ou du marketing. Nous nous dirigeons vers un mécanisme de financement durable et qui nous permettront d’être plus autonomes en fonction des entreprises avec qui nous voulons travailler. Grâce à ce choix, nous pouvons toujours sélectionner les partenaires avec qui nous voulons travailler pour financer nos projets, mais en parallèle nous voulons activer les mécanismes de financement durable. Nous voulons diversifier nos activités pour ne pas dépendre de personnes qui n’auraient pas les mêmes intentions que nous.
Pouvez-vous nous détailler ce modèle économique que Bôndy a développé ?
M.A.F. : Nous opérons dans les régions Atsinanana, Melaky, Boeny, Menabe, Analanjirofo, Diana et Sofia. Le modèle économique se fonde sur trois approches : la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) avec des partenariats avec le secteur privé, les projets durables, centrés autour des populations locales, et des partenariats avec le secteur privé pour la mise en place et le suivi des projets.
C’est le modèle de base qui nous a permis de nous développer. Nous nous sommes lancés dans les mangroves pour nous orienter vers les mécanismes de financement durable. Ensuite,; nous visons aussi des projets de transformation et d’exploitation durable des forêts. Pour qu’un écosystème soit durable, il faut qu’il soit exploité correctement. C’est ce que le grand public doit comprendre.
L’antagonisme entre les fokonolona et les VOI crée souvent des dommages importants sur les écosystèmes à Madagascar. Quel serait le schéma idéal pour protéger convenablement le peu de forêt qui nous reste ?
M.A.F. : Je ne sais pas s’il y a un schéma idéal. S’il y en a, il faut qu’il soit adapté à la culture, à chaque contexte, car toutes les populations n’ont pas les mêmes besoins. La clé de la réussite est vraiment dans l’analyse des besoins de la population locale. Tout doit partir de là. Les projets doivent être conçus autour de son ressenti : quel est son problème ? Est-ce l’absence de l’énergie ? L’absence de nourriture ? Chaque population a un problème différent. Le problème est que les associations ou les Organisations non-gouvernementales (ONG) internationales ont une approche plutôt standard. Pour Bôndy, la méthodologie est différente.
Le bénéficiaire est au cœur de sa préoccupation. Après, il développe les relations avec les autorités locales et les partenaires. La population doit moins dépendre des ressources naturelles. Les projets n’ont aucun sens s’ils ne développent pas la population locale sur le long terme. Ils doivent améliorer leurs conditions de vie du point de vue social (santé, infrastructures, eau, énergie…) et surtout sur le plan économique. Avec ces populations, nous parlons d’argent sans tabou.
Nous leur disons : “si vous voulez travailler avec nous, quelle récolte vous voulez avoir ? Quelles sont vos problématiques d’accès au marché ?” Nous avons une approche marché que nous assumons, c’est quelque chose qui a été rarement vu dans le secteur environnement. Si on veut développer Madagascar, il faut le faire avec l’économie, mais de manière durable.
Le secteur environnemental capte beaucoup de financements à Madagascar, mais concomitamment la destruction de l’environnement s’accélère. Comment expliquer ce phénomène ?
M.A.F. : Nous ne nous rendons pas compte de l’ampleur du problème. Le problème est énorme. 80% de la population sont des ruraux et toutes ces personnes utilisent du charbon ou des techniques culturales qui ne sont pas adaptées, sans oublier les regroupements de population à cause de la migration climatique. Les solutions, comme les nôtres, même avec un financement de dix millions de dollars, restent une goutte d’eau dans cette mer de problèmes. Il n’y a pas de magie.
Le seul moyen de développer Madagascar et de préserver ses ressources naturelles est d’orienter toute la vision de développement du pays atour de la gestion des ressources naturelles. La Grande île a un potentiel incroyable en termes d’énergie, d’agriculture ou de biodiversité. Il est impératif que toutes les stratégies soient orientées autour de ces axes. C’est un pari qu’on a plus le choix de ne pas faire. Il faut mettre en place les mécanismes dès maintenant pour qu’ils aient des impacts dans cinq ans. Même la Constitution devrait être centrée autour de l’environnement.
Comment voyez-vous Madagascar, l’Afrique et le monde avancer dans les prochaines années ?
M.A.F. : Pour les cinq ou les dix ans à venir, je ne vois que du rouge, même s’il me fend le cœur de le dire. Je le pense sincèrement. La science est claire, avec le scénario actuel, la catastrophe est assurée. Pire, les Contributions déterminées au niveau national que les pays ont publiées – document qui explique comment ils veulent réduire leur émission carbone et comment ils veulent en séquestrer – accroissent cette crainte. Il y a très peu de pays qui arrivent à respecter leurs ambitions. Nous avançons largement au-dessus de 1,5°C.
Nous sommes dans une trajectoire à 2,8°C de hausse de température. Pour les cinq prochaines années, nous allons avoir de plus en plus de sécheresse, de plus en plus d’inondations, des catastrophes climatiques, des migrations climatiques et des conflits dus aux ressources naturelles : l’eau et le bois vont devenir des sources de guerre. Que cela soit pour Madagascar ou pour le reste du monde. La seule solution est qu’on change radicalement nos modèles de société.
La prise de pouvoir de la jeunesse sur des thématiques climatiques peut-elle renverser la tendance ?
M.A.F. : Je ne sais pas, mais je l’espère parce que c’est une solution. Même s’il est déjà trop tard, si ce n’est pas notre génération qui prend à bras le corps le problème, qui le fera ? En tout cas, nous sommes la première génération à voir les effets dramatiques du changement climatique. Je voudrais que dès le primaire, on enseigne cette thématique. Au sein de Bôndy, nous avons installé des pépinières pédagogiques dans les Écoles primaires publiques (EPP). Nous avons implémenté des champs-écoles paysans où on transmet les compétences sur une agriculture résiliente pour les jeunes et les femmes. Nous apprenons déjà aux jeunes à modifier leur façon de faire.