« Reverdir Madagascar ». C’est le grand défi de l’administration dans le cadre de ce qu’elle présente comme l’« émergence environnementale ». Madagascar représenterait un des cas de déforestation les plus alarmants dans le monde tropical. Chaque année, 150 000 hectares de forêts naturelles disparaissent.
« Reboisement : selfie ou sexy ? » La phrase est provocante, mais révèle une certaine envie de la part des jeunes de faire les choses bien comme il faut. La saison des reboisements est généralement le théâtre de mobilisation joyeuse aussi bien auprès des institutions que du secteur privé. Considérée comme ludique et récréative, la journée consacrée au reboisement est bien souvent une occasion de se retrouver, de sortir de la capitale au grand dam des rigoristes de l’environnement… ou du bon sens.
Espèces autochtones
« Nous allons augmenter les superficies à reboiser à 75 000 ha chaque année à compter de cette campagne de reboisement 2023. Nous allons également orienter notre stratégie nationale de reboisement vers un “reboisement utile et de proximité” afin de répondre aux besoins quotidiens de la population malgache. Les communautés locales sont impliquées dans le reboisement et le suivi par le biais des travaux Himo », soutient Vina Marie Orléa, ministre de l’Environnement et du Développement durable, en marge du coup d’envoi de la campagne de reboisement nationale qui a été donné par le chef de l’État, le samedi 28 janvier, à Seranandavitra, dans la commune rurale d’Ilaka Est, dans le district de Vatomandry.
Ce département ministériel vise à promouvoir la plantation d’arbres « utiles » au profit des communautés locales, pour ne citer que l’arboriculture et le reboisement des arbres servant de bois-énergie ainsi que des arbres à croissance rapide permettant de protéger les sols et leurs cultures. Des pépinières géantes sous serre, produisant des jeunes plants d’arbres à grande échelle, sont d’ailleurs mises en place depuis 2021 pour assurer ce reboisement de proximité.
Lors du lancement officiel de la campagne de reboisement à Ilaka Est, environ 30 000 personnes ont été mobilisées pour mettre en terre 120 000 jeunes plants de différentes espèces dont entre autres, le kininina oliva, le kininina mena, le bonara, l’acacia ou encore le kininina malama hoditra, sur une superficie de 75 ha. Quatre drones semeurs ont été utilisés pour larguer 280 kg de graines de kintsina et de mandrorofo, des espèces autochtones à croissance rapide, adaptées aux zones sur une superficie de 25 ha (voir encadré). « Planter des arbres est le devoir de tout citoyen au profit des générations futures », a rappelé Andry Rajoelina, le président de la République.
Tam-tam
Malgré le déploiement de moyens humains, matériels et financiers importants durant les campagnes de reboisement successives, les échecs demeurent aussi nombreux que les réussites. « La politique de reboisement a constamment changé à Madagascar. Durant la deuxième République, par exemple, le reboisement était une obligation et un vrai devoir citoyen dans le cadre du service national. Après 1990, une politique davantage incitative avait été adoptée », contextualise Valisoa Andrianarivony, directrice technique de l’entreprise sociale Bôndy, qui a fait du reboisement le cœur de son activité.
Aujourd’hui, Madagascar épouse la trajectoire de l’African forest landscape restoration initiative (AFR100) qui consiste entre autres au sein de l’Union africaine à restaurer au moins 100 millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030. En termes d’objectif, Madagascar s’est engagé à restaurer près de 2,5 millions d’hectares de paysages forestiers dégradés d’ici à 2020 et quatre millions d’hectares d’ici à 2030. Le directeur du programme Afrique et Madagascar du Missouri botanical garden (MBG), Porter Pete Lowry, a soulevé que les risques d’échec de tout programme de reboisement sont élevés sans une gestion durable de la plantation. « Les citoyens et les autorités ont tendance à simplifier les choses en utilisant à grand tort ces mots (de reboisement) pour en faire un amalgame. Le reboisement se limite à une simple plantation d’arbres, peu importe les espèces utilisées, qui seront utilisés pour fixer des carbones et réduire l’érosion des sols tout en s’adaptant au changement climatique ainsi que pour produire du bois de chauffe ou de construction », nuance-t-il.
Pour ce chercheur, une politique de reboisement – même réussie – ne pourrait cependant compenser les pertes de la biodiversité liées à la dégradation du milieu naturel des forêts en raison du défrichement, des cultures sur brûlis ou des feux de brousse. « Pour 1 000 ha de forêts naturelles détruites, on perd au moins 100 à 400 – voire 600 – espèces dont certaines sont endémiques, sans compter la faune », regrette-t-il. Dans la zone de reboisement Seranandavitra, de nombreuses espèces de jeunes plants, dont des espèces autochtones, endémiques, introduites et des propagules pour les mangroves ainsi que des plants d’arbres fruitiers pour l’agroforesterie ont été reboisées selon les besoins des communautés locales et les conditions pédoclimatiques des régions.
« La politique doit être révisée. Pour caricaturer, nous nous contentons de mettre en terre les arbres. Quand on revient quelques semaines sur le site ayant accueilli un reboisement opéré par une entreprise, un projet ou d’autres structures, nous constatons un taux de mortalité de près de 75%. Les reboisements demeurent un tam-tam médiatique, mais la création d’impact est mineure », déplore Valisoa Andrianarivony.
Gestion durable
Les expérimentations sont nécessaires pour avoir des résultats et des connaissances scientifiques concrets sur les espèces qui sont adaptées aux conditions climato-agro-écologiques de chaque zone de reboisement. « Il faut utiliser au moins une dizaine d’espèces différentes à planter dans trois endroits ayant des conditions différentes. Cette méthode est également très efficace pour choisir le meilleur rapport coût-bénéfice », insiste Porter Pete Lowry. Les Ambassades de l’Inde, de la Chine et du Royaume-Uni à Madagascar ont prêté main-forte pour mener à bien ce projet de reforestation à grande échelle, en assurant, entre autres, le labour du site de reboisement via un système de mécanisation. Des emplois locaux ont pu être créés, car les communautés villageoises ont été mobilisées pour faire la campagne de reboisement et la mise en place de pare-feu.
Le taux de réussite de ce projet de reforestation a atteint plus de 90%. En effet, des techniciens du ministère de l’Environnement et du Développement durable ont préalablement fait des études climato-agro-écologiques pour étudier les variétés d’espèces adaptées à cette zone. Mieux encore, la zone reboisée a été épargnée par les feux grâce à la mobilisation de la population locale. Des ménages ruraux ont témoigné qu’ils ont été recrutés pour mettre en place des pare-feu.
Des parcelles de terrain ont été mises à leur disposition pour pouvoir cultiver, entre autres, du manioc, en vue de subvenir à leurs besoins. Ce genre d’approche devrait faire tache d’huile pour que le reboisement soit une réussite. « La politique idéale est que toute action menée puisse déboucher sur des résultats tangibles et qui s’inscrivent sur le long terme. La mise en terre est importante, mais l’impact l’est également, tout comme l’utilisation de l’arbre à travers une gestion durable », explique la directrice technique de l’entreprise sociale Bôndy.
Plus de 100 acteurs ont défini ensemble une charte de bonnes pratiques de reforestation, pour faciliter le reverdissement de Madagascar à travers un guide. « La reforestation doit être cadrée par une approche paysage, c’est-à-dire pensée comme complémentaire des autres activités alentours », incite un document qui présente une sorte de « dix commandements de la reforestation ». « L’implication des communautés locales dans la gestion durable du reboisement est importante, sinon il sera voué à l’échec, sans négliger la question de sécurisation foncière. Cet engagement communautaire doit continuer sans faille pendant au moins 15 ans », note le directeur du programme Afrique et Madagascar du MBG. Ce principe de suivi fait souvent défaut. Quelques semaines après les reboisements, il n’est pas rare de constater que des jeunes plants soient morts, un cycle sans nul doute normal, mais quand le taux de perte est de plus de 50%, l’on s’interroge sur l’approche.
« En tout, la gestion du reboisement nécessite de soigner les plantes, de les entretenir et de faire des suivis jusqu’à leur maturité. C’est rare à Madagascar », regrette notre interlocuteur. Le reboisement effectué par le gouvernement sur le site proche de la nouvelle ville, à Tsimahabeomby, Imerintsiatosika est… l’exemple à ne pas suivre. D’ailleurs, le think thank Indri a sorti la sulfateuse pour dénoncer « le reboisement effectué par le gouvernement le 18 février sur le site de Tanamasoandro, (un acte) effectué bien trop tard dans la saison des pluies, et (qui) constitue l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire ». Valisoa Andrianarivony partage elle aussi son désarroi. « Il est regrettable de constater que, parfois, ce sont les campagnes massives médiatisées qui sont valorisées lors des reboisements non pas l’acte en lui-même. Nous nous contentons du tam-tam médiatique, mais quand on fait le suivi, le taux de réussite est très bas », conclut-elle.