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L’Église et les évènements de mai 1972

SociétéL'Église et les évènements de mai 1972

L’année 2022 marquera le 50e anniversaire des évènements de mai 1972. 50 ans d’espoir comme 50 ans de désillusions. Les conséquences sont depuis diversement interprétées aussi bien par les militants convaincus que par ceux qui sont déçus.

Pour les militants convaincus, les conséquences de mai 1972 sont positives. Le mouvement était porteur d’espoir et de renouveau. Pour ceux qui sont déçus, ces conséquences sont négatives. Pour eux, le mouvement a entraîné le pays dans une spirale d’instabilité et dont l’issue est complètement incertaine.

Pour eux, aucune voie n’a apporté de solutions efficaces, et ce, jusqu’à ce jour. Les analystes du courant pessimiste avancent même qu’il serait injuste de qualifier ce mouvement de « populaire ». Les usurpateurs et les infiltrés (plagiaires) ont su occuper les terrains et imposer leur point de vue pour finalement réorienter les objectifs à leur profit.

Bouleversements

Cependant, au-delà de toutes ces tendances et ces considérations s’ajoute une autre aile qui, de ses empreintes, marquerait le cours des évènements de 1972, jouait un rôle primordial, voire déterminant, avant, durant et après. Il s’agit de l’église catholique, de l’Église de Jésus-Christ de Madagascar, de la Fédération des Églises protestantes de Madagascar et de l’Église anglicane de Madagascar. Indiscutablement, leurs contributions aux évolutions sont d’une importance capitale.

C’est dans ce contexte, et pour illustrer les rôles joués (contributions) par (des) les églises, dont l’une d’entre elles, à savoir l’Église catholique, que je voudrais, en tant que prêtre de cette confession, partager trois lettres retraçant ses apports à ces bouleversements durant lesquels elle fut remarquablement présente, proche des difficultés autant que des aspirations du grand nombre.

Parmi ces lettres, je cite en premier, la lettre encyclique du Pape Paul VI sur « le développement des peuples » (populorum progressio) du 26 mars 1967, qui indique que le développement du peuple malgache a toujours été considéré avec attention par l’Église. Elle précise comment les chrétiens doivent découvrir de quelles manières leur foi les inciterait à travailler à la promotion de leurs concitoyens, à avoir une conscience renouvelée des exigences du message évangélique qui leur donne un devoir de se mettre au service de l’homme pour l’aider à saisir toutes les dimensions de ce mouvement et pour les convaincre de l’urgence d’une action solidaire en ce tournant décisif de l’histoire en général et de celle de Madagascar en particulier.

Points de convergence

En second lieu, je fais référence à la lettre de la Conférence épiscopale malgache publiée le 26 mars 1972, à l’occasion du cinquième anniversaire de la parution de l’Encyclique de Paul VI. Elle s’intitule «L’Église et le développement à Madagascar». Elle avait demandé plus de deux années de préparation. La missive fait le point sur la situation et les problèmes du pays, interpelle les chrétiens sur l’obligation à collaborer au développement intégral de l’homme. En raison de la convergence de certaines de ses analyses avec les revendications des évènements de mai 1972, elle aura orienté plusieurs actions du mouvement et pourrait être considérée comme l’un des facteurs ayant provoqué les évènements de l’époque.

Ces points de convergence concernent la dénonciation des inégalités sociales, la mise au grand jour de la domination économique étrangère, la corruption et la prise de position en faveur d’une réforme de l’enseignement et de sa malgachisation. Et, l’autre intérêt de la lettre est la réflexion engagée sur la nature et le rôle des œuvres sociales de l’Église, sur la nécessaire participation des laïcs à la gestion des institutions ecclésiales, sur leur place et avec leurs responsabilités respectives. La troisième, celle de Mgr Gilbert Ramanantoanina, archevêque de Fianarantsoa de l’époque, est intitulée «l’Église et la société à Madagascar». Parue le 11 avril 1971, elle relate largement les drames de 1971-1972 dans le Sud, dont les conséquences seront ressenties jusqu’aux années 80.

En effet, la sanglante répression de la jacquerie paysanne du Sud témoignait de l’aveuglement du régime Tsiranana. À cette atrocité s’ajoutait l’opération «Tsy minday moly» perpétrée par le régime Ratsiraka, qui n’a fait qu’attiser et raviver la haine intertribale et qui a établi une rivalité sans précédent entre politiciens. On se rappellerait que les adhérents du Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar (Monima) ont été persécutés dans le Sud, sans parler de l’isolement carcéral du leader charismatique Monja Jaona à Kelivondraka. Cette lettre aurait eu le mérite de susciter l’opinion publique sur les dures conditions de vie des paysans du Sud et d’enclencher une conscientisation générale de l’opinion sur le développement inégalitaire (déséquilibré) de Madagascar.

L’intercession des églises

Pour revenir aux trois lettres, celles-ci ont jeté les bases d’une réflexion profonde sur la situation politique et socio-économique d’avant et après mai 1972, et dont le cours a complètement changé de cap. L’intercession des églises s’avérait utile, car elles étaient conscientes des tournures et des revirements des évènements. La voix des chefs des églises s’élèvera avec force à deux reprises, d’une part, pour dénoncer les manipulations politiques et d’une autre, pour apaiser les tensions et ramener la paix et l’ordre.

Ainsi, le 15 mai 1972, dans un message à la Radio nationale, après d’âpres négociations avec quelques membres du gouvernement de l’époque, tour à tour, le cardinal Jérôme Rakotomalala, représentant l’Église catholique romaine, le pasteur Daniel Ratefy, secrétaire général de la Fédération des Églises protestantes de Madagascar, le révérend Rasoloarivony, représentant l’évêque Jean Marcel de l’Église anglicane de Madagascar et le pasteur Titus Rasendrahasina, président de l’Église de Jésus-Christ de Madagascar, se sont adressés aux étudiants et à la population, leur demandant le retour au calme et en leur annonçant que le pouvoir a accédé à la plupart de leurs revendications, entre autres, le retour sans condition des déportés (Nosy Lava, d’Arivonimamo ou des autres endroits), la révision des accords de coopération avec la France et la prise des mesures adéquates pour améliorer, dans le meilleur délai, les conditions de vie des Malgaches. Toujours dans le cadre de l’apaisement, après que le Président Tsiranana ait remis les pleins pouvoirs au général Gabriel Ramanantsoa, le 18 mai, un culte œcuménique de soutien au pouvoir militaire fut organisé à Mahamasina le 20 mai.

Enjeu des ambitions politiques

Malheureusement, quelques années plus tard, sous l’incertaine direction du Général Ramanantsoa, le pouvoir redevient l’enjeu des ambitions politiques rivales, lesquelles ravivèrent les antagonismes séculaires. Progressivement, la situation s’est dégradée. De nouveau, le 25 février 1975, pour atténuer cette situation, les chefs des quatre principales églises chrétiennes, le cardinal Jérôme Rakotomalala, monseigneur Jean Guy Rakotondravahatra, secrétaire général de la Conférence épiscopale de Madagascar, le Dr Rakoto-Andrianarijaona, président de l’Église luthérienne, le pasteur Joseph Ramambasoa, président de l’Église de Jésus Christ de Madagascar, le pasteur Daniel Ratefy, président de la Fédération des églises protestantes de Madagascar, font pour la première fois une déclaration commune. Ils lancèrent un appel pour un retour au calme. Leur appréhension de voir les structures populaires du fokonolona, récupérées et utilisées pour la promotion d’une minorité est prémonitoire.

Ainsi, les réflexions de ces raiamandreny ont éclairé les esprits des protagonistes, à discerner les voies à suivre au milieu des raisons diverses et à solliciter les chrétiens à entrer consciencieusement en action et à diffuser, avec un souci réel de service et d’efficacité, les énergies de l’évangile. Cet appel fut entendu et largement suivi. Il sied de souligner que les chefs d’église n’ont jamais oublié que l’Église n’est pas une force politique et de ce fait, n’avait pas l’ambition d’agir en tant que telle. Mais elle se reconnaît une double mission dans ce mouvement, dont la mission sociale et la mission pastorale (évangélique).

Euphorie

Malheureusement, et malgré ces intercessions, les faits qui s’ensuivirent n’empêcheront pas cette période transitoire de se terminer tragiquement. Le 11 février 1975, le colonel Richard Ratsimandrava fut assassiné six jours après qu’il eut pris la succession du Général Ramanantsoa, démissionnaire. Ainsi, avec la disparition de Richard Ratsimandrava, étaient effectivement assassinées les aspirations de 1972 et disparaissait l’espoir d’une voie spécifiquement malgache du développement national : le fokonolona.

L’euphorie de mai 72 fut de courte durée et tragique par la suite. Une page de l’histoire de Madagascar était tournée, s’ouvrait une nouvelle, celle de l’ère de la révolution socialiste malgache. Mais en plus de cet évènement plus que malheureux, une autre façade de l’histoire mériterait d’être dévoilée, car elle est une partie intégrante de « 72 ». Ces faits sont restés ou gardés sous silence pour diverses raisons, selon l’adage malgache afon’apombo (feu de paille), qui sont, entre autres, le non-aboutissement de l’enquête sur l’assassinat du Colonel Ratsimandrava et la déception la plus totale de la majorité des Malgaches, car les réalités qui suivirent seront des plus amères. Le constat est sans appel et l’échec total.

Instaurer une égalité de droits parmi le peuple

De tout ce qui précède, en écoutant les anciens originaires de différentes régions de l’île, on serait tenté de dire que la lutte aurait tourné au vinaigre. Les déçus apparaissent au grand jour. Parmi eux, je pourrai citer les descendants des Belefona d’Amoron’Imania, membres d’association qui ont soutenu la position du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM) en 1947, qui ne ménageaient pas leurs mots envers les usurpateurs et les plagiaires. Ils soutiennent même qu’après les grèves successives et crises socioculturelles et économiques, Madagascar n’est toujours pas sorti du tunnel.

Il en est de même des militants de l’ancienne province de Fianarantsoa : Amoron’Imania, Haute Matsiatra, Vatovavy, Fitovinany, ceux de l’atsinanana ; ceux de l’andrefana, ceux de l’atsimo andrefana et même ceux de l’avaratra qui expriment tous les mêmes cris : «ô rage, ô désespoir», «pleure ô pays bien aimé». Ils affirment que tous leurs camarades, une fois au pouvoir, ne se souciaient plus du peuple. Aujourd’hui, ils regrettent d’avoir participé à ces mouvements. C’était le patriotisme, disent-ils, qui les a poussés à lutter et à s’engager dans cette voie dans l’espoir d’une vie meilleure et sereine.

Malgré tous ces dérapages, les églises n’ont jamais baissé les bras. Elles ont continué d’accomplir leur noble mission et en tant que «bons pasteurs». Elles veillent sur leurs brebis. Les églises chrétiennes à Madagascar sont toujours prêtes à soutenir les autorités lorsqu’elles s’efforcent d’instaurer une égalité de droits dans le peuple. Mais elles s’opposent à toutes les manœuvres obscures ou évidentes qui entravent la promotion du peuple et leur développement.

Les églises considèrent tout dessein qui conduit à une guerre tribale et de castes comme des manœuvres s’opposant au relèvement du peuple. Et, afin de concilier les différentes tendances, pouvoir politique, partis politiques, société civile, population… l’Église catholique, dans sa lettre du 25 décembre 1973, a cru qu’il était temps d’introduire l’éducation politique (« le » politique), le renforcement de l’éducation civique dans la vie quotidienne, et ce, pour encourager les chrétiens à s’engager davantage dans les affaires nationales et à témoigner de leur foi en tant que citoyens. Mais on doit reconnaître que cette éducation est une œuvre de longue haleine. 

Joseph Rabenirina, Sj

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